Don Ciotti © DR
Vendredi 9 novembre 2018, le Consulat Général d’Italie à Marseille, l’Association DeMains Libres et l’Institut Culturel Italien, organisaient la rencontre avec Don Luigi Ciotti, Président de l’Association ‘Libera’, ‘Associazioni’, ‘Nomi’ e ‘Numeri Contro Le Mafie’, accompagné de Tommaso Giuriati, Président de l’Association DeMains Libres.
Don Luigi Ciotti a fondé le groupe Abele et Libera, en cherchant à unir l’esprit d’accueil avec l’opposition aux mafias, à la corruption et avec l’engagement d’une justice sociale.
Libera est la principale ONG italienne antimafia. Cette organisation s'occupe en particulier de la gestion des biens saisis aux mafias. Elle est reconnue association de promotion sociale par le Ministère du Travail, de la Santé et de la Solidarité Sociale, dotée d’un Spécial Consultative Statut par le Conseil Économique et Social des Nations Unies (ECOSOC).
La structure de coordination, créée en le 25 mars 1995, a été fondée par Luigi Ciotti, déjà fondateur, en 1966 du Groupe Abele, organisation qui s'occupe des jeunes incarcérés et des victimes de la drogue et de la revue Narcomafie. La vice-présidente est Rita Borsellino, sœur du magistrat Paolo Borsellino, assassiné par la mafia sicilienne en 1992. Elle est nommée, en 2005, présidente honoraire.
En présence d’Alessandro Giovine, Consul Général d’Italie, de Francesco Neri, directeur de l’Institut Culturel Italien de Marseille, et d’une foule particulièrement nombreuse et attentive, c’est un homme à l’allure dynamique, cheveux argentés, qui s’assoit avec le public pendant la présentation de la rencontre. Quand il prend à son tour la parole, face au public, la voix est forte, assurée, souvent revendicative, puissante et chaude. Aucune sècheresse dans le ton. Au discours se mêle souvent une note d’humour qui rafraichit l’atmosphère. Cet homme inspire immédiatement la sympathie. Il s’exprime en italien, avec clarté et vigueur, et l’excellente traductrice peine à arrêter ses propos, tant cet homme est habité par son idéal. Don Ciotti ne vient pas ici exposer, expliquer seulement une expérience, mais communiquer, se livrer, s’ouvrir aux autres, échanger. Lorsqu’à la fin de la rencontre, la parole est donnée au public, le tutoiement est naturel, partagé, fraternel.
Simona, morte sous les décombres de la rue d’Aubagne
Don Ciotti : « -Si vous le permettez, ma tête, mon cœur ne peuvent absolument pas vivre ce moment sans rappeler et rendre vivante dans cette salle du consulat une lutteuse d’espérance. Car je crois que Simona était une lutteuse d’espérance. C’était une jeune fille amoureuse des autres. J’ai eu le privilège de passer l’après-midi avec son papa Domenico et sa maman Mariella et j’ai compris ce qu’a été la vie de Simona. Son application dans les études, sa générosité. Simona a passé sa vie à donner de l’espoir aux autres. Je la rappelle ce soir parmi vous car nous devons donner de l’espoir à ceux qui n’en ont plus, c’est un impératif d’éthique.
Les exclus, les plus misérables, c’est pour eux que nous devons espérer. N’oublions surtout pas que les autres sont les thermomètres de notre humanité et l’engagement de Simona pour les autres a été un signe de son humanité. Une italienne, morte ici. Avec elle, nous nous rappelons de ces immeubles écroulés, et des autres victimes. Notre pensée ce soir va à Simona. Ce soir nous dédions à Simona cette rencontre pour la légalité, pour la transparence, parce que les maisons ne doivent pas s’écrouler et on ne doit pas mourir de cette façon-là. »
Don Ciotti ne s’inscrit pas dans l’église des compromissions anciennes avec les mafieux fréquentant les églises et se targuant de leurs rôles de bienfaiteurs et de bons chrétiens, d’hommes d’honneur allant jusqu’à s’incliner devant les boss mafieux lors des processions religieuses.
