Trois textes venus de l’est aux éditions Philippe Picquier. Par Jacqueline Aimar

Vision de la Chine, passage par la Corée, escapade au Japon, l’Europe se trouve contrainte à tourner les yeux vers l’est plus souvent. Comme pour rattraper le temps perdu. Un autre regard plus ample et qui se voit étrangement renouvelé. Oubliés l’Orient et la route de la soie, un autre monde s’installe avec sa force et sa nouveauté.
C’est pourquoi sans doute, les Editions Philippe Picquier installées en Arles, -ville décidément très littéraire et un brin ministérielle-, publient coup sur coup quatre œuvres, proposant quatre regards neufs pour quatre découvertes…


Toujours plus à l’est, de Benjamin Pelletier - Picquier Poche

Le prof de français est pour un an à l’Alliance française de Séoul.
Premier contact difficile ; l’appart est minuscule, le lino dur sous le dos au long des nuits, et la foule aux visages sans expression peu amène. Il faut dire aussi que le prédécesseur pressé de partir n’a guère le jugement amical, ni généreux.
Pelletier plonge le lecteur comme il est lui-même plongé dans Séoul grouillante et bruyante, dans une vie à la fois solitaire et agitée. Et puis viennent des sourires, ceux des vieilles dames, et surtout les premiers mots : redécouvrir la merveille des mots qui disent, qui communiquent.

Récit au fil des jours peut-être, les repas dans la rue dans les petits restos, sans couverts et sans nappes (l’auteur rejette sans limite l’apparat de la table française) et les saveurs nouvelles ; puis viennent les cours, les élèves et les fous rires, les fêtes, les excursions, bref la vie ordinaire dans un pays qui ne l’est guère.
Il ne faut pas rater ce dimanche où un car entier « d’alpinistes » suréquipés partent pour l’ascension d’un mont qui permet de voir au loin… la Corée du Nord.
Un mont pas plus haut que Montmartre !

Il ne s’agit pas d’un roman mais de la relation finement observée d’une rencontre avec d’autres, plus à l’Est, qui nous fait participer à la vie au fil des jours avec d’autres gens, dans un autre pays, vivant d’autres rites et mœurs ; qui fait éclater préjugés et découvertes sommaires et nous fait entrer en amitié avec ce peuple chez qui on travaille tant, où l’on se donne tant la mort, et qui sait si bien boire et s’amuser.
N’est guère posée la question du bonheur ?

Pelletier est passionnant à lire, sa langue rapide et très expressive ; pas un instant d’ennui mais des sourires, des notations fines. En définitive on peut affirmer que son livre transpire d’amitié et d’une sorte d’allégresse de vivre bien éloignée de la crispation acide qui animait les débuts, à l’arrivée à Séoul
Un pays à découvrir déjà tout décodé au travers des mots de Benjamin Pelletier.

La péninsule aux 24 saisons, de Inaba Mayumi - Editions Philippe Picquier

Inaba Mayumi a écrit dès l’adolescence. De la poésie d’abord et aussi son amour pour les chats. Elle meurt en 2014. Peu de temps après avoir passé un an dans cette Péninsule aux 24 saisons en bord d’océan.
« C’est monsieur Tachibana, qui m’a fait connaître l’existence de ce calendrier » et de ses 24 saisons qui ne font qu’une année, car chaque mois compte pour deux saisons dans cet ancien calendrier de jardinage qui lui sert de repère.
« Comparé au calendrier qui divise les douze mois en trente ou trente un jours, celui qui répartit les périodes de l’année en 24 saisons donnait du relief à la monotone répétition quotidienne et me causait une légère excitation. »

Il faut imaginer la vie dans cette maison au-dessus de la mer, où les arbres, les bambous et les plantes, les osmanthes et les miscanthes, les cryptomères et les akébies possèdent la terre et le paysage, où l’eau ruisselle autour et au dessous, où la forêt se fait proche, forêt rouge et sanglante des camélias ; un monde autre, pays de mer et de fleurs, de rizières et de bambous, de ruisseaux et d’herbes diverses qui dévorent la terre et qu’il faut sans cesse arracher jusqu’à s’en tuer les mains, de légumes cultivés, qu’on va mettre au vinaigre ou en bocaux. Que de fruits et de légumes, connus ou inconnus, que de fleurs et de plantes à découvrir sur cette péninsule boisée !

