Un péplum à la française qui s'écoute sans déplaisir...
DR Opéra de Marseille
Il est fort dommage que peu de gens connaissent la Cléopâtre de Jules Massenet. Curieusement la Reine d’Egypte sauce rémoulade franco-égyptienne ne trouva pas son public. Espérons que dès aujourd’hui, car venant après les représentations stéphanoises de 1990, Barcelone quatre ans plus tard (avec Caballé !) et le concert salzbourgeois l’année dernière, l’avant-dernière œuvre du compositeur trouve enfin sa place dans les théâtres.
Massenet termina son opéra péplum deux mois avant sa mort, en 1912, pour être créé en 1914, à l'Opéra de Monte-Carlo. La présentation parisienne eut lieu en octobre 1919, au Théâtre-Lyrique du Vaudeville. Pour finalement tomber dans l’oubli et le dédain.
L'intrigue, véritable drame passionnel, se concentre sur les dernières amours de la souveraine égyptienne. Son cœur (ou son nez ?) balance entre son soi-disant amant Spakos, qu'elle n'aime plus vraiment, le triumvir Marc-Antoine déjà promis à Octavie, et la guerre qu'Octave a déclaré à l'Egypte. Les péripéties ne manquent pas dans un livret que n’aurait pas renié le plus médiocre scénariste de Cinecitta. Evidemment, c'est la mort qui l'emportera, apparemment seul moyen de pouvoir vivre pleinement l'amour désiré. Eros et Thanatos, ici comme ailleurs, sont souvent indissociables.
La musique, qui sent la fin de règne, est parfois de bonne qualité. Quelques pages, dont l’Ouverture, les marches militaires, les ballets ou même la mort de Cléopâtre sont de grands moments de lyrisme et de théâtre, mais les matériaux musicaux ne s'organisent pas avec la même cohérence que dans Thaïs ou Hérodiade... Les deux personnages principaux sont par contre superbement bien dessinés et offrent de réelles potentialités aux interprètes entre jeux de l'amour et du pouvoir, de la jalousie et de la séduction...
On le voit. Mettre en scène ces deux heures de musique relève de la gageure. Voilà une partition qui accuse forcément malgré quelques fulgurances les limites du genre sur un « poème » des duettistes Payen et Cain qui vous ferait prendre le texte de la pire des espagnolades de Lopez pour du Proust.
C’était sans compter l’approche originale de Charles Roubaud. En vrai rat de bibliothèque, Massenet lui offrant sur un plateau une action, un cadre et un exotisme dignes d'un Hollywood de pacotille, il vous transporte luxueusement entre Rome et Alexandrie dans de persuasives projections animées du meilleur aloi signées Marie-Jeanne Gauthé et des pans de décors brossés par Emmanuel Favre. Les costumes plus vrais que nature (Katia Duflot) et les lumières crépusculairement poétiques de Marc Delamézière achevant de nous séduire. Une certaine noblesse de ton et d’allure se dégage d’un ensemble qui transpire le travail, la recherche dans l’originalité, le respect de l’œuvre et du public.
Au sein d’une distribution d’une rare homogénéité, il nous faudra d’abord rendre justice aux deux principaux protagonistes : le Marc-Antoine de Jean-François Lapointe et la Cléopâtre érotisée à l’extrême, redoutable de séduction, de Béatrice Uria-Monzon. Tous deux beaux comme seuls sa-vaient l’être les dieux antiques, racés, d’une élégance, d’un drapé et d’une sensibilité rares. Couple désormais mythique qui renvoie aux calendres grecques par leur simple autorité vocale et scénique, leur émotion toute retenue, leur insolence et intégrité stylistiques tout ce que l’on a pu voir à ce jour. Défendre une telle partition n’était pas chose facile. Pari relevé et tenu haut la main par ces deux sympathiques – humains, tellement humains ! – et admirables musiciens, dont curieusement on ne se lasse pas de découvrir, de saisons en saisons, le talent, les inépuisables ressources.
L’entourage encore une fois est luxueux et trié sur le volet : Lombardo, Ermelier, Imbert, Delpas, et même la québécoise Kimy Mac Laren sont plus que des silhouettes, panouilles ou seconds cou-teaux. De vrais rôles, percutants, bien en place, efficaces. Chaque réussite individuelle est devenue pour un soir une réussite collective. Chœur et ballet compris.
En Grand Sorcier Impérial de la baguette, Lawrence Foster retrouve dans la fosse phocéenne d’étranges racines psychologiques, anime cette fresque historique de main de Maître, la replace dans un contexte réfléchi, mûr, passionnel de fin de siècle. La ligne musicale toute de sobriété et mesure, sans lourdeur, d’une élégance piquante (certaines pages ont la séduction cuivrée des biceps de Russel Crowe dans Gladiator), nous fait découvrir un Massenet qui échappe totalement à la routine et aux excès.