Non ! Don Ciotti fait partie de ces prêtres courageux dont l’engagement fait honneur à leur église. Quelle que soit l’opinion que l’on peut se forger au vu des pouvoirs détenus par les associations anti-mafia présidées par Don Ciotti, ainsi qu’au vu de l’extraordinaire somme d’argent gérée par ces mêmes associations, force est de reconnaître que les propos tenus par l’homme ont le mérite de la clarté. Il s’exprime sans détour et affirme sa position d’humaniste et de chrétien.
Luigi Ciotti est né le 10 septembre 1945 à Pieve di Cadore, en Vénétie. Il raconte qu’émigré avec sa famille à Turin, il prend le tram tous les matins pour étudier la mécanique. Il a 17 ans. Sur le trajet, au travers de la vitre du bus, il croise un homme qui lit, assis sur un banc. Tous les jours, le même homme, assis au même endroit. Un jour, n’y tenant plus, il descend du bus et demande à cet homme « Puis-je vous offrir un café ? » Aucune réponse. L’automne est là, et chaque jour, Luigi renouvelle sa demande « Un café ? Un thé peut-être ? » Toujours sans réponse. Il sait que l’homme n’est pas sourd puisqu’il sursaute quand les voitures freinent brusquement. Puis un jour, montrant au jeune Luigi le bar de l’autre côté de la rue, les jeunes se passant la drogue, l’homme lui dit : « Occupe-toi plutôt de ces jeunes-là ». Tout est dit. Le lendemain, l’homme ne lisait plus sur son banc. Le froid de l’hiver avait eu raison de lui. L’homme était médecin, pris par une de ces tempêtes de la vie qui l’avait écrasé, la mort d’un être cher dont il se sentait responsable, à tort, mais qui avait entrainé sa déchéance. Luigi comprit alors quel serait son destin. Deux ans plus tard naissait l’association ABELE s’occupant des jeunes incarcérés et des victimes de la drogue.
Don Luigi Ciotti a fondé le groupe Abele et Libera, en cherchant à unir l’esprit d’accueil avec l’opposition aux mafias, à la corruption et avec l’engagement d’une justice sociale.
Libera est la principale ONG italienne antimafia. Cette organisation s'occupe en particulier de la gestion des biens saisis aux mafias. Elle est reconnue association de promotion sociale par le Ministère du Travail, de la Santé et de la Solidarité Sociale, dotée d’un Spécial Consultative Statut par le Conseil Économique et Social des Nations Unies (ECOSOC).
La structure de coordination, créée en le 25 mars 1995, a été fondée par Luigi Ciotti, déjà fondateur, en 1966 du Groupe Abele, organisation qui s'occupe des jeunes incarcérés et des victimes de la drogue et de la revue Narcomafie. La vice-présidente est Rita Borsellino, sœur du magistrat Paolo Borsellino, assassiné par la mafia sicilienne en 1992. Elle est nommée, en 2005, présidente honoraire.
En présence d’Alessandro Giovine, Consul Général d’Italie, de Francesco Neri, directeur de l’Institut Culturel Italien de Marseille, et d’une foule particulièrement nombreuse et attentive, c’est un homme à l’allure dynamique, cheveux argentés, qui s’assoit avec le public pendant la présentation de la rencontre. Quand il prend à son tour la parole, face au public, la voix est forte, assurée, souvent revendicative, puissante et chaude. Aucune sècheresse dans le ton. Au discours se mêle souvent une note d’humour qui rafraichit l’atmosphère. Cet homme inspire immédiatement la sympathie. Il s’exprime en italien, avec clarté et vigueur, et l’excellente traductrice peine à arrêter ses propos, tant cet homme est habité par son idéal. Don Ciotti ne vient pas ici exposer, expliquer seulement une expérience, mais communiquer, se livrer, s’ouvrir aux autres, échanger. Lorsqu’à la fin de la rencontre, la parole est donnée au public, le tutoiement est naturel, partagé, fraternel.
