L'Opéra de Marseille ressuscite la Chartreuse de Parme d'Henri Sauguet, par Christian Colombeau

Sur sa lancée, celle d’une audace éclectique qui lui fait grand honneur, l’Opéra de Marseille, sous la houlette du sympathique et dynamique Maurice Xiberras, vient encore une fois de prouver sa vitalité en exhumant, comme pour lui donner une seconde chance, cet opéra d’Henri Sauguet dont la carrière - malgré un joli accueil du public- avait été coupée net pour cause de deuxième guerre mondiale.


Un événement et un acte de réparation

Œuvre maudite donc que cette Chartreuse de Parme ? Date fatale pour une création avec en prime une diva qui aura à la Libération quelques démêlés sérieux avec la justice ? La partition tomba fatalement dans l’oubli.
Il aura donc fallu à Maurice Xiberras une ténacité, une patience, une perspicacité en béton pour reconstituer, vrai travail de fourmi et de titan, le matériel de l’œuvre à partir de pièces éparses. C'est devenu une tradition pour l'opéra de Marseille de proposer des opéras français oubliés, inconnus et faire revivre ainsi ce patrimoine extrêmement riche.
On sait qu’à la demande générale, le compositeur avait lui-même remanié et taillé dans sa foisonnante musique, au lendemain même de la première (qui réunissait rappelons-le le gratin du chant wagnérien) jusqu’à l’ultime reprise grenobloise en mars soixante-huit. Le livret s’attache surtout aux amours de Clélia, de Fabrice et de Gina, confrontés à la rivalité du général Conti et du comte Mosca.
Surtout ne cherchez pas ici le bouillant roman de cape et d’épée de Stendhal. Simplifiée à l’extrême par Armand Lunel l’intrigue commence dans l’insouciance pour se terminer par le retrait du ténor dans la fameuse Chartreuse après un Sermon aux Lumières (sic) sur fond de cloches et voix célestes. Préparez vos mouchoirs…

A condition de faire l’effort d’entrer dans cette musique, superficielle pour les uns, faussement savante dans son snobisme ou son parisianisme pour les autres, on pouvait se laisser séduire par l’inspiration mélodique de certaines pages comme la sérénade, l’incarcération du héros, le sermon final, les duos d’amour, les interludes… même si la prosodie n’emballe pas toujours. L’esprit précieux du Groupe des Six flotte plus que celui, épique, de Stendhal.
Il fallait donc à tous une sacré dose de courage pour s’attaquer à ce « monstre littéraire et lyrique ».

Première gagnante de l’entreprise : Renée Auphan. Chez qui les mânes bienfaitrices et protectrices de Louis Ducreux planent toujours. Cette grande dame signe un spectacle chic et choc, de référence, lumineux, luxueux, intelligent, raffiné.
Le rythme, d’une réjouissante allure toute cinématographique, ne laisse aucun temps mort. Dans les lumières poétiques de Laurent Castaingt et les décors astucieux et raffinés de Bruno de Lavenère, les dix tableaux s’enchaînent comme dans la meilleure des bandes dessinées. Les costumes de Katia Duflot sont un régal pour l’œil, d’un goût très sûr, d’un talent rare.
Un sans-faute donc pour ce qui reste désormais comme la référence absolue pour toute production lyrique digne de ce nom et, allons-y franco, devrait être nominée aux Victoires de la Musique, aux César, aux Oscar… comprenne qui voudra !

A tout seigneur, tout honneur. Impliqué comme pas deux, en scène du début à la fin, Sebastien Guèze chante un juvénile et ardent Fabrice del Dongo.
Marie-Ange Todorovitch, d’une classe folle, aux allures de vamp très étudiées, toute d’inceste retenu envers son neveu, donne une pleine vision de la Sanseverina avec un phrasé aux nuances inattendues, presque théâtrales, une diction châtiée, un mezzo chaud et cuivré où pointent çà et là quelques jolis accents de soprano.
Belle à damner tous les chartreux parmesans passés et à venir, Nathalie Manfrino chante et vit Clélia Conti comme dans un rêve éveillé. Le timbre, d’un grain rare, est lumineux. Le strict contrôle de la voix est tempéré dans chaque note par l’intensité de l’expression. Avec en prime cette inimitable sensualité rayonnante.
Il serait injuste de ne pas associer au cast féminin, la très jolie apparition de Sophie Pondjiclis, mais son rôle est à regret tellement court… Tout comme celui d’Eric Huchet, percutant Ludovic. Bien en place les autres petits rôles, finement dessinés, croqués, sucrés-salés, à points.

Plaisir aussi de retrouver deux valeurs sûres chez les clefs de fa hexagonales.
Nicolas Cavalier chante un Mosca qui force la sympathie dans son pathétique amour impossible pour la belle Gina. Enfin, Jean-Philippe Laffont, donne une ironie terrifiante et glacée à un Général Conti campé sur ses ergots. Deux grandes et belles compositions.
Les chœurs n’ont qu’un rôle, là aussi, presque de complément. Pierre Iodice les a galvanisés au mieux.

Le futur Directeur Musical de l’Opéra de Marseille est bien connu pour défendre avec vigueur notre patrimoine musical. Lawrence Foster nous ferait presque oublier les longueurs ou certaines faiblesses de la partition de Sauguet tant sa direction ardente et palpitante s’accompagne de respect et scrupule pour ses chanteurs.
Christian Colombeau
9.02.2012

Christian Colombeau
Mis en ligne le Samedi 11 Février 2012 à 16:26 | Lu 1561 fois
Christian Colombeau
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