St-Etienne, théâtre : Confidence africaine, de Roger Martin du Gard. 4 au 28 mars

Ecrit en 1931, ce récit est présenté comme la confidence d'oncle Leandro Barbazzano à Roger Martin du Gard. Elevé à Tunis, au-dessus de la librairie paternelle, Leandro partage avec Amalia, sa soeur, la promiscuité d'une chambrette. Ils mûrissent parallèlement. Quatre ans plus tard, Léandro part pour l'armée, laissant Amalia enceinte...


La situation

comédie st-etienne
Le pont d’un paquebot, la nuit, entre l’Afrique du Nord et Marseille. Un homme se confie, l’autre écoute. Celui qui écoute, c’est Roger Martin du Gard, l’auteur des Thibault et de La Gonfle. Celui qui se confie est un inconnu, Italien, libraire, installé dans une métropole du Maghreb. C’est une confession intime et scandaleuse, récit à la fois délicat et impudique d’une aventure interdite…

"Avec Christian Crahay, un des plus grands acteurs belges, nous avons beaucoup joué cette nouvelle à deux voix, autant dans les villes de Wallonie qu’à Bruxelles et en France, pendant plus de trois saisons. Après six ans d’interruption, j’ai désiré reprendre l’aventure pour voir où nous en sommes lui et moi, et ce que nous raconte aujourd’hui ce récit drôlement amoral, dans un monde de plus en plus moralisateur."
Jean-Claude Berutti


du 4 au 28 mars spectacle en soirée à 20 h

en matinée à 14 h
jeudi 6, vendredi 7
jeudi 13, vendredi 21
jeudi 27, vendredi 28

à l’Usine, Comédie de Saint-Etienne. 7 avenue Emile Loubet – Saint-Etienne
tél 04 77 25 14 14

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Regard d’André Daspre sur le spectacle

Quand il a lu la nouvelle Jean-Claude Berutti a vu tout de suite qu’il était facile de transformer le récit en conversation pour l’adapter au théâtre. Il a eu ce projet en tête pendant plusieurs années avant de présenter sa pièce en décembre 1995 à Bruxelles, puis de la rejouer au mois de mai 1997 au Théâtre national de Belgique.

Jean-Claude Berutti a d’abord été impressionné par l’audace du sujet et la qualité de l’écriture l’impudeur de cette confidence exposée avec une concision qui donne au récit une force surprenante mais, pour lui, la ville où se passe le drame est tout aussi importante : « J’ai grandi face à la Méditerranée, dit-il, sachant que, de l’autre côté, il y avait des villes qui ressemblaient à la nôtre (…) Et pourtant je savais qu’au-delà de la mer, la vie, la vie était plus violente que la nôtre (…) J’ai retrouvé cette altérité et cette proximité dans Confidence africaine de Roger Martin du Gard. »
L’adaptation de la nouvelle passe donc par une appropriation très personnelle du sujet mais qui se trouve bien accordée avec la vision tragique qu’avait en effet Roger Martin du Gard de l’Afrique. D’ailleurs Jean-Claude Berutti fonde son interprétation sur une connaissance approfondie de l’œuvre de l’auteur, en particulier du Journal dont la lecture l’a vivement intéressé.

Roger Martin du Gard s’avance donc le premier pour dire sa lettre à l’éditeur et expliquer aussi la situation au public. Puis la scène est sur le pont d’un bateau, les deux personnages assis sur des transats.

Le spectateur doit avoir l’impression que Leandro redécouvre son histoire avec lui, en même temps qu’il se libère de ses souvenirs : le personnage se construit par la parole et c’est pourquoi il a besoin d’être écouté par quelqu’un. Roger Martin du Gard ne comprend que très tard et il est alors poussé, obligé par Leandro à prendre des notes, à se remettre en situation d’écrire ; après un moment de dégoût, la curiosité l’emporte et il demande à Leandro de poursuivre son récit. Entre les deux personnages s’établissent donc des rapports complexes et très variables, conflictuels ou de connivence.

Sur le troisième personnage, Amalia, on ne connaît que le point de vue de Leandro qui laisse volontiers à sa sœur – ou à la fatalité – la responsabilité des événements. Le metteur en scène préférerait qu’Amalia fasse penser à une héroïne de tragédie grecque, victime du cercle masculin qui l’entoure.

D’après les réactions des spectateurs et les comptes rendus de presse, ce spectacle a impressionné tous ceux qui ont eu la chance de le voir, à Bussang comme auparavant à Bruxelles. Le sujet, inattendu, a étonné, l’efficacité dramatique de la mise en scène, la beauté du texte ont été beaucoup appréciées.
Jean-Claude Berutti nous dit qu’il est très attaché à cette pièce et qu’il la rejouera volontiers quand l’occasion se présentera.
André Daspre,
Cahiers Roger Martin du Gard N°2, NRF, Gallimard

Un extrait du texte

« La sœur de Leandro portait un nom si gracieux que je ne me décide pas à le changer, - d’autant que c’était bien sa seule parure. Elle s’appelait Amalia. Quoique beaucoup plus jeune que son époux (si bien que Luzzati semblait son père), elle était, elle aussi, d’une corpulence… orientale. Certes, elle n’était pas belle ; je dirai même que ses yeux plissés de tortue, son masque envahi de graisse, son teint huileux, son torse piriforme, avachi par les grossesses et les allaitements, conspiraient à faire d’elle un souverain remède contre la concupiscence.

