La vie épanouie dans la beauté d'une gestuelle émouvante
Fidèle à la trame du roman qui évoque l'épanouissement d'une Lady (Constance) explorant avec Mellors, le garde-chasse de son mari, Clifford Chatterley, rendu impotant à la suite d'une blessure de guerre, les violences d'une sexualité sauvage, dans le mépris des conventions, Julien Lestel a choisi de mettre en relief, par la danse, dans une gestuelle giratoire associée à la musique répétitive de Philip Glass, des élans pulsionnels d'êtres déchirés, des mécanismes de séduction ou d'extase, de désespoir ou d'anxiété révélateurs de l'inconscient. Mais en même temps, une façon, pour une femme, de se révéler à soi et aux autres, en passant de l'isolement à l'épanouissement à travers toutes les figures de l'amour physique que D. H. Lawrence nous décrit par le verbe. Un pari réussi pour illustrer un écrivain qui, en réalité, s'intéressait vivement aux danses rituelles des Indiens Navajos du Nouveau Mexique, aux chorégraphies de bacchantes d'Isadora Duncan et à la sauvagerie sensuelle de Nijinsky.
Le ballet se compose d'une dizaine de séquences dynamiques qui développent la longue quête de Constance pour rompre avec les circonstances:la vie de noble châtelaine, son mari Clifford Chatterley, le titre de Lady, et trouver en Mellors, le garde-chasse, son destin et l'axe même de sa vie.
Les premiers tableaux nous la présentent réfléchie dans le miroir de quatre danseuses vacillantes (Cinthia Labaronne, Agnès Lascombes, Valérie Blaecke et Noémie Djiniadhis), quatre ombres, quatre apsaras en file indienne tournoyant entre mari et amant dédoublés (Gilles Porte, Michel Béjar, Julien Lestel, Vincent Chaillet) avant de réaliser, métamorphose oblige, une impressionnante figure d'éventail dans l'irruption progressive de bras tendus, paumes des mains perpendiculaires aux poignets tordus, à la manière du dieu Shiva. Le premier pas de deux qui évoque les premiers contacts entre la Lady et l'homme des bois, développe une gestuelle d'attirance qui s'impose dans l'hésitation:deux lianes qui se nouent et dénouent avant un rythme de mouvements rapides et élancés dans des portés sur l'épaule jusqu'au haussement acrobatique à bout de bras. A l'opposé, les pas de deux avec le mari insisteront sur la pesanteur du lien que vivent les époux:Clifford traîne Constance comme un boulet. Et dans la mesure où tous ces personnages dansent leur vie, arrive un moment surprenant dans ce ballet où l'on se trouve frappé par le synchronisme parfait des mouvements entre les deux Mellors, les deux Clifford et les quatre Constance, dans une sorte de chevauchée fantastique. Passé ce moment, la nuit tombe sur le couple du mari et de la femme, avec la révélation de la relation secrète qui conduit à la rupture et à l'émancipation de Constance dans un pas de deux très sensuel où, couchés au sol, assis dos à dos, bras entrelacés, se fixant, s'étreignant, les amants dupliqués sur le plateau magnifient leur victoire dans la fusion insufflée aux deux corps qui ne font plus qu'un.
Il y a dans ce ballet audacieux une volonté manifeste du chorégraphe de plaider pour une danse d'une distinction parfois irréelle qui ne relève ni du divertissement, ni du manifeste idéologique. Citant discrètement les styles et les techniques de Nijinsky, Balanchine, Lifar, Massine ou Kylian, Julien Lestel se situe au-delà de l'érotisme, de la pornographie ou de l'obscénité. Derrière les sauts, les grands jetés, les tours en l'air, les glissades, les détirés, ou les évolutions horizontales au sol exécutés par huit danseurs admirables, figure toujours la volonté de faire exister ce que Paul Valéry appelait "l'âme de la danse", c'est à dire ce qui représente la source même de la vie épanouie dans la beauté d'une gestuelle émouvante.
Philippe Oualid
Le ballet se compose d'une dizaine de séquences dynamiques qui développent la longue quête de Constance pour rompre avec les circonstances:la vie de noble châtelaine, son mari Clifford Chatterley, le titre de Lady, et trouver en Mellors, le garde-chasse, son destin et l'axe même de sa vie.
Les premiers tableaux nous la présentent réfléchie dans le miroir de quatre danseuses vacillantes (Cinthia Labaronne, Agnès Lascombes, Valérie Blaecke et Noémie Djiniadhis), quatre ombres, quatre apsaras en file indienne tournoyant entre mari et amant dédoublés (Gilles Porte, Michel Béjar, Julien Lestel, Vincent Chaillet) avant de réaliser, métamorphose oblige, une impressionnante figure d'éventail dans l'irruption progressive de bras tendus, paumes des mains perpendiculaires aux poignets tordus, à la manière du dieu Shiva. Le premier pas de deux qui évoque les premiers contacts entre la Lady et l'homme des bois, développe une gestuelle d'attirance qui s'impose dans l'hésitation:deux lianes qui se nouent et dénouent avant un rythme de mouvements rapides et élancés dans des portés sur l'épaule jusqu'au haussement acrobatique à bout de bras. A l'opposé, les pas de deux avec le mari insisteront sur la pesanteur du lien que vivent les époux:Clifford traîne Constance comme un boulet. Et dans la mesure où tous ces personnages dansent leur vie, arrive un moment surprenant dans ce ballet où l'on se trouve frappé par le synchronisme parfait des mouvements entre les deux Mellors, les deux Clifford et les quatre Constance, dans une sorte de chevauchée fantastique. Passé ce moment, la nuit tombe sur le couple du mari et de la femme, avec la révélation de la relation secrète qui conduit à la rupture et à l'émancipation de Constance dans un pas de deux très sensuel où, couchés au sol, assis dos à dos, bras entrelacés, se fixant, s'étreignant, les amants dupliqués sur le plateau magnifient leur victoire dans la fusion insufflée aux deux corps qui ne font plus qu'un.
Il y a dans ce ballet audacieux une volonté manifeste du chorégraphe de plaider pour une danse d'une distinction parfois irréelle qui ne relève ni du divertissement, ni du manifeste idéologique. Citant discrètement les styles et les techniques de Nijinsky, Balanchine, Lifar, Massine ou Kylian, Julien Lestel se situe au-delà de l'érotisme, de la pornographie ou de l'obscénité. Derrière les sauts, les grands jetés, les tours en l'air, les glissades, les détirés, ou les évolutions horizontales au sol exécutés par huit danseurs admirables, figure toujours la volonté de faire exister ce que Paul Valéry appelait "l'âme de la danse", c'est à dire ce qui représente la source même de la vie épanouie dans la beauté d'une gestuelle émouvante.
Philippe Oualid
Constance © Lucien Sanchez