Théâtre d’exception, le Toursky organise des universités populaires dans sa programmation 2018

Le principe de ces Universités : la gratuité. Pas d’âge requis, ni de titres, pas de contrôle des connaissances…



Les Universités populaires du théâtre Toursky aspirent à renouer avec l’utopie et l’exigence d’une culture pour tous, qui soit vécue comme un vecteur de la construction de soi et d’une identité citoyenne. L’accès au savoir est essentiel et le Toursky le sait, implanté dans des quartiers populaires où il trace, depuis plus de quarante ans, des chemins de culture et ouvre grand ses portes. Rendre culture et savoir accessibles au plus grand nombre, une vocation originelle du Théâtre Toursky, qui trouve son aboutissement toute l’année, au fil de sa programmation et de ces Universités populaires, moments de rencontres et de partages. Entrée libre • Attention, les places sont limitées : réservations conseillées.

Roland Gori

Psychanalyste, professeur émérite de psychologie et de psychopathologie clinique à l’Université Aix-Marseille, écrivain, Roland Gori a élaboré avec Richard Martin et son équipe le programme des Universités Populaires de cette année :
« Des initiatives comme celles du Toursky participent à une réhabilitation d’un savoir qui est un savoir généreux, car il est partagé. Et il est partagé gratuitement aussi bien par ceux qui l’offrent que par ceux avec qui il est offert, en dehors de toute visée utilitaire. C’est très important car cela correspond à une attente très forte de la part des citoyens, un désir véritable d’inventer quelque chose ensemble. La réhabilitation du champ politique passe essentiellement par le partage des connaissances. Pour Gramsci, la culture c’est le politique, et le politique, c’est la culture. Il s’agit de pouvoir élaborer une vision du monde qui ne soit ni les totalitarismes qu’on a connus au 20e siècle ni les totalitarismes marchands mondialisés qu’on connaît aujourd’hui, ce qui passe par les valeurs humanistes. »

2018, quatre universités, quatre temps forts - Salle Léo Ferré, à 19h

1e - Jeudi 25 Janvier : « Je selfie donc je suis » avec Elsa Godart, philosophe et psychanalyste, Roland Gori, et Richard Martin.

Au bout de ma perche, au bord d’une falaise, devant la Joconde… Et sur les clichés que je poste aussitôt sur les réseaux sociaux, c’est moi, et moi, et moi… Crise de narcissisme aigu ? Le selfie, symptôme d’un égoïsme surdimensionné ? Jeu quelque peu névrotique avec son image ? L’auteur du selfie y voit l’indice d’une modification du temps et de l’espace. Et surtout de notre rapport à la pensée et au langage au profit de la toute puissance du virtuel et de l’image. Dans une société bouleversée par le numérique, le selfie est le signe d’une crise de l’identité.
Elsa Godart nous questionne sur notre rapport au virtuel. Elle nous entretiendra du malaise dans notre nouvelle culture qu’apportent les nouvelles technologies et comment ces nouvelles techniques dans notre société hyper moderne conduisent à une réduction de la liberté au profit de dispositifs technocratiques. Comment peut-on essayer de s’en émanciper ? Sans passer sous silence les aspects positifs des nouvelles technologies quand on sait « s’en servir » sans être « asservi ».

2e – Jeudi 15 février : « La politique de la peur et des libertés » avec Roland Gori, Michèle Riot-Sarcey, professeur émérite d’histoire contemporaine et d’histoire du genre, militante et historienne du féminisme et Richard Martin.

Camus disait du XXe siècle qu’il était le « siècle de la peur ». Le XXIe sera-t-il celui de la terreur ? Peut-on faire une politique avec les peurs ? Oui, assurément, cela se nomme tyrannie ! La chose est connue. Sauf qu’aujourd’hui, il est plus qu’embarrassant de constater que les politiques de la peur ne sont pas le monopole des régimes dictatoriaux ni des totalitarismes. Les politiques de la peur deviennent à la portée des démocraties libérales. Elles fondent leur nouvel ordre politique et signent leur dégénérescence.
Michèle Riot-Sarcey est une historienne qui a énormément travaillé sur les utopies du 19e siècle et expliquera comment les tentatives d’associations de cette époque ont constitué des dispositifs d’émancipation inaccomplis. De grands penseurs tels que Proudhon ont insisté sur une conception de la liberté inséparable du droit d’association et des pratiques communes. Elle nous présentera ainsi une fresque des différentes utopies des sociétés au 19e siècle qui ont essayé, face à une société qui devenait capitaliste et industrialiste, de créer des espaces de Liberté.