Simona, morte sous les décombres de la rue d’Aubagne
Don Ciotti : « -Si vous le permettez, ma tête, mon cœur ne peuvent absolument pas vivre ce moment sans rappeler et rendre vivante dans cette salle du consulat une lutteuse d’espérance. Car je crois que Simona était une lutteuse d’espérance. C’était une jeune fille amoureuse des autres. J’ai eu le privilège de passer l’après-midi avec son papa Domenico et sa maman Mariella et j’ai compris ce qu’a été la vie de Simona. Son application dans les études, sa générosité. Simona a passé sa vie à donner de l’espoir aux autres. Je la rappelle ce soir parmi vous car nous devons donner de l’espoir à ceux qui n’en ont plus, c’est un impératif d’éthique.
Les exclus, les plus misérables, c’est pour eux que nous devons espérer. N’oublions surtout pas que les autres sont les thermomètres de notre humanité et l’engagement de Simona pour les autres a été un signe de son humanité. Une italienne, morte ici. Avec elle, nous nous rappelons de ces immeubles écroulés, et des autres victimes. Notre pensée ce soir va à Simona. Ce soir nous dédions à Simona cette rencontre pour la légalité, pour la transparence, parce que les maisons ne doivent pas s’écrouler et on ne doit pas mourir de cette façon-là. »
Don Ciotti ne s’inscrit pas dans l’église des compromissions anciennes avec les mafieux fréquentant les églises et se targuant de leurs rôles de bienfaiteurs et de bons chrétiens, d’hommes d’honneur allant jusqu’à s’incliner devant les boss mafieux lors des processions religieuses.
Non ! Don Ciotti fait partie de ces prêtres courageux dont l’engagement fait honneur à leur église. Quelle que soit l’opinion que l’on peut se forger au vu des pouvoirs détenus par les associations anti-mafia présidées par Don Ciotti, ainsi qu’au vu de l’extraordinaire somme d’argent gérée par ces mêmes associations, force est de reconnaître que les propos tenus par l’homme ont le mérite de la clarté. Il s’exprime sans détour et affirme sa position d’humaniste et de chrétien.
Luigi Ciotti est né le 10 septembre 1945 à Pieve di Cadore, en Vénétie. Il raconte qu’émigré avec sa famille à Turin, il prend le tram tous les matins pour étudier la mécanique. Il a 17 ans. Sur le trajet, au travers de la vitre du bus, il croise un homme qui lit, assis sur un banc. Tous les jours, le même homme, assis au même endroit. Un jour, n’y tenant plus, il descend du bus et demande à cet homme « Puis-je vous offrir un café ? » Aucune réponse. L’automne est là, et chaque jour, Luigi renouvelle sa demande « Un café ? Un thé peut-être ? » Toujours sans réponse. Il sait que l’homme n’est pas sourd puisqu’il sursaute quand les voitures freinent brusquement. Puis un jour, montrant au jeune Luigi le bar de l’autre côté de la rue, les jeunes se passant la drogue, l’homme lui dit : « Occupe-toi plutôt de ces jeunes-là ». Tout est dit. Le lendemain, l’homme ne lisait plus sur son banc. Le froid de l’hiver avait eu raison de lui. L’homme était médecin, pris par une de ces tempêtes de la vie qui l’avait écrasé, la mort d’un être cher dont il se sentait responsable, à tort, mais qui avait entrainé sa déchéance. Luigi comprit alors quel serait son destin. Deux ans plus tard naissait l’association ABELE s’occupant des jeunes incarcérés et des victimes de la drogue.
