Ils finissent donc forcément par devenir amants. De son seul œil valide, le cadet surprendra les tourtereaux, puis les dénoncera au cocu qui les poignardera l’un après l’autre, liant ainsi le couple dans la mort.
Cela ne vous rappelle rien ? Même pas un petit arrière-goût de Tristan wagnérien ?
La pièce du décadent et exalté Gabriele D’Annunzio, elle-même tirée d’un épisode de la Divine comédie, donne matière à l’œuvre la plus connue de Riccardo Zandonai, sur un livret un tantinet pompeux signé par Tito Ricordi.
Malgré quelques belles résurrections de l’ouvrage un peu partout sur la planète, ce compositeur italien (1883-1944) reste malheureusement seulement connu par quelques « happy few ». Sans doute souffre-t-il de l’ombre de ses aînés Verdi, Puccini ou autres Cilea et Mascagni…
Sa place dans l’histoire de la musique est pourtant intéressante dans la mesure où Zandonai tente avec plus ou moins de bonheur de concilier l’héritage italien avec les influences françaises et surtout allemandes de l’époque.
Francesca da Rimini, qui fait son entrée au répertoire de l’Opéra de Monte-Carlo, peut donc s’écouter comme la toute petite sœur de Tristan, tant l’œuvre, créée à Turin en 1914, semble vampirisée jusqu’à la dernière note par le géant teuton.
La comparaison doit hélas s’arrêter là. Avouons-le bien bas. La partition gore de Zandonai n’atteint pas l’immensité cosmique de Tristan, le duo final n’accède pas au paroxysme suffocant d’érotisme morbide du Liebestod wagnérien. On cherchera également en vain l’ambiance poétique – tant recherchée - de Pelléas…
Pourtant, pourtant… On se laisse séduire çà et là par de subtiles harmonies chromatiques, des nuances orchestrales raffinées, quelques effets facile, l’épaisse écriture orchestrale, grandiloquente, au pompiérisme affirmé, tenant à la fois de l’obsession de la mort, avec en prime cette mélancolie pleine de sensualité morbide, comme chargée de fatalisme.
Ne cherchons dans le spectacle en rouge et noir de Louis Désiré (à la barre de la mise en scène, des décors et des costumes) le moyen-âge voulu par Liberty et d’Annunzio. Dans les griffes d’une main du destin qui va broyer tous les personnages, les didascalies du livret sont un tantinet bousculées par un symbolisme de bon aloi, violent et cru. La scène de la bataille, toujours difficile à représenter, se lit comme un manga du meilleur tonneau.
Prise de rôle réussie pour Eva-Maria Westbroek. La sculpturale néerlandaise plie avec bonheur son puissant soprano wagnérien dans cette partition hybride et ardue et sa composition de petite bourgeoise jouant les dames de l’aristocratie est celle d’une grande tragédienne. Elle forme avec Zoran Todorovitch, très en voix après quelques discutables prestations, un couple crédible et pathétique en proie à une terrible machination. Joli travail (regards, gestes, attitudes) sur son impossibilité à concilier la pureté de ses sentiments avec le respect des lois.
Ses deux autres frères sont inquiétants à souhait. Alberto Gazale campe un boiteux qui ne fait pas dans la dentelle, mais voilà un baryton franc, direct, très à l’aise avec des fa dièse et naturel d’une fermeté incroyable. Les notes aigües chez Zandonai sont comme calquées sur le langage parlé. Apogée du vérisme ? D’accord avec vous. Mais, pour qui aime Lulu ou Wozzek, Alban Berg n’est pas très loin… Libidineux à souhait, insinuant, bifide, voilà le Malatestino de William Joyner… Bâtissant son perfide personnage sur le chant et la diction, cet éclatant ténor risque bien de rester la révélation de la soirée.
Satisfecit global pour tous les rôles secondaires masculins. Laura Brioli et Svetlana Lifar impressionnent favorablement en sœur et confidente asservie. Le quatuor de suivantes apporte avec une force toute cristalline un brin de fraîcheur printanière dans cette Italie en proie aux guerres gibelines. Sorti tout droit d’un film de Fellini, le sympathique Guy Bonfiglio, campe un bouffon-ménestrel suffocant d’accents, à la drôlerie très étudiée.
Nommé depuis peu « Chef Référent » de l’Orchestre Philarmonique de Monte-Carlo par S.A.R. La Princesse de Hanovre, Gianluigi Gelmetti a coupé avec raison de nombreuses pages dans ce mélo grandiloquent pas toujours facile à apprivoiser.
Trouvant avec bonheur un juste équilibre entre toutes les influences de cette foisonnante et originale partition, on pouvait aimer cette recherche des sonorités alla Strauss, Ravel ou Puccini. C’est parfois appuyé, un rien artificiel, mais la musique qui jaillit de la fosse de l’Opéra Garnier a de réjouissants relents hollywoodiens qui restent ceux d’un grand maestro nous entraînant avec force et conviction dans un monde de fer, de feu, de sang, dont personne ne sort indemne.
