Shirley et Dino revisitent Donizetti et sa Fille du Régiment

Une ambiance entre opéra et cabaret. On ne se lasse pas de découvrir le talent de Corinne et Gilles Benizio. Après un King Artur décoiffant, le couple mythique s'attaque à Donizetti.



L'art de faire du neuf avec... du neuf !

On sait que La Fille du Régiment n'est pas une montagne de subtilité et sa musique n'aura jamais les fusées orchestrales de Don Pasquale.
L'intrigue est mince comme la ficelle d'un string. Nous voici immergés dans un Tyrol d'opérette occupé par l'armée française. L'héroïne a été adoptée par un sergent, éduquée dans un régiment, tombe amoureuse d'un benêt et retrouva sa Marquise de Mère, au nom impossible à prononcer !


Donizetti, habitué à la technique nerveuse du récitatif, a sans doute été victime de son désir de bien s'adapter à la tradition de l'opéra-comique français. Hélas, il a perdu de son nerf en voulant copier Auber et Halévy !
Si les chants des soldats résonnent tout au long de l'ouvrage, ils ne sont là que pour exprimer l'interminable attente qui rythme leur quotidien entre deux batailles. L'humour, indispensable, s'y retrouve dans son paroxysme pour peindre les caractères et manies quotidiennes de chacun.

Shirley et Dino ont eu l'heureuse idée de transposer l'ouvrage dans l'univers du cinéma néo-réaliste italien. Les dialogues parlés sont modernisés, actualisés, et, coup de génie, la duchesse de Crakentorp est interprété par une basse, Joao Fernandes, dont la complicité avec les metteurs en scène ne date pas d'hier. C'est lui qui tenait le rôle-titre dans leur délirant Purcell !

La scénographie est soignée, projections, photos, vidéos, et formes 3D de type mapping se marient très bien... L'art de faire du neuf avec du neuf et d'emballer le public en trois coups de cuillère à pot avec un show un tantinet déjanté, qui, comme il se murmurait à la sortie, devrait être remboursé par la Sécurité Sociale...

Dans le rôle-titre Anaïs Constant, tantôt gouailleuse et espiègle, tantôt fragile et touchante, chante une séduisante Marie. Elle se montre aussi convaincante dans les passages de virtuosité pure que dans les tendres romances amoureusement ciselées par le bergamasque.
Certains attendaient Julien Dran au tournant. Aux prises avec une partition redoutable, le ténor tire parfaitement son épingle du jeu. Son timbre convient à Tonio et sa très grande sûreté technique lui permet de triompher avec aise et éclat des huit contre-ut qui émaillent l'air « Pour son âme, quel destin » véritable piège ou farce à ténors qui en décourage plus d'un.
Acteur sympathique, il ne sombre jamais dans le ridicule et donne pour une fois un certain relief à un personnage qui en est singulièrement dépourvu.

Fofolle et bon enfant, La Marquise de Berkenfield de Julie Pasturaud, telle une Jacqueline Maillan du lyrique, emporte tout sur son passage face au Sulpice de Marc Labonnette irrésistible de verve et de drôlerie.

Dans la fosse Jérôme Pillement se plie aux désirs de ses metteurs en scène, rajoute des pages de Nino Rota ou Francis Lai, nous prive à l'entracte du deuxième acte des accents rigolos de Madame Arthur (les mauvaises langues diront que ces pages ne sont pas de Donizetti), amorce quelques talents sympathiques de comédien, imprime un rythme trépidant à la représentation, et rend, avec des Choeurs et un Orchestre Régional Avignon-Provence endiablés, vérité et éclat à une œuvre considérée à tort comme mineure.
Christian Colombeau

Christian Colombeau
Mis en ligne le Samedi 18 Janvier 2020 à 10:12 | Lu 578 fois
Christian Colombeau
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