Voici quelques extraits du discours de Don Ciotti :
« L’éthique doit être la base de toutes les professions, le fondement de tous nos choix, à commencer par notre conscience nos comportements. Partir des petites choses, des gestes, est fondamental. Des jeunes lycéens disaient ce matin, à quoi sert de faire des manifestations puis de fumer des joints parce qu’on arrose, on admet les mafias. Je vais manifester pour la légalité, la paix, contre la mafia et après… Ce lycéen a fait une demande intelligente ; ce sont nos comportements, nos langages qu’il faut changer… »
« La légalité est le drapeau que tous usent, à commencer par ceux qui la piétinent tous les jours »
La légalité ce n’est pas le but, le but c’est la justice. A Gorizia, deux mois avant la tragédie, j’étais avec Falcone, je tenais un cours pour les policiers sur la dépendance à la drogue, Giovanni Falcone a dit : « La lutte à la mafia c’est une lutte de légalité et de civilité ». On a tellement parlé de légalité, que c’est une parole qu’on nous a volée, vidé de son sens. Il faut parler de responsabilité et de devoir pour la dignité, la liberté des personnes et la civilité. La légalité ne doit pas être une parole abstraite, ce doit être une parole de vie qui veut dire travail, maisons, aides, politique sociale etc. Les mafias ne sont pas filles de la pauvreté et du sous-développement mais c’est sur la pauvreté et du sous-développement qu’elles trouvent un terrain fertile pour rejoindre leur objectif, leur but… Avec Falcone nous nous sommes retrouvés avec des rôles différents, mais le même objectif, la formation car le problème de la formation est un problème fondamental pour tous. Connaître pour être plus responsable, plus au service, l’accueil des familles, des jeunes. A la fin de cette journée, nous nous sommes salués en nous donnant un rendez-vous pour un café que nous ne prendrons jamais. »
« Nous vivons dans la diversité et non pas dans l’adversité »
« Les véritables héros sont les gens qui changent notre vie. J’ai commencé mes activités à 17 ans grâce à une rencontre qui a changé la mienne. Vers 20 ans j’ai commencé avec le groupe ABELE. Ce qui est intéressant dans ce groupe, c’est un nous, ce n’est pas un je ; c’est la rue qui nous a montré le chemin. La rue est un endroit de fête de joie mais aussi de désespoir et d’exclusion c’est la rue qui nous a appris que l’humain est au centre. Chaque être humain est différent. Nous vivons dans la diversité et non pas dans l’adversité. 50 ans après sa création le groupe Abele qui est né dans la rue continue à être dans la rue… »
« Aujourd’hui, on creuse dans la peur des Italiens. Il y a une hémorragie d’humanité et une hémorragie de mémoire »
« Il est important pour moi de souder la terre et le ciel ayant comme points de référence l’évangile et la constitution italienne. Mais quand je dis constitution italienne je ne veux pas oublier la carte européenne et la constitution des droits de l’homme, une grande référence pour moi… Ma vie est une synthèse avec toutes mes fragilités, entre rêve et réalité. Je vous souhaite à tous de donner un espace au rêve. Nous devons être capables de rêver ; je rêve d’un changement possible mais le changement nous devons le faire en chacun de nous et je suis heureux de voir que le Pape François prend position en ce sens. Dieu besoin de nos mains pour secourir et de nos voix pour dénoncer les injustices commises en silence, dont souvent beaucoup sont complices. Ne nous rendons pas complices ; quelles que soient nos références. Face à ce qui est en train d’arriver sur la planète entière nous ne pouvons pas et nous ne devons pas nous taire. Le cri de la terre est le cri du peuple qui nous rappelle que le désastre environnemental et le désastre social ne sont pas deux crises diverses mais une seule et unique crise socio-environnementale. Et quand une recherche sérieuse nous dit que 326 millions d’enfants vivent en ce moment dans des pays en guerre, avec 47 conflits en cours actuellement, avec des millions de morts civils, d’enfants, comment peut-on se taire, comment peut-on. Et ce mal est aussi chez nous. Dans mon pays, mais pas seulement, grandit une forme de racisme, de fascisme, mais le problème vient du fait que cela est politiquement légitimé et publiquement reconnu. Là est le vrai problème. Et les choix politiques qui sont faits sont contre nature, que cela plaise ou que cela ne plaise