Elisabeth Oualid : Ce qui est original dans votre nouvelle création, c'est que vous transposez une formule scientifique H2O au niveau du mouvement. Concrètement, comment avez-vous élaboré cette transposition dans une chorégraphie ?
Jean-Charles Gil : J'ai essayé de m'approprier, à partir de cette formule scientifique de l'eau, l'imagination d'un mouvement à travers la danse, un mouvement qui s'inscrit dans un espace où les va et vient des danseurs vont représenter l'hydrogène et l'oxygène, chacun de leur côté, danseurs du ballet et danseurs-breakers de Tanger, pour essayer de se rencontrer et trouver la formule magique de l'eau.
En ce qui concerne la chorégraphie, je dirai que les mouvements qui comptent sont horizontalité-verticalité. Dans la première partie, j'enlève l'individualité, je gomme la subjectivité, parce que l'on est dans le scientifique, dans la seconde je la réintroduis à partir de la culture mythologique.
E. O : Votre objectif chorégraphique est-il de matérialiser une perception de l'eau dans son élément de fluidité ou de mobilité ?
J. C. G : Ce qui m'a plu, c'est la fiction de la molécule de l'eau. Il fallait recréer l'illusion de la fluidité avec le corps de la molécule, là résidait toute la complexité, puis s'installer dans la fiction de la molécule pour accéder à la fluidité et permettre au public de comprendre en quoi consiste la composante H2O.
E. O : Comment passe-t-on de la première à la seconde partie ?
J. C. G : On va utiliser le fond de scène comme tremplin pour libérer la mémoire de l'eau. . . Voyez-vous, dès qu'on va dans une planète nouvelle, on essaie de trouver de l'eau, c'est à dire de la vie, de l'énergie. S'il n'y a pas de mouvement, il n'y a pas de vie. . .
E. O : Dès qu'il y a mouvement, il y a transformation ?
J. C. G : Transformation, possibilité d'avenir.
E. O : Héraclite disait : "On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve", pour montrer que les choses sont en devenir.
Maintenant, dans la deuxième partie, vous dépassez la formule scientifique en donnant à voir des sculptures qui émergent de l'eau.
J. C. G : En effet, mais une programmatrice de spectacles a trouvé que cette deuxième partie sur la statuaire ne relevait pas de l'humain. Pourtant à travers Apollon, Dionysos, il y a toute une culture de l'humanité qui s'exprime. . .
E. O : Il y a aussi une esthétique et une relation aux Dieux différente de la nôtre. Les Dieux sont ce que nous ne sommes pas et ce que nous voudrions être, immortels et inaltérables.
J. C. G : Pour moi, il y avait une évidence, c'est que la statuaire nous revient des vagues d'eau qui remontent. L'eau a conservé cette mémoire, ce patrimoine qui nous est restitué aujourd'hui. Pour certains, ça relevait du peplum, et il est vrai que cette bacchanale de la fin ne faisait pas partie de ma réflexion initiale.
E. O : Une bacchanale qui développe un phénomène d'ivresse collective. . .
J. C. G : J'ai voulu aller au bout de l'Histoire, vers ce qu'évacue l'Histoire.
E. O : Les aspects dionysiaques, sans doute, pour libérer cette énergie qui a été réprimée par tout ce qui était maîtrise de soi dans l'Antiquité.
J. C. G : Il s'agissait de montrer que cette culture qui nous vient comme un bol d'oxygène, on s'en nourrit encore aujourd'hui.
E. O : A la fin, au moment des Bacchantes, il y a ce clin d'oeil à Béjart, au Sacre du Printemps, même pour le temps présent.
J. C. G : Bien sûr, le triomphe de la vie, de l'affirmation de soi. . .
E. O : Parce que, lorsque pense à l'Antiquité, on pense à la naissance de la Tragédie. . .
J. C. G : C'est pour ça qu'on mêle dans ce ballet les statues à l'humain. Elles font partie de la même histoire.
E. O : Les statues interprétées par les danseurs du Ballet d'Europe, c'est un très beau moment de magnétisme. Ils jouent de cette émotion, et en fin de compte, c'est le parcours scientifique qui revient.
J. C. G : C'est ce que je voulais.
E. O : On est dans le magnétisme et l'énergie qui est vitale. C'est une volonté, un atout. . . Ne pas se fermer sur soi-même, s'ouvrir au monde. . .
J. C. G : Oui, une volonté de s'ouvrir au monde. Moi qui suis un électron libre, je propose une énergie de rencontre, une énergie de réflexion qui donne à penser. Du moment que vous êtes en vie, vous êtes en pleine énergie. . .
