Elisabeth Oualid : Comment ce spectacle s'est-il réalisé chorégraphiquement ?
Frédéric Flamand : On est parti de la scénographie d'Ai Weiwei. Je lui ai expliqué le roman qu'il n'avait pas lu. L'idée des échelles lui est alors venue de suite. L'échelle est un objet simple qui relève de l'esprit modulaire de la culture chinoise : avec 35000 pièces de bois ajustables de différentes manières, les chinois construisaient, par exemple des temples.
E. O : Quel sens symbolique accordez-vous à cette forêt d'échelles enchevêtrées?
F. F : Au départ, tout est au sol, écrasé. Les gens ne comprennent pas ce qui va se passer!Nous sommes dans un atelier de constructions. Il y a des ouvriers qui déplacent des échelles comme dans le cadre d'un travail à la chaîne absurde, en Chine, et il y a aussi des filles qui entrent sur les pointes en marche arrière. Puis le spectacle se construit sur une élévation progressive de la structure métallique. Cette structure qui monte dans l'espace commence à se casser, à vivre, devient une construction à la Piranèse, elle pèse sur les danseurs, les libère, les fait chavirer et glisser. Elle permet à l'un d'eux qui s'y est accroché d'observer, comme le Baron perché, le petit monde qui évolue en bas et continue à danser sans s'apercevoir de ce qui se passe au-dessus de sa tête. A d'autres moments, les danseurs s'emparent des échelles et s'élèvent aussi dans les hauteurs. La dernière image est celle de la fin du roman : le danseur disparaît exactement comme le baron qui prend une Mongolfière et s'envole.
E. O : Quelle part les danseurs ont-ils eu dans cette création chorégraphique?
F. F : Je pense qu'ils se sont impliqués fortement au niveau de l'improvisation, de la recherche personnelle. Pour ma part, je crée une espèce de partition. A partir de là, on commence des improvisations, je fais des choix, je crée des micro-unités, mais au départ j'essaie de ne rien fixer pour laisser aller dans le plus de directions possible, ensuite je cherche à resserrer, à structurer.
E. O : Est-ce que vous pensiez à des références classiques lorsque vous avez créé ce spectacle?
F. F : On y pense ! C'est un voyage dans le temps et dans l'espace. Ici, par exemple, j'ai pensé à un univers baroque italien. Quand la structure se lève, une fille apparait qui porte une sorte de robe d'échelles dans des couleurs extrêmement dorées qui font penser à une peinture de la Renaissance. C'est tout à fait hallucinant, ça évoque certains tableaux d'église à Venise. J'essaie de créer des atmosphères baroques avec des éléments très pauvres. . . Mais on vit aussi aujourd'hui dans un monde technologique et ce qui demeure important pour moi, c'est de mettre en rapport différentes dimensions du Temps.
E. O : Quelle direction pensez-vous pouvoir donner aujourd'hui à la danse?
F. F : Je ne suis pas venu au Ballet National de Marseille, deuxième compagnie de France, comme un iconoclaste ! Je suis venu pour mettre en dialogue différentes disciplines au coeur de la danse. La technique classique m'intéresse dès lors qu'elle peut dialoguer avec la technique contemporaine. Je cherche à mettre en rapport ces deux techniques qui ont des exigences très différentes.
E. O : Comme William Forsythe qui explore les limites du mouvement?
F. F : Oui, mais à partir de la danse classique, sans oublier la personnalité des danseurs. On voit très bien cela dans le pas de deux que nous avons produit ici, Herman Schmerman, où l'on perçoit une connivence magnifique entre les deux interprètes Agnès Lascombes et Julien Lestel. La danse classique travaille sur la verticalité, l'élévation, la danse contemporaine, à l'opposé, c'est le rapport au sol, le côté organique de la chose : les deux mises ensemble permettent d'expérimenter des langages, des grammaires nouvelles. Quant au danseur lui-même, il a une carrière très brève qui est la métaphore de la vie puisque à quarante ans, c'est fini, avec une espèce de don total, sans calcul, d'utopie merveilleuse. .
E. O : Est-ce que les danseurs, parfaitement formés à la technique classique, s'adaptent rapidement à ces nouvelles grammaires?
F. F : C'est très différent d'une personnalité à l'autre. . . Il y en a pour qui c'est très difficile, d'autres pour qui c'est trop tard, il y en a qui refusent, il y en a qui plongent là-dedans et s'y affirment, tout ça reste très divers dans une compagnie qui réunit trente personnalités différentes, c'est cela qui fait évidemment la richesse du BNM.