3e – Jeudi 15 mars : « Le manifeste des œuvriers » avec Roland Gori, Bernard Lubat, compositeur et musicien, Charles Silvestre, journaliste et vice-président des amis de l’Humanité et Richard Martin.

Après Debout les œuvriers en janvier 2017 au Toursky, le Manifeste des œuvriers est paru aux éditions Actes Sud en avril. Le désir de retour à l’œuvre sonne à toutes les portes de la vie : la vie de l’humain qu’on soigne, qu’on éduque, à qui on rend la justice, qui s’informe, qui se cultive, qui joue, qui s’associe, qui se bat, rempart de la solidarité qui s’offre à qui sait la chercher. L’homme doit se placer au centre des activités de production et de création pour lutter contre la normalisation technocratique et financière.
La vocation du livre est de montrer que la démocratie ne s’arrête pas aux portes des usines, comme le disait Jaurès, ni des bureaux, des services, des hôpitaux etc. Il n’existe véritablement de démocratie qu’à partir du moment où la démocratie s’infiltre dans tous les lieux de vie et essentiellement dans les lieux de travail, car nous sommes dans une société où le travail est organisateur de la manière d’être ensemble.
« Œuvriers, il y a dans ce mot énigmatique, aux multiples sens, une intuition, l’intuition d’une urgence et la nécessité de révolutionner la relation au travail, à la vie… C’est une urgence. Urgence démocratique autant que subjective. Ce sont des œuvriers qui vous le disent, artiste, journaliste et chercheur. Œuvriers, manifestez-vous !! » (Roland Gori)

4e – Jeudi 31 mai – « Freud en son temps et dans le nôtre » avec Elisabeth Roudinesco, historienne à l’Université Paris VII-Diderot et psychanalyste, Roland Gori et Richard Martin.

Après des décennies de commentaires apologétiques et de dénonciations violentes, nous avons bien du mal aujourd’hui à savoir qui était vraiment Sigmund Freud. Or, depuis la publication des dernières synthèses de référence, de nouvelles archives ont été ouvertes aux chercheurs et l’essentiel de sa correspondance est désormais accessible. L’occasion est d’autant plus belle d’y revenir qu’il reste beaucoup à dire sur l’homme et son œuvre. Le fondateur de la psychanalyse est d’abord un Viennois de la Belle-Epoque, sujet de l’empire austro-hongrois, héritier des Lumières allemandes et juives…
C’est dans la Vienne de la Belle époque que l’inventeur de la psychanalyse va créer une nouvelle discipline, un nouveau savoir, une nouvelle pratique thérapeutique. Elisabeth Roudinesco abordera Freud, non pas du point de vue du psychanalyste, mais plutôt en tant que penseur de la modernité. Même si Freud était plutôt d’un humanisme conservateur, il a, avec l’invention de la psychanalyse, ouvert à une critique sociale.

Parlant à bâtons rompus de la tenue de ces Universités Populaire, Religion de marché
« Le nouvel ordre mondial a tendance à prolétariser les peuples en confisquant cette capacité de changer, de choisir, de décider de la manière de vivre au profit d’une nouvelle politique de rentabilité immédiate profitable à quelques-uns seulement. On le voit nettement aujourd’hui, nous avons un ordre mondial qui s’est constitué au profit d’une vision du monde essentiellement néolibérale qui vise à tout expliquer par l’économie au point que c’est devenu une religion du marché. De nos jours, le libéralisme est devenu une férocité de guerre de tous contre tous et on se retrouve en contrepoint des valeurs philosophiques qui avaient fondé le libéralisme. Il est en train de se produire quelque chose d’extrêmement grave, d’autant plus facilement que l’effondrement, par exemple, du mur de Berlin, l’effondrement de la bipolarisation politique des super puissances, ont conduit , non pas à une émancipation démocratique, mais à une espèce de colonisation du mode de penser et de vivre à l’Américaine. Comme le dit très justement Régis Debray : « Voilà comment nous sommes tous devenus américains ». Les gouvernements qui se prévalaient du socialisme se sont avérés, non pas sociaux-démocrates, mais sociaux-libéraux, c’est-à-dire adoptant le logiciel du néolibéralisme, et ils se sont effondrés aussi. »

Inventer une vision du monde politique et culturelle
-« On a aujourd’hui la lourde charge d’inventer de nouveau une vision du monde politique et culturelle qui nous permette de nous émanciper de ce totalitarisme mou qui met le citoyen et les peuples sous curatelle technico-financière. Aujourd’hui, alors que la liberté implique le partage et la reconnaissance collective, le droit de décider ensemble ce qui est bon pour la cité, aujourd’hui c’est une extrême solitude, un individualisme de masse, un hédonisme de masse : ils sont désaffiliés. Ils sont désocialisés, et c’est dans cette situation, c’est-à-dire dans le désert d’un espace commun dépolitisé, qu’ils sont la proie de prédateurs totalitaires sectaires, fascistes ; de théo-fascistes comme DAECH ou AL KAIDA, d’intégrismes religieux, de l’extrême droite, ou de totalitarisme libéral. »