Christian Colombeau
Cela ne vous rappelle rien ? Même pas un petit arrière-goût de Tristan wagnérien ?
La pièce du décadent et exalté Gabriele D’Annunzio, elle-même tirée d’un épisode de la Divine comédie, donne matière à l’œuvre la plus connue de Riccardo Zandonai, sur un livret un tantinet pompeux signé par Tito Ricordi.
Malgré quelques belles résurrections de l’ouvrage un peu partout sur la planète, ce compositeur italien (1883-1944) reste malheureusement seulement connu par quelques « happy few ». Sans doute souffre-t-il de l’ombre de ses aînés Verdi, Puccini ou autres Cilea et Mascagni…
Sa place dans l’histoire de la musique est pourtant intéressante dans la mesure où Zandonai tente avec plus ou moins de bonheur de concilier l’héritage italien avec les influences françaises et surtout allemandes de l’époque.
Francesca da Rimini, qui fait son entrée au répertoire de l’Opéra de Monte-Carlo, peut donc s’écouter comme la toute petite sœur de Tristan, tant l’œuvre, créée à Turin en 1914, semble vampirisée jusqu’à la dernière note par le géant teuton.
La comparaison doit hélas s’arrêter là. Avouons-le bien bas. La partition gore de Zandonai n’atteint pas l’immensité cosmique de Tristan, le duo final n’accède pas au paroxysme suffocant d’érotisme morbide du Liebestod wagnérien. On cherchera également en vain l’ambiance poétique – tant recherchée - de Pelléas…
Pourtant, pourtant… On se laisse séduire çà et là par de subtiles harmonies chromatiques, des nuances orchestrales raffinées, quelques effets facile, l’épaisse écriture orchestrale, grandiloquente, au pompiérisme affirmé, tenant à la fois de l’obsession de la mort, avec en prime cette mélancolie pleine de sensualité morbide, comme chargée de fatalisme.
Ne cherchons dans le spectacle en rouge et noir de Louis Désiré (à la barre de la mise en scène, des décors et des costumes) le moyen-âge voulu par Liberty et d’Annunzio. Dans les griffes d’une main du destin qui va broyer tous les personnages, les didascalies du livret sont un tantinet bousculées par un symbolisme de bon aloi, violent et cru. La scène de la bataille, toujours difficile à représenter, se lit comme un manga du meilleur tonneau.
Prise de rôle réussie pour Eva-Maria Westbroek. La sculpturale néerlandaise plie avec bonheur son puissant soprano wagnérien dans cette partition hybride et ardue et sa composition de petite bourgeoise jouant les dames de l’aristocratie est celle d’une grande tragédienne. Elle forme avec Zoran Todorovitch, très en voix après quelques discutables prestations, un couple crédible et pathétique en proie à une terrible machination. Joli travail (regards, gestes, attitudes) sur son impossibilité à concilier la pureté de ses sentiments avec le respect des lois.
Ses deux autres frères sont inquiétants à souhait. Alberto Gazale campe un boiteux qui ne fait pas dans la dentelle, mais voilà un baryton franc, direct, très à l’aise avec des fa dièse et naturel d’une fermeté incroyable. Les notes aigües chez Zandonai sont comme calquées sur le langage parlé. Apogée du vérisme ? D’accord avec vous. Mais, pour qui aime Lulu ou Wozzek, Alban Berg n’est pas très loin… Libidineux à souhait, insinuant, bifide, voilà le Malatestino de William Joyner… Bâtissant son perfide personnage sur le chant et la diction, cet éclatant ténor risque bien de rester la révélation de la soirée.
Satisfecit global pour tous les rôles secondaires masculins. Laura Brioli et Svetlana Lifar impressionnent favorablement en sœur et confidente asservie. Le quatuor de suivantes apporte avec une force toute cristalline un brin de fraîcheur printanière dans cette Italie en proie aux guerres gibelines. Sorti tout droit d’un film de Fellini, le sympathique Guy Bonfiglio, campe un bouffon-ménestrel suffocant d’accents, à la drôlerie très étudiée.
Nommé depuis peu « Chef Référent » de l’Orchestre Philarmonique de Monte-Carlo par S.A.R. La Princesse de Hanovre, Gianluigi Gelmetti a coupé avec raison de nombreuses pages dans ce mélo grandiloquent pas toujours facile à apprivoiser.
Trouvant avec bonheur un juste équilibre entre toutes les influences de cette foisonnante et originale partition, on pouvait aimer cette recherche des sonorités alla Strauss, Ravel ou Puccini. C’est parfois appuyé, un rien artificiel, mais la musique qui jaillit de la fosse de l’Opéra Garnier a de réjouissants relents hollywoodiens qui restent ceux d’un grand maestro nous entraînant avec force et conviction dans un monde de fer, de feu, de sang, dont personne ne sort indemne.
Christian Colombeau