Le tour de force du ténor
Photos : © Dresse
Au foutoir incohérent - mais luxueux - conçu par l’ancien Maître des lieux nissards, Yves Coudray (décors de Michel Hamon, costumes de Katia Duflot) propose, sur la scène de la Place Beauvau, une vision originale, simple, fraîche, juvénile, intelligente. L’action, bien que transposée l’année de la création (1893) tient plutôt bien la route, avec ce tour de génie d’installer l’héroïne au deuxième acte – sans doute le plus difficile à réussir avec ses allusions bien ancrées au XVIIIe siècle - dans le salon de son protecteur lui-même féru du Siècle des Lumières !
On a craint un instant un flottement pour le pathétique et coloré embarquement des filles de joie du troisième acte qui fait irrésistiblement ici penser à un lubrique défilé de mode pour un salon de l’érotisme Belle-Epoque.
Malgré cette allusion sympathique car voulue comme un hommage à la littérature du moment sur les maisons closes, force est de reconnaître qu’il y avait hélas belle lurette que l’on ne déportait plus les ribaudes pour peupler les Amériques ! La tension, la beauté nue et crue du dernier tableau rachètera tout cela. On y croit et c’est l’essentiel.
On y croit aussi et surtout par la force, le talent, l’engagement, la conviction des interprètes, investis comme pas deux dans ce drame de l’Abbé Prévost revu et visité à la sauce italienne, et que nous préférons de loin, dans sa concision et sa violence, à la poudre de Perlimpinpin et aux entrejambes du Sieur Massenet.
Chapeau bas d’abord à Zwetan Michaïlov pour avoir sauvé le spectacle, à dix jours de la première, suite à la défection du ténor initialement affiché. L’artiste, au passage, en profite pour mettre le rôle à son répertoire. Presque un tour de force ! Il lui sera dès lors beaucoup pardonné pour ses quelques péchés vocaux vite rattrapés par l’enthousiasme que la partition que Puccini lui inspire.
Il est vrai que le bulgare trouve en la californienne Catherine Naglestad une partenaire idéale. Cette Manon, volontaire, qui veut ouvertement le beurre et l’argent du beurre, a la voix et le physique du rôle. La soprano rappelle irrésistiblement la grande Raina Kabaivanska ! Avec en prime cette légèreté cruelle de la jeunesse, ses coups de tête, un attachement presque tactile à l’existence, la résignation face à la mort, pour une vie ni faite ni à faire… La projection dans l’expression dramatique des scènes ultimes vous rive à votre fauteuil.
Plaisir de retrouver Marc Barrard (irréprochable en Lescaut proxénète) et saluons la flopée de petits rôles finement croqués par le reste de la troupe. Chœurs fort bien en place mais on aurait aimé en avoir le double sur scène.
Le souffle accablé et pathétique de Puccini se retrouvait par bonheur dans la fosse. Impossible d’adresser dès lors un reproche sérieux à Luciano Acocella. Du nerf, sans emphase, un Intermezzo sans redondance, limpide, des frissons épidermiques partout ailleurs… De la belle ouvrage.
Cette Manon Lescaut confirme encore une fois que le travail bien fait reste à Marseille une solide tradition.
Christian Colombeau
12 novembre 2009
On a craint un instant un flottement pour le pathétique et coloré embarquement des filles de joie du troisième acte qui fait irrésistiblement ici penser à un lubrique défilé de mode pour un salon de l’érotisme Belle-Epoque.
Malgré cette allusion sympathique car voulue comme un hommage à la littérature du moment sur les maisons closes, force est de reconnaître qu’il y avait hélas belle lurette que l’on ne déportait plus les ribaudes pour peupler les Amériques ! La tension, la beauté nue et crue du dernier tableau rachètera tout cela. On y croit et c’est l’essentiel.
On y croit aussi et surtout par la force, le talent, l’engagement, la conviction des interprètes, investis comme pas deux dans ce drame de l’Abbé Prévost revu et visité à la sauce italienne, et que nous préférons de loin, dans sa concision et sa violence, à la poudre de Perlimpinpin et aux entrejambes du Sieur Massenet.
Chapeau bas d’abord à Zwetan Michaïlov pour avoir sauvé le spectacle, à dix jours de la première, suite à la défection du ténor initialement affiché. L’artiste, au passage, en profite pour mettre le rôle à son répertoire. Presque un tour de force ! Il lui sera dès lors beaucoup pardonné pour ses quelques péchés vocaux vite rattrapés par l’enthousiasme que la partition que Puccini lui inspire.
Il est vrai que le bulgare trouve en la californienne Catherine Naglestad une partenaire idéale. Cette Manon, volontaire, qui veut ouvertement le beurre et l’argent du beurre, a la voix et le physique du rôle. La soprano rappelle irrésistiblement la grande Raina Kabaivanska ! Avec en prime cette légèreté cruelle de la jeunesse, ses coups de tête, un attachement presque tactile à l’existence, la résignation face à la mort, pour une vie ni faite ni à faire… La projection dans l’expression dramatique des scènes ultimes vous rive à votre fauteuil.
Plaisir de retrouver Marc Barrard (irréprochable en Lescaut proxénète) et saluons la flopée de petits rôles finement croqués par le reste de la troupe. Chœurs fort bien en place mais on aurait aimé en avoir le double sur scène.
Le souffle accablé et pathétique de Puccini se retrouvait par bonheur dans la fosse. Impossible d’adresser dès lors un reproche sérieux à Luciano Acocella. Du nerf, sans emphase, un Intermezzo sans redondance, limpide, des frissons épidermiques partout ailleurs… De la belle ouvrage.
Cette Manon Lescaut confirme encore une fois que le travail bien fait reste à Marseille une solide tradition.
Christian Colombeau
12 novembre 2009