La notion de Liberté
-« Tout au long du 19e siècle, l’émergence d’une liberté moderne, cette notion de liberté d’association, d’expression, d’opinion, va passer par la possibilité d’associations de travailleurs sur les lieux de travail. La notion de liberté politique s’avère consubstantielle du droit du travail, de droits sociaux, d’expression sur les lieux de travail et de négociation collective. Le néo-libéralisme a pulvérisé les services publics accompagné d’une espèce de culture philosophique entrepreneuriale faisant l’éloge d’un individu autoentrepreneur de lui-même, une espèce d’autoentreprise gérée, ouverte à la concurrence et à la compétition sur le marché des jouissances existentielles. Elle met le sujet humain en rivalité avec les autres, elle le dissocie d’une conception philosophique de la liberté comme étant une reconnaissance par les égaux, par ses semblables. »

Politique de la peur, émotion politique utilisée comme instrument du politique
-« La peur n’a pas que des aspects négatifs : la peur de mourir permet de donner à l’Etat le soin de veiller sur sa sécurité, donc abandon de la violence individuelle. Mais la politique de la peur est une émotion politique utilisée comme instrument du politique. La peur est l’instrument de toute forme de dictature, de toute forme de tyrannie quand elle est utilisée de façon à soumettre les individus. Le néolibéralisme, par la pulvérisation des protections sociales en faveur des religions du marché, conduit non seulement à ce que la peur soit portée par les dangers terroristes mais instrumentalisée contre l’engagement des hommes qui, n’étant plus protégés par le travail et les lois sociales, se trouvent gouvernés dans les services, dans les entreprises, avec l’instrumentalisation de la peur. En mettant les individus en situation de précarité, de vulnérabilité sociale, la peur revient au-devant de la scène sociale et politique. La peur est une émotion politique sidérante, inhibante, par la peur de la pensée politique elle-même. »

Favorisation des terrorismes
-« Le thème de la peur est dangereux car il empêche de penser politiquement le monde. Les Etats-Unis ont favorisé et instrumentalisé ce qui va devenir AL KAIDA. Ben Laden a été fabriqué par les Etats-Unis et l’Arabie Saoudite, d’abord contre les Russes en Afghanistan, avant qu’il ne se retourne contre ceux qui l’ont formé. Le 11 septembre a été en partie favorisé par l’utilisation du motif religieux dans la volonté d’émancipation politique de certains peuples pour éviter une émancipation qui se ferait au nom du socialisme ou de l’émancipation progressiste. Cela paraissait moins dangereux. Manipuler ainsi nombre de leaders politiques qui participaient à des soulèvements divers et variés dans différentes régions du monde en les orientant sur les religions est une tentative diabolique, un jeu dangereux. »
Impudeur des médias
-« On est dans des productions à la chaîne d’infos marchandises spectacles consommées très vite car à durée de vie limitée. Les médias sont sous la pression des industries médiatiques ce qui aboutit à une obésité médiatique que j’appelle « l’infobésité ». Surtout ne pas fatiguer de façon à faire ingurgiter tout ce qu’on déverse, pour un maximum d’audimat. »
Pas de langage instrumentalisé
-« Il y a longtemps que je travaille sur la valeur de la parole et du langage, de différentes façons : par l’analyse psychanalytique dans mes jeunes année et aujourd’hui dans une analyse plus sociologique et politique. Je crois que ce qui nous différencie des animaux et des machines, c’est la possibilité de pouvoir parler autrement que de manière utilitaire. Il y a dans la parole et le langage une dimension politique qu’on ne trouve pas dans le traitement numérique des informations. Que l’on puisse, avec le numérique, privilégier la dimension instrumentale du langage, la parole comme outil, est quelque chose de terrible, de fasciste qui, finalement, va mener l’humain au rang de la machine, et au mieux de l’animal, c’est-à-dire une configuration de signaux. »
(Propos recueillis auprès de Roland Gori)

Théâtre Axel Toursky
16 promenade Léo Ferré
13003 MARSEILLE
(parking à 3mn à pied)
Tél 04 91 02 58 35
www.toursky.fr

Pierre Aimar
Mis en ligne le Mercredi 3 Janvier 2018 à 13:44 | Lu 1561 fois
Pierre Aimar
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