Je m’expliquai mieux sa complexion après l’avoir vue se gaver d’une sorte de compote, faite de figues imbibées de crème fraîche et de miel. En sus des platées de macaroni qu’elle bâfrait aux repas, elle grignotait du matin au soir des friandises et ne parlait guère que la bouche pleine. Son Tiroir-caisse était garni de pistaches fourrées, de dattes, de loukoums ; et sa monnaie était toujours poisseuse. Je dois ajouter pour être juste que sa gourmandise avait un caractère impérieux, passionnel, qui l’empêchait presque d’être répugnante : cette voracité semblait la revanche, le refuge, de toutes les ardeurs d’une femme ; et cela n’était pas très loin du pathétique.

Autour d’elle grouillait une demi-douzaine de petits Luzzati des deux sexes, échelonnés de quinze à deux ans, tous gras et courtauds, joufflus et fessus, flasques comme des grenouilles, affligés de voix rauques, de tignasses laineuses, et tous d’une irrémédiable vulgarité. L’idée qu’ils étaient les frères et les sœurs de l’admirable Micaele ne me vint pas d’abord à l’esprit ; mais lorsque enfin je m’en avisai, ce fut avec une impression de stupeur. »

Roger Martin du Gard (1881-1958)

Martin du Gard, Roger, écrivain français dont l'œuvre est à l'apogée du roman postbalzacien. D'une famille de magistrats et de financiers, Martin du Gard étudia à l'École des chartes, d'où il sortit archiviste-paléographe en 1905. La lecture de Guerre et Paix, de Tolstoï, éveilla sa vocation de romancier et lui fit aborder très vite la carrière des lettres. Après quelques textes dont l'insuccès l'ébranla gravement, son deuxième roman, Jean Barois (1913), lui rallia toute une génération de lecteurs qui se reconnu dans ce parcours d'un catholique auquel la science de son temps fait abandonner la foi, militer auprès des matérialistes et des dreyfusards pour, au crépuscule de sa vie, revenir à la religion. C'est après la Grande Guerre qu'il entreprit le cycle romanesque des Thibault (neuf volumes publiés de 1922 à 1940), chronique de deux familles bourgeoises entre 1904 et 1918 et grande fresque sociologique. Dans l'Été 1914, la plus longue partie, et dans l'Épilogue, qui vient donner tout leur sens aux précédentes, le romancier montre les destins individuels face au poids de l'histoire, force tragique qui vide l'univers de toute signification et laisse les personnages livrés à la solitude et à l'incommunicabilité. En opposant les deux frères Thibault — Jacques, socialiste et pacifiste, et Antoine, qui a refusé l'engagement politique pour mieux assurer sa carrière de médecin — Martin du Gard a opposé deux attitudes à l'égard de la société et de la guerre. Contrairement à Jean Barois, qui mêle de manière originale dialogues et indications scéniques, les Thibault sont d'une facture très classique, mis à part l'emploi du procédé de multiplication des points de vue subjectifs, technique narrative empruntée au cinéma et le large appel à la coopération active du lecteur. Refusant la facilité du pathétique, l'auteur s'efface derrière ses personnages dans un dépouillement extrême du style où l'on reconnaît la rigueur et la méthode de l'ancien chartiste. Martin du Gard, Prix Nobel de littérature en 1937, a également publié quelques nouvelles (Confidence africaine, 1931), des pièces de théâtre (le Testament du père Leleu, 1913, farce paysanne) et des scénarios de cinéma. Il laisse inachevée une autre somme romanesque commencée pendant la Seconde Guerre mondiale, et qui devait prendre la forme de souvenirs d'un officier (le Lieutenant-colonel de Maumort, posth., 1983).

Dans l'amitié de plus de trente-cinq années qui lie André Gide à Roger Martin du Gard, un trait de caractère du second frappe, peu banal en réalité : une prodigieuse fermeté dans la critique, que n'altère ni l'amitié ni le respect qu'impose le "maître de la jeunesse" (Gide est de douze ans l'aîné). C'est de 1913 que date cette amitié, lorsque Gide est impressionné par Jean Barois, presque premier ouvrage de Martin du Gard, roman-scénario-pièce de théâtre à la forme révolutionnaire, fruit de trois ans d'écriture et de la volonté de l'auteur de rendre la vie dans l'écriture. Par la suite, les deux écrivains prennent l'habitude de se donner à lire mutuellement leurs manuscrits, et Gide s'entendra par exemple dire, au sujet de son Corydon : "dialogue archiconventionnel, inhumain, presque barbare, dialogue de traité psychologique"... et remerciera...
Très tôt, Roger Martin du Gard est pris par la passion d'écrire. Après des études de lettres et à l'École des chartes (dont il hérite un "fétichisme de l'exactitude", un grand intérêt pour l'histoire et une méthode de travail rigoureuse, comparable peut-être à celle de Zola), doué d'une imagination impressionnante, il décide vers vingt-cinq ans de ne plus rien faire qu'écrire. Il est grand admirateur de Tolstoï, tout comme Camus, que la capacité de Roger Martin du Gard à se consacrer tout à son oeuvre impressionne.

pierre aimar
Mis en ligne le Jeudi 21 Février 2008 à 20:59 | Lu 2530 fois
pierre aimar
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