E. O : C'est toute la différence entre l'Ecole et la création. Il y a le passage par l'Ecole que l'on dépasse ensuite par la création. Il faut affirmer ce que l'on ressent pour donner à voir quelque chose de nouveau.
J. C. G : Oui, il faut être au plus près de soi-même pour s'affirmer. Pour ma part, je travaille dans l'épure au maximum. Mais il faut aussi travailler avec des scénographes pour trouver un juste milieu. Maintenant, en ce qui concerne ce ballet, je vais m'attacher prochainement à polir toute la première partie qui deviendra incolore. La deuxième deviendra bleue. On verra en 2013, dans le cadre de Marseille, Capitale européenne de la Culture, un spectacle plus affiné.
E. O : Quel rôle a joué le scénographe ? Comment vous a-t-il influencé ?
J. C. G : Il a été constamment à mes côtés pour l'implantation scénique et les costumes. Ces derniers, je les aurais voulu plus évolutifs, moins contraignants, moins enfermés pour les danseurs.
E. O : Vous n'avez pas été influencé par son jugement ?
J. C. G : Non ! J'essaye d'aller plus loin dans ma démarche pour qu'en 2013 elle corresponde davantage à mon imaginaire. Je vais retravailler sur de nouvelles bases, rectifier certaines choses.
E. O : Vous dites que vous avez toujours aimé l'eau, qu'elle vous a toujours fasciné. . .
J. C. G : Toujours, parce qu'elle a une force incroyable. Quand j'étais enfant, j'avais très peur de l'eau, j'étais sensible à ses différents aspects, froide, tiède, brûlante, glaciale. Et puis j'ai passé toute mon enfance au bord du lac Léman, après je suis venu à Marseille, au bord de la Méditerranée, après à San Francisco. Partout où j'ai séjourné, il y avait de l'eau. Aujourd'hui, j'habite au bord d'une rivière, La Durance, je m'y promène tous les jours, je côtoie l'eau qui est pour moi un élément vital.
E. O : Le rapport à l'eau, c'est donc toute votre histoire ?
J. C. G : C'est toute une histoire dont je livre quelque part le secret avec la formule H2O!
Entretien réalisé par Elisabeth Oualid, au Ballet d'Europe, à Allauch, le 5 Avril 2012
Jean-Charles Gil : J'ai essayé de m'approprier, à partir de cette formule scientifique de l'eau, l'imagination d'un mouvement à travers la danse, un mouvement qui s'inscrit dans un espace où les va et vient des danseurs vont représenter l'hydrogène et l'oxygène, chacun de leur côté, danseurs du ballet et danseurs-breakers de Tanger, pour essayer de se rencontrer et trouver la formule magique de l'eau.
En ce qui concerne la chorégraphie, je dirai que les mouvements qui comptent sont horizontalité-verticalité. Dans la première partie, j'enlève l'individualité, je gomme la subjectivité, parce que l'on est dans le scientifique, dans la seconde je la réintroduis à partir de la culture mythologique.
E. O : Votre objectif chorégraphique est-il de matérialiser une perception de l'eau dans son élément de fluidité ou de mobilité ?
J. C. G : Ce qui m'a plu, c'est la fiction de la molécule de l'eau. Il fallait recréer l'illusion de la fluidité avec le corps de la molécule, là résidait toute la complexité, puis s'installer dans la fiction de la molécule pour accéder à la fluidité et permettre au public de comprendre en quoi consiste la composante H2O.
E. O : Comment passe-t-on de la première à la seconde partie ?
J. C. G : On va utiliser le fond de scène comme tremplin pour libérer la mémoire de l'eau. . . Voyez-vous, dès qu'on va dans une planète nouvelle, on essaie de trouver de l'eau, c'est à dire de la vie, de l'énergie. S'il n'y a pas de mouvement, il n'y a pas de vie. . .
E. O : Dès qu'il y a mouvement, il y a transformation ?
J. C. G : Transformation, possibilité d'avenir.
E. O : Héraclite disait : "On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve", pour montrer que les choses sont en devenir.
Maintenant, dans la deuxième partie, vous dépassez la formule scientifique en donnant à voir des sculptures qui émergent de l'eau.
J. C. G : En effet, mais une programmatrice de spectacles a trouvé que cette deuxième partie sur la statuaire ne relevait pas de l'humain. Pourtant à travers Apollon, Dionysos, il y a toute une culture de l'humanité qui s'exprime. . .
