Verdi a jeté dans sa musique, en se multipliant, son esprit passionné pour susciter, encore une fois, comme par magie, un monde de sons qui reflète la passion dévastatrice des personnages... qui finit par nous emporter également. Inaltérable, l'émotion du dernier acte, quand, l'héroïne, malade de son destin tout autant que de phtisie, affronte comme un Golgotha rédempteur son sacrifice, dans un rêve aigre-doux faisant revivre le bonheur et les souffrances d'autrefois.
Rétrospective, requiem pour une vie ratée, Dévoyée à la recherche d'un temps perdu... ?
Finalement, un peu tout cela dans la mise en scène de Jean-Louis Grinda aux décors et costumes viscontiens des complices de toujours, Rudy Sabounghi et Jorge Jara. Avec toujours ce véritable travail sur le texte, respecté à la lettre. Les rapports de l'héroïne avec le monde extérieur, la puissance de l'argent, de l'honneur et de la famille sont clairement dégagés. Dans ce demi-monde parisien qui étale sa suffisance et sa vulgarité de jouisseur, rongé par la décadence, apparaît soudain le trouble, l'étrangeté (E strano) de quelque chose qui échapperait à ce même monde : l'amour...
Deux distributions se partageaient les huit inoubliables représentations monégasques.
Impossible, devant l’excellence des deux spectacles d’apporter la moindre critique. Bonheur rare. De nos jours, presque un exploit.
Prise de rôle non négligeable : Désirée Rancatore inscrit à son répertoire le rôle des rôles pour toute soprano qui se respecte. Qu'admirer de plus chez la célèbre palermitaine ? Aisance scénique ou présence dramatique d’une fragilité de porcelaine, splendeur du haut médium, luminosité des notes filées, ou cet art consommé de faire passer l'émotion mezza voce ? C’est vous qui voyez…
Plus de violence dramatique peut-être avec sa consœur bulgare Sonya Yoncheva, superbe panthère noire sadiquement menée à l’abattoir, avec en prime cette réjouissante insolence des aigus piqués ou ces graves de poitrine légèrement rauques, telle une confidence charnelle. Les deux se brûlent et se consument aux feux de l’amour dans l’expression toute lyrique de la pureté d’une âme blessée. Dumas est ici servi avec grande classe, Verdi également.
Les ténors rivalisent de juvénilité, de charme, de flamme, d’élan. Une préférence pour Jean-François Borras ? Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas. Peut-être Antonio Gandia a-t-il tendance à trop imiter son professeur Alfredo Kraus, dans le geste, dans la voix. Minime réserve.
A la fois gardien de l’ordre et de la morale, consolateur d’un père puis d’une tuberculeuse, Germont est un rôle atroce.
Luca Salsi et Stefano Antonucci rendent ses lettres de noblesse au " baryton verdien ". Beauté du timbre, texte récité autant que chanté avec ce savoureux sfumato fait de mépris dédaigneux et de paternalisme moralisateur éclatant. Aidés par le metteur en scène, Salsi et Antonucci décapent totalement l’approche du personnage expurgé de ses réflexes véristes et donnent de nouvelles lueurs à ce rôle charbonneux, terriblement conventionnel.
Comprimari de primo cartello (un Marquis d’Obigny sorti tout droit de chez Daumier !) et chœurs parfaits comme toujours.
On croyait connaître l’ouvrage sous la direction « haute tension » de Marco Armiliato. Que nenni ! Plaisir de redécouvrir un maestro qui crève l’écran, capable de respirer avec ses chanteurs, de les mettre en valeur, attentif comme pas deux au tissu orchestral ou à la rigueur rythmique.
Ce qui sort de la fosse de Garnier ressemble à une braise qui se fond admirablement dans l’esprit mortifère de la mise en scène. Pour mieux déployer la violence étouffante de cette passion déchirante et déchirée.
Christian Colombeau
Rétrospective, requiem pour une vie ratée, Dévoyée à la recherche d'un temps perdu... ?
Finalement, un peu tout cela dans la mise en scène de Jean-Louis Grinda aux décors et costumes viscontiens des complices de toujours, Rudy Sabounghi et Jorge Jara. Avec toujours ce véritable travail sur le texte, respecté à la lettre. Les rapports de l'héroïne avec le monde extérieur, la puissance de l'argent, de l'honneur et de la famille sont clairement dégagés. Dans ce demi-monde parisien qui étale sa suffisance et sa vulgarité de jouisseur, rongé par la décadence, apparaît soudain le trouble, l'étrangeté (E strano) de quelque chose qui échapperait à ce même monde : l'amour...
Deux distributions se partageaient les huit inoubliables représentations monégasques.
Impossible, devant l’excellence des deux spectacles d’apporter la moindre critique. Bonheur rare. De nos jours, presque un exploit.
Prise de rôle non négligeable : Désirée Rancatore inscrit à son répertoire le rôle des rôles pour toute soprano qui se respecte. Qu'admirer de plus chez la célèbre palermitaine ? Aisance scénique ou présence dramatique d’une fragilité de porcelaine, splendeur du haut médium, luminosité des notes filées, ou cet art consommé de faire passer l'émotion mezza voce ? C’est vous qui voyez…
Plus de violence dramatique peut-être avec sa consœur bulgare Sonya Yoncheva, superbe panthère noire sadiquement menée à l’abattoir, avec en prime cette réjouissante insolence des aigus piqués ou ces graves de poitrine légèrement rauques, telle une confidence charnelle. Les deux se brûlent et se consument aux feux de l’amour dans l’expression toute lyrique de la pureté d’une âme blessée. Dumas est ici servi avec grande classe, Verdi également.
Les ténors rivalisent de juvénilité, de charme, de flamme, d’élan. Une préférence pour Jean-François Borras ? Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas. Peut-être Antonio Gandia a-t-il tendance à trop imiter son professeur Alfredo Kraus, dans le geste, dans la voix. Minime réserve.
A la fois gardien de l’ordre et de la morale, consolateur d’un père puis d’une tuberculeuse, Germont est un rôle atroce.
Luca Salsi et Stefano Antonucci rendent ses lettres de noblesse au " baryton verdien ". Beauté du timbre, texte récité autant que chanté avec ce savoureux sfumato fait de mépris dédaigneux et de paternalisme moralisateur éclatant. Aidés par le metteur en scène, Salsi et Antonucci décapent totalement l’approche du personnage expurgé de ses réflexes véristes et donnent de nouvelles lueurs à ce rôle charbonneux, terriblement conventionnel.
Comprimari de primo cartello (un Marquis d’Obigny sorti tout droit de chez Daumier !) et chœurs parfaits comme toujours.
On croyait connaître l’ouvrage sous la direction « haute tension » de Marco Armiliato. Que nenni ! Plaisir de redécouvrir un maestro qui crève l’écran, capable de respirer avec ses chanteurs, de les mettre en valeur, attentif comme pas deux au tissu orchestral ou à la rigueur rythmique.
Ce qui sort de la fosse de Garnier ressemble à une braise qui se fond admirablement dans l’esprit mortifère de la mise en scène. Pour mieux déployer la violence étouffante de cette passion déchirante et déchirée.
Christian Colombeau