Quel paradoxe ! Le compositeur de Rigoletto, La Traviata ou Don Carlos a mis tout son génie dans une œuvre sacrée, au sens le plus large du terme, alors qu’il n’avait jamais caché un certain scepticisme envers les institutions religieuses. Verdi, adepte de la libre-pensée, ne rechignait ce- pendant jamais, le dimanche, à conduire sa seconde épouse, la soprano Giuseppina Strepponi, en fiacre à la messe. C’est tout aussi naturellement qu’il proposa à son éditeur Ricordi de faire plan- cher douze compositeurs italiens sur les treize séquences du Requiem. Lui-même, en prince des musiciens italiens, se réserverait la composition du Libera me en guise d’apothéose et de conclu- sion. L’occasion d’exécution serait donnée par le premier anniversaire de la disparition de Gioacchino Rossini en 1869. Après quoi la partition ne devrait jamais être exploitée commercialement et serait mise sous scellés. Mais ce projet ne vit jamais le jour suite au peu d’empressement du chef pressenti, piqué au vif de se voir refuser de participer à la composition. Quant à l’imprésario, il mit son veto à engager gracieusement à disposition le chœur et l’orchestre !
Déçu, Verdi rangea le fragment du Libera me et attendit qu’une nouvelle occasion se présentât. Le décès de l’écrivain Alessandro Manzoni survenu le 22 mai 1873 à l’âge de 88 ans, allait remettre le Requiem avorté en selle. Verdi vénérait le doyen de la littérature romantique italienne, auteur du roman I Promessi Sposi (Les fiancés), depuis l’âge de seize ans. Les deux hommes s’étaient rencontrés en 1868, et la mort de Manzoni affecta profondément le compositeur qui écrivit à la comtesse Clara Maffei : « avec lui s’en est allé le plus pur, le plus saint, le plus grand de nos esprits. J’ai lu un grand nombre de journaux : pas un seul ne lui rend hommage à sa mesure. Beaucoup de mots – mais pas un seul profondément ressenti. » Peu après, il proposait au bourgmestre de Milan la composition d’une messe pour le premier anniversaire de la disparition du poète. Magnanime, Verdi s’engageait à prendre à sa charge tous les frais d’édition, de répétitions et d’exécution.
Et ce qui fut dit, fut fait. Verdi exhuma son Libera me, et termina le Requiem en quelques mois, partagé entre sa propriété de Sant’Agata où il s’était retiré pour composer en toute quiétude, et les bords de Seine durant l’été 1873. Par là même, il renouait avec ses premières œuvres dédiées à l’église. Etait-il conscient des lointaines réminiscences religieuses ressenties à l’orgue du village natal de Roncole, entre Plaisance et Parme ?
Dès sa première interprétation le 22 mai 1874 en l’église Saint-Marc de Milan où Verdi avait réglé au millimètre les détails d’exécution, l’œuvre s’émancipa du cadre liturgique pour intégrer définitivement la salle de concert : la voici qui s’épanouit à l’Opéra-Comique, à Londres, Vienne et dans toute l’Europe. Le public l’accueillit triomphalement, parachevant la démarche de sécularisation entamée par Verdi. Mais ce molosse inclassable ne fut pas accueilli unanimement par la critique. Certains, timorés, la comprirent comme l’exaltation dévergondée d’un luxueux quatuor vocal qui aurait transposé ses travers opératiques dans la liturgie la plus grave de l’Eglise catholique. Ceux- là n’entendaient-ils par l’extraordinaire raffinement d’écriture des ensembles, portés par la subtile vocalité des timbres orchestraux ? Verdi n’hésite jamais à aller chercher de tendres nuances pianissimo qu’il ne se serait pas permises à l’opéra. Car il ne désire rien moins que faire communier son public à une belle intériorité : le ton sera donc souvent celui de l’introspection et de la confidence, sans renoncer pour autant au lyrisme de l’invocation scandée à pleine voix par le chœur, à qui Verdi réserve les pages les plus ferventes de son Requiem, symbole de l’humanité criant ses souffrances et nous confiant son intime sentiment religieux.
Qu’on se le dise : rien n’est facile dans ce Requiem. Passages extravertis et aussi séquences intimistes qui requièrent du chœur attaques franches, articulations précises et sonorités qui ne doivent jamais perdre en plénitude. Le Dies irae, le Tuba mirum, le Sanctus et la fugue du Libera me projettent l’auditeur dans une conquête céleste, tandis que les passages plus méditatifs exhalent une grande profondeur expressive. En somme, une partition où importe la vision du chef, à même de temporiser les indications métronomiques de Verdi, souvent tendues. Trop ralentir mettrait les chanteurs en danger et alourdirait les textures polyphoniques, trop accélérer risque de gommer les contours de la vocalité.
Jean-Claude Casadesus les suivra-t-il à la lettre, ou bien s’autorisera-t-il un rubato de bon aloi et de généreux ritardandi à la fin des mouvements ? Observer tout cela depuis le public constitue une expérience passionnante et sans cesse renouvelée.