Entretien réalisé au BNM, le 4 Juin 2010, par Elisabeth Oualid
Frédéric Flamand : On est parti de la scénographie d'Ai Weiwei. Je lui ai expliqué le roman qu'il n'avait pas lu. L'idée des échelles lui est alors venue de suite. L'échelle est un objet simple qui relève de l'esprit modulaire de la culture chinoise : avec 35000 pièces de bois ajustables de différentes manières, les chinois construisaient, par exemple des temples.
E. O : Quel sens symbolique accordez-vous à cette forêt d'échelles enchevêtrées?
F. F : Au départ, tout est au sol, écrasé. Les gens ne comprennent pas ce qui va se passer!Nous sommes dans un atelier de constructions. Il y a des ouvriers qui déplacent des échelles comme dans le cadre d'un travail à la chaîne absurde, en Chine, et il y a aussi des filles qui entrent sur les pointes en marche arrière. Puis le spectacle se construit sur une élévation progressive de la structure métallique. Cette structure qui monte dans l'espace commence à se casser, à vivre, devient une construction à la Piranèse, elle pèse sur les danseurs, les libère, les fait chavirer et glisser. Elle permet à l'un d'eux qui s'y est accroché d'observer, comme le Baron perché, le petit monde qui évolue en bas et continue à danser sans s'apercevoir de ce qui se passe au-dessus de sa tête. A d'autres moments, les danseurs s'emparent des échelles et s'élèvent aussi dans les hauteurs. La dernière image est celle de la fin du roman : le danseur disparaît exactement comme le baron qui prend une Mongolfière et s'envole.
E. O : Quelle part les danseurs ont-ils eu dans cette création chorégraphique?
F. F : Je pense qu'ils se sont impliqués fortement au niveau de l'improvisation, de la recherche personnelle. Pour ma part, je crée une espèce de partition. A partir de là, on commence des improvisations, je fais des choix, je crée des micro-unités, mais au départ j'essaie de ne rien fixer pour laisser aller dans le plus de directions possible, ensuite je cherche à resserrer, à structurer.
E. O : Est-ce que vous pensiez à des références classiques lorsque vous avez créé ce spectacle?
F. F : On y pense ! C'est un voyage dans le temps et dans l'espace. Ici, par exemple, j'ai pensé à un univers baroque italien. Quand la structure se lève, une fille apparait qui porte une sorte de robe d'échelles dans des couleurs extrêmement dorées qui font penser à une peinture de la Renaissance. C'est tout à fait hallucinant, ça évoque certains tableaux d'église à Venise. J'essaie de créer des atmosphères baroques avec des éléments très pauvres. . . Mais on vit aussi aujourd'hui dans un monde technologique et ce qui demeure important pour moi, c'est de mettre en rapport différentes dimensions du Temps.
E. O : Quelle direction pensez-vous pouvoir donner aujourd'hui à la danse?
F. F : Je ne suis pas venu au Ballet National de Marseille, deuxième compagnie de France, comme un iconoclaste ! Je suis venu pour mettre en dialogue différentes disciplines au coeur de la danse. La technique classique m'intéresse dès lors qu'elle peut dialoguer avec la technique contemporaine. Je cherche à mettre en rapport ces deux techniques qui ont des exigences très différentes.
E. O : Comme William Forsythe qui explore les limites du mouvement?
F. F : Oui, mais à partir de la danse classique, sans oublier la personnalité des danseurs. On voit très bien cela dans le pas de deux que nous avons produit ici, Herman Schmerman, où l'on perçoit une connivence magnifique entre les deux interprètes Agnès Lascombes et Julien Lestel. La danse classique travaille sur la verticalité, l'élévation, la danse contemporaine, à l'opposé, c'est le rapport au sol, le côté organique de la chose : les deux mises ensemble permettent d'expérimenter des langages, des grammaires nouvelles. Quant au danseur lui-même, il a une carrière très brève qui est la métaphore de la vie puisque à quarante ans, c'est fini, avec une espèce de don total, sans calcul, d'utopie merveilleuse. .
E. O : Est-ce que les danseurs, parfaitement formés à la technique classique, s'adaptent rapidement à ces nouvelles grammaires?
F. F : C'est très différent d'une personnalité à l'autre. . . Il y en a pour qui c'est très difficile, d'autres pour qui c'est trop tard, il y en a qui refusent, il y en a qui plongent là-dedans et s'y affirment, tout ça reste très divers dans une compagnie qui réunit trente personnalités différentes, c'est cela qui fait évidemment la richesse du BNM.
Entretien réalisé au BNM, le 4 Juin 2010, par Elisabeth Oualid