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Entretien d'Elisabeth Oualid avec Jean-Charles Gil sur sa dernière création : Comme un souffle de femme.

Comme un souffle de femme, Ballet de Jean -Charles Gil, créé au théâtre du Merlan, à Marseille, les 10 et 11 Juin 2009.
Prochainement, au Théâtre de la Nature d'Allauch, le 6 Juillet 09.
Le 27 Juillet à Carpentras, le 3 Août à la Tour d'Aigues.


Elisabeth Oualid : Jean-Charles Gil, vous intitulez votre nouvelle chorégraphie : "Comme un souffle de femme. . . ". En grec, "pneuma"(le souffle) définit un incorporel, un pouvoir invisible qui agit, qui provoque un effet. C'est tout à la fois la vie et l'âme, ce qui est animé par rapport à ce qui est inanimé. C'est aussi l'esprit, ce qui modifie notre vision du monde, notre rapport au monde. Dans cette optique, ce souffle de femme est-il pour vous la reconnaissance d'une force, d'une puissance qui s'affirme et illumine de la sorte votre chorégraphie?
Jean-Charles Gil : En fait vous avez résumé en quelques mots toute la pensée philosophique de cette oeuvre, c'est à dire justement l'opposition animé-inanimé à travers le corps, le corps qui exprime le vécu d'une Femme omniprésente qui agit en permanence, à petites doses, socialement, dans la façon de mener des actions citoyennes, qui avance à petits pas même dans l'obscurantisme de certaines cultures. Ce souffle, c'est tout cela, un pouvoir invisible, incorporel, que l'on ne peut éviter. J'ai été d'ailleurs inspiré par cette brume qui monte parfois de la terre et qui nous enrobe invisiblement.

E. O : Vous écrivez dans le programme : "le choix de travailler sur le thème de la femme méditerranéenne n'est pas nouveau dans mes préoccupations artistiques, c'est un sujet qui revient à différentes périodes de l'évolution de ma démarche, Electre en 1999, Mireille en 2005". Est-ce à dire que la femme méditerranéenne ne se révèle, comme ces dernières, qu'à travers des épreuves?
J-C Gil : Elle connait souvent des épreuves, et à chaque épreuve elle grandit. Généralement, cette femme assume, elle est courageuse. Ce sont ces femmes emblématiques qui provoquent des avancées énormes sur cette visibilité de la femme en Méditerranée. La tragédie grecque est omniprésente là-dessous, j'essaie de m'en éloigner, mais, par moments, le tragique est indispensable. Dans cette oeuvre, j'ai voulu rendre la femme plus immatérielle dans un ressenti qui opère par gradation. La Femme méditerranéenne n'arrête pas de subir, mais aussi d'avancer : elle est dans la soumission au nom de certaines religions, mais quelque part, elle avance quand même, insoumise.

E. O : Vous dites aussi : "Avec cette nouvelle création, il ne s'agit pas de prouver quoi que ce soit, mais de démontrer que la femme a sa propre dimension et n'est pas un substitut de l'homme". Pensez-vous que la Femme, en affirmant son indépendance, invente un nouveau rapport à soi et aux autres, et par là-même libère une intériorité façonnée par une discipline constante?
J-C. Gil : Je pense qu'elle se retrouve d'abord libre de s'exprimer, d'agir en tant que personne et non en tant qu'objet. Pour moi, c'est important que la femme ait ce pouvoir, qu'on lui donne cette dimension-là, le pouvoir de parler, d'agir, de réfléchir en tant que Femme.

E. O : Donc, pour vous, elle libère une intériorité qui était un peu étouffée?
J-C. Gil : Tout à fait, elle peut tout d'un coup s'assumer pleinement.

E. O : Et comment le mouvement chorégraphique assume-t-il tout cela?
J-C. Gil : Le mouvement chorégraphique suggère parce que je ne voulais pas rentrer dans la caricature, mais que ça ressorte lentement, que ça s'impose à nous dans la douceur persistante, dans la présence. Tout simplement, quand la femme est présente, ça change tout. Quand elle n'est plus là, quelque chose manque. En tout cas, elle n'est pas un substitut de l'homme.

E. O : Revenons sur la signification du titre. Quel est le sens que vous donnez à cette comparaison : "comme un souffle de femme"?
J-C. Gil : C'est quelque chose de doux qui nous enrobe en permanence parce que c'est la respiration, la vie, on en revient toujours à cela et on referme la boucle. . . Le souffle n'est pas un ouragan. L'ouragan détruit, arrache, déchaîne. . . Le souffle caresse, enrobe, fait du bien, peut vous remettre en question, mais ne vous détruit pas;il peut même faire réfléchir dans la mesure où il fait partie de quelque chose de personnel, d'habité, qui sort de vous, c'est une respiration émanant à la fois du spirituel et du corporel. Souffle de femme, parce que justement la femme insuffle à l'homme quelque chose de différent qui entraîne le masculin quelque part. . .

