Un cri d’humanité, « Sois un homme mon fils » de et avec Bouchta, Théâtre Toursky à Marseille

« Je me presse de rire de tout, de peur d’être obligé d’en pleurer. » Bouchta a fait sienne la citation de Beaumarchais et nous fait rire là où ça fait mal. C’est sa façon de combattre les maux, les tabous, l’intolérance, le machisme, l’homophobie, les mariages forcés… la cruauté banalisée


© Candice N’Guyen

Naissance d’un comédien

Nous avions vu « Sois un homme mon fils » programmé cet été lors du festival d’Avignon. Il est actuellement à l’affiche du Théâtre Toursky à Marseille quatre jours par semaine, les : mardi, mercredi, vendredi et samedi, ce jusque fin décembre.

La salle est pleine. J’apprends qu’elle l’est tous les soirs. Bouchta entre en scène et ce sont une heure vingt de bons mots, de trouvailles, dans le texte, dans les gestes. Certaines parties sont édulcorées, voire supprimées, d’autres ajoutées avec bonheur par rapport à la première version. Le comédien et le metteur-en-scène ont affiné, peaufiné le spectacle. Les gestes sont précis, les traits d’humour font mouche à chaque fois, les situations cocasses se succèdent sans essouffler le comédien, tout en gardant le public en haleine. Le travail de l’acteur et du metteur-en-scène, Richard Martin, a payé ! En rendant le comique plus nuancé, il enrichit et renforce les situations cependant que la violence en latence sous les propos, la détresse de l’homme qui raconte une vie de souffrance, sa vie donc, remonte à la surface, devient palpable sous le rire. L’hilarité est souvent de la partie. Le public s’amuse car c’est désopilant mais il ne peut plus ne pas savoir. C’est un cri d’humanité que pousse Bouchta, un cri de détresse qu’il module, façonne, transforme en un humour décapant. Une gageure réussie, celle de témoigner, d’alerter, de revendiquer sa liberté tout en distrayant, en égayant.

S’il était possible d’émettre quelques bémols quant au travail du comédien en juillet, c’est un Bouchta transfiguré que nous avons retrouvé en ce vendredi de décembre, un comédien qui, soir après soir, fait face à ses démons et soigne ses plaies grâce aux éclats de rire d’un public totalement conquis.

Comme tous ceux qui ont grandi dans la rue et le quartier, Bouchta possède cet esprit vif, gouailleur, railleur même qui font les Gavroche modernes et les humoristes talentueux.
Bouchta est un enfant du quartier qui n’avait jamais mis les pieds dans un théâtre. Richard Martin lui a ouvert le sien et lui a confié une scène. Au bout de longues heures d’incertitude et de travail acharné, Bouchta l’a faite sienne. Le résultat est là, clair, flagrant, éclatant. Le théâtre Toursky, implanté dans le quartier le plus pauvre de Marseille, prouve une fois de plus son rôle de phare culturel ouvert à tous.
Fils d’immigrés algériens installés à Marseille, Bouchta grandit dans l’une des premières cités HLM. Il y connaît les joies de l’accession à un appartement neuf, les ruses de la débrouille… Mais il est le onzième enfant de la famille, « différent » des autres. Commence alors une quête d’identité douloureuse… Le rire est une réponse au tragique. C’est l’antidépresseur idéal. Le réel reste le réel, mais mis en scène, il devient une revanche sur le destin. Immigration, intégration et homosexualité, avec cette création choc, Richard Martin s’empare d’un sujet brûlant d’actualité. Devant nous, Bouchta, désopilant, explosif, tendre, émouvant, sort de sa coquille, se régénère et nous offre sa Cage aux folles, version couscous.
Une création à voir et à revoir
Danielle Dufour-Verna

« Sois un homme mon fils »
Une production Théâtre Toursky International - Cie Richard Martin.
En résidence d’écriture à l’Espace Léo Ferré depuis septembre 2018. Avec le soutien de Kalypto, Alris et Françoise Delvalée.
www.toursky.fr
16 passage Léo Ferré
13003 Marseille (parking assuré)
tél 04 91 02 54 54

Danielle Dufour-Verna
Mis en ligne le Mercredi 11 Décembre 2019 à 06:07 | Lu 330 fois
Danielle Dufour-Verna
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