Triomphe et sacre de Franck Ferarri dans Thaïs, de Massenet en ouverture de saison de l'opéra de Toulon

Une nouvelle production de l'Opéra-théâtre de Saint-Etienne qui tient ses promesses


Un spectale qui voit le triomphe et le sacre de Franck Ferarri

© Frédéric Stefan
Composée sur un livret sobre et soigné, Thaïs permet d’apprécier une œuvre moderne, une aquarelle parfaitement réussie pour qui sait la prendre telle qu’elle est, et qui finalement a mieux vieilli qu’on ne pense généralement.
Si la conversion d’une voluptueuse courtisane par un ermite, qui en fin d’ouvrage se découvre pêcheur à la mort de la débauchée repentie, fera toujours pleurer dans les chaumières, on accède ici aux portes du Paradis, dans un raffinement orchestral contrasté, précieux, rare.
Cette fresque impressionniste nous promène, avec la fluidité d’une eau de source, de l’univers ascétique et sévère du désert de la Thébaïde à l’Orient grouillant et coloré d’une Alexandrie de fin de siècle. Le charme un peu louche de la célèbre Méditation achève de nous séduire.
Enfin, Massenet innove avec des solutions aussi éloignées que possible des traditions italiennes ou allemandes. Comme un équilibre stylistique entre symphonie et dramaturgie, entre poésie et musique, entre les personnages et le chant.
Thais ou la parfaite synthèse voix-théâtre-musique ? Qu’il nous soit permis de poser la question.

Il faut pour cet ouvrage à la morosité un rien chronique une mise en image quasi cinématographique.
Jean-Louis Pichon l’a bien compris. Sortant intelligemment des sentiers battus, il fait de l’héroïne une proche parente de Traviata, Sapho et toutes les filles à la croupe légère qui trouveront d’une manière ou d’une autre la rédemption ou le rachat de leur vie dissolue en quelque chose d’autre ou de supérieurement spirituel.
Mais ce diabolique homme de théâtre, mine de rien, vous assaille de questions.
Dans cette valse hésitation pleine de passion fiévreuse, qui domine qui ? La putain-martyre sans bourreau ou le missionnaire sans cause véritable à faire triompher sinon son propre désir de posséder cette catin pour lui seul ?
Entre le moine qui se damne et la courtisane qui se cloître pour mieux mourir en odeur de sainteté, qui trompe qui ? Thaïs a-t-elle vraiment été touchée par la grâce du Tout-Puissant ou réagit-elle par crainte de vieillir ? Athanaël se damne-t-il pour un amour plus grand que Dieu même ? Au spectateur de juger…

Thaïs est sans doute la plus « massenétienne » de toutes les figures féminines.
Sur la scène de l’Opéra de Toulon, Ermonela Jaho possède la couleur vocale et la légèreté apparente du rôle titre. Les aigus sont un peu courts certes, pas toujours dans la portée, comme arrachés aux forceps… Ne chipotons pas, devant tant de conviction et ailleurs de beautés vocales voilà une prise de rôle convaincante.
Plaisir de retrouver dans une forme éblouissante, transfiguré, le niçois Franck Ferrari (très Christ de Passion) qui trouve avec cet Athanaël musculeux à souhait, le rôle de sa vie. Parfait, simplement parfait ! Mettez dans un ordinateur les voix des Massard, Blanc, Bianco et vous avez le résultat : un timbre d’airain, chaleureux, solaire, des aigus longs comme un Golgotha, une diction exemplaire, une conviction dramatique rare, une fureur sacrée à rendre jaloux les plus illustres titulaires du rôle. Avec en prime ce quelque chose dans la voix d’immense et de douloureux.
Bien en place aussi les chœurs et tous les seconds rôles avec une mention pour le Nicias un rien exotique de Dominique Moralez.
Un mot pour finir sur Giuliano Carella. Mouillant sa chemise comme pas deux, sa direction, habitée, épanouie, lyrique, généreuse, captive de bout en bout. Fascinant Maestro.
Christian Colombeau

CHRISTIAN COLOMBEAU
Mis en ligne le Samedi 16 Octobre 2010 à 07:37 | Lu 969 fois
CHRISTIAN COLOMBEAU
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