E. O : Il y a aussi une esthétique et une relation aux Dieux différente de la nôtre. Les Dieux sont ce que nous ne sommes pas et ce que nous voudrions être, immortels et inaltérables.
J. C. G : Pour moi, il y avait une évidence, c'est que la statuaire nous revient des vagues d'eau qui remontent. L'eau a conservé cette mémoire, ce patrimoine qui nous est restitué aujourd'hui. Pour certains, ça relevait du peplum, et il est vrai que cette bacchanale de la fin ne faisait pas partie de ma réflexion initiale.
E. O : Une bacchanale qui développe un phénomène d'ivresse collective. . .
J. C. G : J'ai voulu aller au bout de l'Histoire, vers ce qu'évacue l'Histoire.
E. O : Les aspects dionysiaques, sans doute, pour libérer cette énergie qui a été réprimée par tout ce qui était maîtrise de soi dans l'Antiquité.
J. C. G : Il s'agissait de montrer que cette culture qui nous vient comme un bol d'oxygène, on s'en nourrit encore aujourd'hui.
E. O : A la fin, au moment des Bacchantes, il y a ce clin d'oeil à Béjart, au Sacre du Printemps, même pour le temps présent.
J. C. G : Bien sûr, le triomphe de la vie, de l'affirmation de soi. . .
E. O : Parce que, lorsque pense à l'Antiquité, on pense à la naissance de la Tragédie. . .
J. C. G : C'est pour ça qu'on mêle dans ce ballet les statues à l'humain. Elles font partie de la même histoire.
E. O : Les statues interprétées par les danseurs du Ballet d'Europe, c'est un très beau moment de magnétisme. Ils jouent de cette émotion, et en fin de compte, c'est le parcours scientifique qui revient.
J. C. G : C'est ce que je voulais.
E. O : On est dans le magnétisme et l'énergie qui est vitale. C'est une volonté, un atout. . . Ne pas se fermer sur soi-même, s'ouvrir au monde. . .
J. C. G : Oui, une volonté de s'ouvrir au monde. Moi qui suis un électron libre, je propose une énergie de rencontre, une énergie de réflexion qui donne à penser. Du moment que vous êtes en vie, vous êtes en pleine énergie. . .
E. O : C'est toute la différence entre l'Ecole et la création. Il y a le passage par l'Ecole que l'on dépasse ensuite par la création. Il faut affirmer ce que l'on ressent pour donner à voir quelque chose de nouveau.
J. C. G : Oui, il faut être au plus près de soi-même pour s'affirmer. Pour ma part, je travaille dans l'épure au maximum. Mais il faut aussi travailler avec des scénographes pour trouver un juste milieu. Maintenant, en ce qui concerne ce ballet, je vais m'attacher prochainement à polir toute la première partie qui deviendra incolore. La deuxième deviendra bleue. On verra en 2013, dans le cadre de Marseille, Capitale européenne de la Culture, un spectacle plus affiné.
E. O : Quel rôle a joué le scénographe ? Comment vous a-t-il influencé ?
J. C. G : Il a été constamment à mes côtés pour l'implantation scénique et les costumes. Ces derniers, je les aurais voulu plus évolutifs, moins contraignants, moins enfermés pour les danseurs.
E. O : Vous n'avez pas été influencé par son jugement ?
J. C. G : Non ! J'essaye d'aller plus loin dans ma démarche pour qu'en 2013 elle corresponde davantage à mon imaginaire. Je vais retravailler sur de nouvelles bases, rectifier certaines choses.
E. O : Vous dites que vous avez toujours aimé l'eau, qu'elle vous a toujours fasciné. . .
J. C. G : Toujours, parce qu'elle a une force incroyable. Quand j'étais enfant, j'avais très peur de l'eau, j'étais sensible à ses différents aspects, froide, tiède, brûlante, glaciale. Et puis j'ai passé toute mon enfance au bord du lac Léman, après je suis venu à Marseille, au bord de la Méditerranée, après à San Francisco. Partout où j'ai séjourné, il y avait de l'eau. Aujourd'hui, j'habite au bord d'une rivière, La Durance, je m'y promène tous les jours, je côtoie l'eau qui est pour moi un élément vital.
E. O : Le rapport à l'eau, c'est donc toute votre histoire ?
J. C. G : C'est toute une histoire dont je livre quelque part le secret avec la formule H2O!
Entretien réalisé par Elisabeth Oualid, au Ballet d'Europe, à Allauch, le 5 Avril 2012