Benjamin François, producteur à France Musique
A lire Un opéra en robe d’ecclésiastique Hans Von Bülow
Déçu, Verdi rangea le fragment du Libera me et attendit qu’une nouvelle occasion se présentât. Le décès de l’écrivain Alessandro Manzoni survenu le 22 mai 1873 à l’âge de 88 ans, allait remettre le Requiem avorté en selle. Verdi vénérait le doyen de la littérature romantique italienne, auteur du roman I Promessi Sposi (Les fiancés), depuis l’âge de seize ans. Les deux hommes s’étaient rencontrés en 1868, et la mort de Manzoni affecta profondément le compositeur qui écrivit à la comtesse Clara Maffei : « avec lui s’en est allé le plus pur, le plus saint, le plus grand de nos esprits. J’ai lu un grand nombre de journaux : pas un seul ne lui rend hommage à sa mesure. Beaucoup de mots – mais pas un seul profondément ressenti. » Peu après, il proposait au bourgmestre de Milan la composition d’une messe pour le premier anniversaire de la disparition du poète. Magnanime, Verdi s’engageait à prendre à sa charge tous les frais d’édition, de répétitions et d’exécution.
Et ce qui fut dit, fut fait. Verdi exhuma son Libera me, et termina le Requiem en quelques mois, partagé entre sa propriété de Sant’Agata où il s’était retiré pour composer en toute quiétude, et les bords de Seine durant l’été 1873. Par là même, il renouait avec ses premières œuvres dédiées à l’église. Etait-il conscient des lointaines réminiscences religieuses ressenties à l’orgue du village natal de Roncole, entre Plaisance et Parme ?
Dès sa première interprétation le 22 mai 1874 en l’église Saint-Marc de Milan où Verdi avait réglé au millimètre les détails d’exécution, l’œuvre s’émancipa du cadre liturgique pour intégrer définitivement la salle de concert : la voici qui s’épanouit à l’Opéra-Comique, à Londres, Vienne et dans toute l’Europe. Le public l’accueillit triomphalement, parachevant la démarche de sécularisation entamée par Verdi. Mais ce molosse inclassable ne fut pas accueilli unanimement par la critique. Certains, timorés, la comprirent comme l’exaltation dévergondée d’un luxueux quatuor vocal qui aurait transposé ses travers opératiques dans la liturgie la plus grave de l’Eglise catholique. Ceux- là n’entendaient-ils par l’extraordinaire raffinement d’écriture des ensembles, portés par la subtile vocalité des timbres orchestraux ? Verdi n’hésite jamais à aller chercher de tendres nuances pianissimo qu’il ne se serait pas permises à l’opéra. Car il ne désire rien moins que faire communier son public à une belle intériorité : le ton sera donc souvent celui de l’introspection et de la confidence, sans renoncer pour autant au lyrisme de l’invocation scandée à pleine voix par le chœur, à qui Verdi réserve les pages les plus ferventes de son Requiem, symbole de l’humanité criant ses souffrances et nous confiant son intime sentiment religieux.
Qu’on se le dise : rien n’est facile dans ce Requiem. Passages extravertis et aussi séquences intimistes qui requièrent du chœur attaques franches, articulations précises et sonorités qui ne doivent jamais perdre en plénitude. Le Dies irae, le Tuba mirum, le Sanctus et la fugue du Libera me projettent l’auditeur dans une conquête céleste, tandis que les passages plus méditatifs exhalent une grande profondeur expressive. En somme, une partition où importe la vision du chef, à même de temporiser les indications métronomiques de Verdi, souvent tendues. Trop ralentir mettrait les chanteurs en danger et alourdirait les textures polyphoniques, trop accélérer risque de gommer les contours de la vocalité.
Jean-Claude Casadesus les suivra-t-il à la lettre, ou bien s’autorisera-t-il un rubato de bon aloi et de généreux ritardandi à la fin des mouvements ? Observer tout cela depuis le public constitue une expérience passionnante et sans cesse renouvelée.
Benjamin François, producteur à France Musique
A lire Un opéra en robe d’ecclésiastique Hans Von Bülow
Distribution :
Inga Kalna, soprano
Elena Gabouri, mezzo-soprano
Stephen Costello, ténor
Alexander Tsymbalyuk, basse
Choeur Régional Hauts-de-France - Eric Deltour, chef de choeur
Choeur Nicolas de Grigny - Jean-Marie Puissant, chef de choeur
Avec le soutien de la Métropole Européenne de Lille et du Crédit Mutuel Nord Europe
Réservations : www.stade-pierre-mauroy.com
Elena Gabouri, mezzo-soprano
Stephen Costello, ténor
Alexander Tsymbalyuk, basse
Choeur Régional Hauts-de-France - Eric Deltour, chef de choeur
Choeur Nicolas de Grigny - Jean-Marie Puissant, chef de choeur
Avec le soutien de la Métropole Européenne de Lille et du Crédit Mutuel Nord Europe
Réservations : www.stade-pierre-mauroy.com