Christian Colombeau
Massenet termina son opéra péplum deux mois avant sa mort, en 1912, pour être créé en 1914, à l'Opéra de Monte-Carlo. La présentation parisienne eut lieu en octobre 1919, au Théâtre-Lyrique du Vaudeville. Pour finalement tomber dans l’oubli et le dédain.
L'intrigue, véritable drame passionnel, se concentre sur les dernières amours de la souveraine égyptienne. Son cœur (ou son nez ?) balance entre son soi-disant amant Spakos, qu'elle n'aime plus vraiment, le triumvir Marc-Antoine déjà promis à Octavie, et la guerre qu'Octave a déclaré à l'Egypte. Les péripéties ne manquent pas dans un livret que n’aurait pas renié le plus médiocre scénariste de Cinecitta. Evidemment, c'est la mort qui l'emportera, apparemment seul moyen de pouvoir vivre pleinement l'amour désiré. Eros et Thanatos, ici comme ailleurs, sont souvent indissociables.
La musique, qui sent la fin de règne, est parfois de bonne qualité. Quelques pages, dont l’Ouverture, les marches militaires, les ballets ou même la mort de Cléopâtre sont de grands moments de lyrisme et de théâtre, mais les matériaux musicaux ne s'organisent pas avec la même cohérence que dans Thaïs ou Hérodiade... Les deux personnages principaux sont par contre superbement bien dessinés et offrent de réelles potentialités aux interprètes entre jeux de l'amour et du pouvoir, de la jalousie et de la séduction...
On le voit. Mettre en scène ces deux heures de musique relève de la gageure. Voilà une partition qui accuse forcément malgré quelques fulgurances les limites du genre sur un « poème » des duettistes Payen et Cain qui vous ferait prendre le texte de la pire des espagnolades de Lopez pour du Proust.
C’était sans compter l’approche originale de Charles Roubaud. En vrai rat de bibliothèque, Massenet lui offrant sur un plateau une action, un cadre et un exotisme dignes d'un Hollywood de pacotille, il vous transporte luxueusement entre Rome et Alexandrie dans de persuasives projections animées du meilleur aloi signées Marie-Jeanne Gauthé et des pans de décors brossés par Emmanuel Favre. Les costumes plus vrais que nature (Katia Duflot) et les lumières crépusculairement poétiques de Marc Delamézière achevant de nous séduire. Une certaine noblesse de ton et d’allure se dégage d’un ensemble qui transpire le travail, la recherche dans l’originalité, le respect de l’œuvre et du public.
Au sein d’une distribution d’une rare homogénéité, il nous faudra d’abord rendre justice aux deux principaux protagonistes : le Marc-Antoine de Jean-François Lapointe et la Cléopâtre érotisée à l’extrême, redoutable de séduction, de Béatrice Uria-Monzon. Tous deux beaux comme seuls sa-vaient l’être les dieux antiques, racés, d’une élégance, d’un drapé et d’une sensibilité rares. Couple désormais mythique qui renvoie aux calendres grecques par leur simple autorité vocale et scénique, leur émotion toute retenue, leur insolence et intégrité stylistiques tout ce que l’on a pu voir à ce jour. Défendre une telle partition n’était pas chose facile. Pari relevé et tenu haut la main par ces deux sympathiques – humains, tellement humains ! – et admirables musiciens, dont curieusement on ne se lasse pas de découvrir, de saisons en saisons, le talent, les inépuisables ressources.
L’entourage encore une fois est luxueux et trié sur le volet : Lombardo, Ermelier, Imbert, Delpas, et même la québécoise Kimy Mac Laren sont plus que des silhouettes, panouilles ou seconds cou-teaux. De vrais rôles, percutants, bien en place, efficaces. Chaque réussite individuelle est devenue pour un soir une réussite collective. Chœur et ballet compris.
En Grand Sorcier Impérial de la baguette, Lawrence Foster retrouve dans la fosse phocéenne d’étranges racines psychologiques, anime cette fresque historique de main de Maître, la replace dans un contexte réfléchi, mûr, passionnel de fin de siècle. La ligne musicale toute de sobriété et mesure, sans lourdeur, d’une élégance piquante (certaines pages ont la séduction cuivrée des biceps de Russel Crowe dans Gladiator), nous fait découvrir un Massenet qui échappe totalement à la routine et aux excès.
Christian Colombeau