E. O : Et comment réagissez-vous par rapport à la malédiction biblique dans La Genèse, à cette question de l'inimitié permanente entre l'Homme et la Femme, née d'une côte de l'homme?Une malédiction consécutive par ailleurs à l'idée du péché, et une inimitié que le discours biblique impose à travers les siècles. . .
J-C. Gil : Justement, c'est pour laver toute cette imagerie que j'ai réalisé ce ballet. Pour moi, il était important de faire basculer les choses, d'équilibrer autrement. Au Moyen-Age, l'homme exige soumission de la femme parce que cette dernière est considérée malheureusement comme un suppôt de Satan. En fait, l'homme a peur de la femme, mais dès lors que l'on permet à la femme d'avoir droit au même temps de parole, au même discours, à la même écriture, on juge qu'elle est capable d'apporter quelque chose de différent.

E. O : Et en même temps, l'Art permet de dépasser, de surmonter ce discours de la malédiction.
J-C. Gil : L'Art permet tout simplement de rétablir une certaine vérité. Moi, je voulais que le public, en tant que témoin, soit capable de le comprendre en dehors de toute scénographie, de toute proposition dramaturgique qui nous ramène à l'image de la femme méditerranéenne en noir, en deuil, l'image de la douleur, Irène Pappas par exemple. Aussi les costumes de Philippe Combeau ont-ils la couleur ocre de la terre, et la voix de Maria Farantouri, très grave, sort du fond des entrailles mais n'est pas douloureuse. Profonde, elle nous ramène au poids de la terre sur nous-mêmes. La musique de Mikis Théodorakis, c'est du piano très pur, et les poèmes de Dionysis Karatzas que chante Maria, dédiés à une certaine Béatrice, sont oniriques. Il s'agit de la Femme que l'on n'a pas trouvée. Il fallait rester dans la Poésie.

E. O : Est-ce un ballet qui s'apparente à Mireille du point de vue du style?
J-C. Gil : Je le situe ailleurs. Mireille est narratif, travaille sur des personnages, une histoire provençale. Là on va plus loin dans la liberté abstraite de pouvoir dire que tout d'un coup, un bras peut représenter le souffle qui sort du corps, peut appporter quelque chose, le pied peut glisser ou rester au sol, j'attache beaucoup d'importance à tous ces détails dans cette pièce parce que je ne me situe pas dans l'Art conceptuel, je me situe au contraire de plus en plus dans l'Art qui ressent les choses. Je travaille un ballet comme une calligraphie pour pouvoir donner à l'émotion sa dimension propre.
Propos recueillis par Elisabeth Oualid

Comme un souffle de femme, de Jean-Charles Gil. Présentation du ballet par Philippe Oualid

La dernière création de Jean-Charles Gil, "Comme un souffle de femme. . . ", chorégraphiée sur une musique de Mikis Theodorakis et des chansons interprétées par Maria Farantouri, rend hommage à la Femme méditerranéenne. Ancrée dans le sol, cette danse qui se veut semblable au coup de pinceau du calligraphe, est interprétée successivement par deux quatuors(un homme, trois femmes, une femme, trois hommes), dans une structure de comportements identiques qui dessinent des figures géométriques avec tracés de droites, de courbes et de parallèles comme dans les danses rituelles paysannes destinées à éveiller la nature de son sommeil hivernal. Jean-Charles Gil fait ainsi réaliser à ses danseurs une gestuelle commune, des pas complexes ou des pas marchés transposés sans changements dans l'exécution, pour traduire une interaction permanente entre les corps des hommes et des femmes.
On assiste dans cette perspective à une démarche chorégraphique à la fois lente et douce, dépourvue de difficultés techniques, sans grands portés, avec des attitudes effacées, des écartés avant-arrière, des assemblés bras tendus, divers jetés sur des bases de demi-plié avec atterrissage sur la jambe de terre, quelques soubresauts et pirouettes comme dans le Rigaudon. Une danse qui relève des codes classiques et de l'abstraction, presque détachée de tout, brillamment exécutée par les six meilleurs danseurs de la Compagnie(Maria-Florencia Gonzalez, Silvina Cortez, Cosima Munoz, Fabrice Gallarague, Christophe Romero et Pierre Henrion), un pas de zéphyr en quelque sorte, relu intelligemment pour défendre une conception de l'égalité entre le masculin et le féminin dans la danse, en ce début de vingt-et-unième siècle.
Philippe Oualid

Calendrier des représentations : Théâtre du Merlan(Marseille)10-11 Juin 2009.
Théâtre de la Nature d'Allauch, 6 Juillet 2009.
A Carpentras, le 27 Juillet 2009, à la Tour d'Aigues, le 3 Août 2009.

pierre aimar
Mis en ligne le Jeudi 18 Juin 2009 à 10:13 | Lu 1587 fois

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