On notera qu'au lieu d'échanger, comme dans le conte, son lingot d'or contre un cheval, le cheval contre une vache, la vache contre un cochon, le cochon contre une oie, et l'oie contre une pierre à meule qui va tomber dans un puits, Jean la Chance échange sa femme contre une ferme, la ferme contre une charrette, la charrette contre un manège avec orgue, l'orgue contre sa femme, la femme contre une oie, l'oie contre sa liberté, la liberté contre un ami, et enfin l'ami contre la Mort.
On ressent encore nettement dans cette pièce l'influence de Karl Valentin dans l'art du dialogue, et de Frank Wedekind dans le choix volontiers agressif du matérialisme, la ridiculisation de la boursouflure idéaliste, le besoin de démonter la figure du héros dont il fait un individu flegmatique, paresseux, jouisseur, et enfin dans la volonté de désamorcer le pathétique et le tragique. Il s'agit de développer ici "une fable sans pointe ni idée", une trajectoire de la vie à la mort sans rédemption, ponctuée par les étapes de l'échange comme ressort dramatique. La bonté et la naïveté de Jean ne sont pas ici des idéaux mais des stratégies de survie, de satisfaction des besoins vitaux, réflexion qui se poursuivra ultérieurement dans la figure du brave soldat Schweyk et se trouvera interrogée dans La Bonne Ame du Se-Tchouan. Jean la Chance apparait en tout cas comme une pièce en un acte audacieuse tant sur le plan formel que sur celui du contenu.
Dans un décor unique de manège, sans montures, fixé sur un plancher circulaire, animé par les acteurs eux-mêmes d'un mouvement rotatif de plus en plus rapide à la fin de chaque tableau, Jean-Louis Hourdin met en scène avec talent des personnages soumis à l'épreuve de la distanciation, qui ne parlent qu'en s'adressant au public, tout en exprimant leurs sentiments et leurs émotions avec une exactitude parfaite. Accentuant de manière bouffonne la théâtralité des situations, animant le spectacle de chansons et de danses expressionnistes dans un esprit cynique de cabaret berlinois, ils dénoncent constamment le caractère farcesque du destin du pauvre Jean, coeur mis à nu interprété par Laurent Meininger avec un flegme étonnant de paysan allemand simplet. Le public de connaisseurs et d'admirateurs du théâtre de Brecht les a tous chaleureusement applaudis.
Philippe Oualid
Jean la Chance de Bertolt Brecht
Mise en scène de Jean-Louis Hourdin
Co-production Théâtre National de Strasbourg-Jeune Théâtre National
Théâtre Toursky. Marseille. 15 Février 2013
On ressent encore nettement dans cette pièce l'influence de Karl Valentin dans l'art du dialogue, et de Frank Wedekind dans le choix volontiers agressif du matérialisme, la ridiculisation de la boursouflure idéaliste, le besoin de démonter la figure du héros dont il fait un individu flegmatique, paresseux, jouisseur, et enfin dans la volonté de désamorcer le pathétique et le tragique. Il s'agit de développer ici "une fable sans pointe ni idée", une trajectoire de la vie à la mort sans rédemption, ponctuée par les étapes de l'échange comme ressort dramatique. La bonté et la naïveté de Jean ne sont pas ici des idéaux mais des stratégies de survie, de satisfaction des besoins vitaux, réflexion qui se poursuivra ultérieurement dans la figure du brave soldat Schweyk et se trouvera interrogée dans La Bonne Ame du Se-Tchouan. Jean la Chance apparait en tout cas comme une pièce en un acte audacieuse tant sur le plan formel que sur celui du contenu.
Dans un décor unique de manège, sans montures, fixé sur un plancher circulaire, animé par les acteurs eux-mêmes d'un mouvement rotatif de plus en plus rapide à la fin de chaque tableau, Jean-Louis Hourdin met en scène avec talent des personnages soumis à l'épreuve de la distanciation, qui ne parlent qu'en s'adressant au public, tout en exprimant leurs sentiments et leurs émotions avec une exactitude parfaite. Accentuant de manière bouffonne la théâtralité des situations, animant le spectacle de chansons et de danses expressionnistes dans un esprit cynique de cabaret berlinois, ils dénoncent constamment le caractère farcesque du destin du pauvre Jean, coeur mis à nu interprété par Laurent Meininger avec un flegme étonnant de paysan allemand simplet. Le public de connaisseurs et d'admirateurs du théâtre de Brecht les a tous chaleureusement applaudis.
Philippe Oualid
Jean la Chance de Bertolt Brecht
Mise en scène de Jean-Louis Hourdin
Co-production Théâtre National de Strasbourg-Jeune Théâtre National
Théâtre Toursky. Marseille. 15 Février 2013