Un pays de nature et de vie simple, où une dizaine de couples souvent âgés occupent des maisons isolées presque voisines en forme de hameaux éparpillés. Là on fait du miel, des miels - un délice ; là on fabrique des teintures de plantes, rares, pour les tissus ; là on rafistole une maison dont la vue sur la mer coupe le souffle. Là on vit sa retraite au calme, au rythme des 24 saisons.

Bref le long de cette côte sauvage et découpée qui fait le Japon, où le sol parfois grogne, on vit libre et en amitié se rendant service et partageant les petites gourmandises des jardins ou des bois, pousses de bambous, fraises sauvages et champignons, les petits échanges sur les terrasses ou au coin du feu. Tout simples.
Le livre ne raconte pas d’histoire même s’il frémit sans cesse de ne pas en raconter. Il est la vie, une année de vie de l’auteur, 24 saisons, décidée enfin dans les dernières pages à laisser son studio de Tokyo pour s’installer définitivement dans cette maison au bord du Pacifique, sur la péninsule.
Et qui semble-t-il, n’y reviendra pas.

Lorsque j’ai appris, lecture achevée qu’Inaba Mayumi était morte j’ai ressenti de la tristesse. Il est vrai qu’elle portait sans cesse en elle une ombre, une pensée de mort, une attente peut-être. Comme tous les humains…
Et pourtant il y a trois jours j’ignorais jusqu’à son nom, je n’imaginais pas son pays, ne savais rien des osmanthes ni des miscanthes, et le mot Japon n’avait pour moi ni fleurs, ni fruits ni arbres. Ni goût, ni odeur.

Maintenant je vois tout cela et je connais ce peuple de là-bas sur son île allongée et rocheuse, où il peut faire si chaud si froid et où le goût des aliments conserve encore du vrai, du terrien et du marin aussi.
Un réel plaisir de la découverte.

Bonsoir, la rose, de Chi Zijian - Picquier Poche

A première vue un roman de bonne femme (j’en suis une, pas de sexisme) ; une jeune femme maigre et ordinaire, pas belle, peu aimée, d’une famille grinçante exception faite d’un frère, peu aimante. Autour de la recherche d’un logement va s’élaborer l’histoire, hésitante, laborieuse de Xiao’e, correctrice d’épreuves dans une agence de presse, ballotée d’un logement à l’autre jusqu’à la belle maison de Léna.
Nous sommes à Harbin cette ville de Chine, au nord près de la frontière russe, là où ont lieu chaque hiver de grandioses expositions de sculptures de glace. Ignorées par ce roman.
Il y fait froid en de longs hivers et la pollution règne : « dès que les chauffages sont allumés, toutes les cheminées de la ville, se mettent à cracher de la fumée de charbon avec entrain… les fumées stagnent coiffant la ville d’un pesant bonnet gris acier qui met mal à l’aise ». Mais heureusement les étés brûlent.

Amitié avec Weina, amours hésitantes avec Ji Deming, plutôt à la recherche d’une cuisinière que d’une épouse, l’incertaine héroïne de Bonsoir la Rose demeure bousculée par la vie, mais proche de Léna sa logeuse, vieille dame juive, croyante et fière qui l’héberge, la conseille et la protège. Pour se coiffer et se vêtir aussi. Modèle de raffinement, connaissance de la mode, une véritable leçon de ce goût que l’on croyait réservé à la France !
Dans ce roman de femme tout en finesse et presque en tendresse, Hi Zijian plonge le lecteur dans les traditions de la Chine ; ainsi la possibilité d’adopter celui ou celle qu’on désire aider ou aimer, une fille, ou un père, les traditions bien lourdes, les viols et les fantômes…
Dans cette ville qui a accueilli et protégé les juifs pendant la dernière guerre, une des deux synagogues ouvre sur le dénouement. Comme les hommes semblent manquer singulièrement de consistance, c’est l’amitié entre les femmes qui va donner au roman son architecture et conduire le récit.

Bonsoir la Rose, livre au lecteur une Chine à la fois inconnue et familière, celle de l’existence ordinaire qui fait dire « je pourrais y vivre aussi » : dans une langue claire et sobre Chi Zijian met en scène des personnages d’ailleurs et pourtant vite familiers, bien de notre temps bien que chargés de lourdes traditions. Ils attirent la sympathie et ouvrent le regard sur cette Chine du Nord si froide et si lointaine où les humains marchent, aiment et souffrent sous les mêmes étoiles que les nôtres.

Pierre Aimar
Mis en ligne le Mercredi 21 Mars 2018 à 02:09 | Lu 545 fois
Pierre Aimar
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