L'Ile des Esclaves, de Marivaux, Théâtre de La Criée, Marseille, par Philippe Oualid

Dans cette touchante comédie de Marivaux, créée en Mars 1725 par les Comédiens Italiens, Iphicrate, un petit-maître, et Euphrosine, une coquette, sont jetés par la tempête dans une île gouvernée par des esclaves fugitifs.


Selon les lois de la Colonie, on ôte la liberté aux maîtres et on affranchit leurs domestiques, ici en l'occurence, Arlequin et Cléanthis. Ceux-ci devenus maîtres à leur tour, en font sur ordre du magistrat Trivelin, des portraits ridicules qui les mortifient cruellement, et qui devront les corriger de leur inhumanité envers ceux qui les servent. En définitive, émus par leurs larmes, valet et servante vont, après l'épreuve, leur demander pardon et se jeter à leurs pieds. . .
L'Ile des Esclaves apparait ainsi comme une comédie tout à fait singulière qui frappe par l'audace avec laquelle y sont traitées des questions de morale réservées d'ordinaire à la prédication religieuse. Les rapports de force entre maîtres et serviteurs y sont étudiés sous l'angle de la sensibilité plutôt que dans un esprit socialiste. Mais Marivaux ne cherche pas à braver la censure, il choisit de transposer au théâtre le climat de son roman de 1713, Les effets surprenants de la sympathie, en fondant tout le spectacle sur une antiquité de convention, le double travestissement, et le dépaysement d'un lieu imaginaire dans le goût de la Comédie Italienne.
La mise en scène de Paulo Correia inscrit cette île dans un univers étouffant d'images virtuelles, de vidéos, de langages informatiques, qui saturent les écrans amoncellés comme des rochers ou des blocs de béton que les quatre acteurs principaux (Gaële Boghossian, Ingrid Donnadieu, Clément Althaus et Félicien Chauveau) escaladent avec inquiétude. Doués d'une excellente diction, ils interprètent leur rôle avec conviction, sans exclure toutefois certaines extravagances de comportement dans les scènes scabreuses de séduction mortifiante.
En fait, le metteur en scène, en choisissant de replacer cette fable sociale sur l'inversion des rapports de pouvoir dans une problématique liée aux insolentes virtualités relationnelles contemporaines, cherche à nous révéler un Marivaux visionnaire, annonciateur de Rousseau et de la Révolution, remettant en question subtilement les fonctions du divertissement théâtral, et il y réussit parfaitement.
Philippe Oualid

L'Ile des Esclaves, de Marivaux
Mise en scène de Paulo Correia (Théâtre National de Nice)
Théâtre de La Criée (Marseille), du 12 au 15 Octobre 2011.

Pierre Aimar
Mis en ligne le Samedi 15 Octobre 2011 à 04:51 | Lu 2539 fois
Pierre Aimar
Dans la même rubrique :