pas, je ne peux pas oublier que nous avons une histoire. Nous sommes ici avec un Consul qui est là professionnel et généreux, pour apporter un service important, mais je ne peux pas oublier qu’en 1919, à la fin de la guerre 1915/18, des millions de morts, la pauvreté, l’épuisement, les souffrances, Benito Mussolini a pris 4.500 votes aux élections. Le parti socialiste, 1million 800 mille votes. Trois ans plus tard, c’est la marche sur Rome, et Mussolini au pouvoir. Allez voir quelles sont les paroles clé de la campagne de Benito Mussolini, exactement celles-ci "Il faut creuser dans la rancœur des Italiens". Aujourd’hui on creuse dans les peurs des Italiens. On passe au-dessus de tout cela parce qu’il y a une peur économique, peur de la solitude, du changement, peur de l’autre, de l’étranger ; il y a une hémorragie d’humanité et une hémorragie de mémoire. Ils ont oublié notre histoire. Dans le val de Suza en 1947/48 le maire de Giaglione (Jaillons), dans le piémont, écrit au préfet de Turin « Je n’ai plus d’argent pour les cercueils ». Ceux de nos migrants d’hier sur nos montagnes toujours aussi merveilleuses. Si nous allons voir la chronique du journal de Jaillons, on parle de familles mortes avec leurs enfants, sur les glaciers. C’est notre histoire et je le dis avec l’amour viscéral que j’ai pour mon pays, j’aime l’Italie et je lutte pour que l’Europe ne se laisse pas entraîner car aujourd’hui les pays fondateurs de l’Europe jouent à se renvoyer la balle. En Europe aussi ils jouent à faire des murs et des barbelés. Alors on ne peut pas se taire. Je ne me suis jamais soustrait à discuter avec qui que ce soit, de rencontrer, d’expliquer car je crois qu’il est important de se rencontrer, de raisonner. Nous avons peut-être des raisonnements divers mais il n’y a que la discussion, la rencontre, le concret. Aujourd’hui on profite du moment où il y a la peur, la désorientation, désarroi, perte du futur, deux millions de jeunes qui n’étudient plus et ne trouvent plus de travail. Notre société est faible et le malaise fait racine dans la désagrégation du lien social, dans l’apparition de solitude et de fragilité. Voilà pourquoi ce décret voté en Italie le 7 novembre au nom de la sécurité provoque des nuisances, réduit les droits, augmentera la fuite et la misère des migrants. Laissez-moi le dire, je m’en voudrais si je ne le disais pas, nous sommes complices et moi je ne veux pas être complice. C’est un décret inhumain. Ceci est la trahison de la démocratie et de la constitution. Je n’ai pas d’autres paroles pour dire ce que nous sommes en train de vivre. »
« L’accueil est la base de la civilisation et il est plus que jamais important de s’en rappeler. C’est l’accueil qui est à la base de toutes nos relations car une société qui accueille est une société vivante. Une société qui refoule est une société qui refoule la vie. Aujourd’hui mon pays est touché par une hémorragie d’humanité due notamment à ses choix politiques »
Au terme de deux heures d’écoute et d’échanges riches, Don Ciotti termine avec des mots d’espoir :
« Notre devoir, notre responsabilité et de rester proche des personnes et d’apprendre à cueillir le positif »
« Notre devoir, notre responsabilité, c’est d’illuminer toutes les choses positives, parce qu’il y a des choses positives dans toutes les réalités. Partout où je vais de par le monde, écoles, universités, je dis ‘Eduquons-nous à cueillir le positif’. Je peux vous dire que la chose positive, c’est vous. Les paroles sont des actions et sont donc ‘responsabilité’. Nous devons contraster les dégradations de la parole. Nous devons rester proches de la vie, ce qui veut dire proche des personnes. Libera est né également pour rapprocher les familles des victimes innocentes. Aujourd’hui, même si nous sommes petits, nous avons lutté 23 ans mais le jour de la mémoire du 21 mars qui rappelle toutes les victimes des mafias est le jour du devoir pour se souvenir de tous, pas seulement des ‘grands noms’. On veut se souvenir de toutes les victimes. Notre petite association Libera a recueilli un million de signatures dans toute l’Italie pour faire une loi confisquant le bien des mafieux et l’utilisation sociale de ces biens. Je suis heureux de voir que tout doucement la France en prend également le chemin. Alors tout est possible. Si nous unissons nos forces, même si la route est difficile, Tout est possible ! »
Danielle Dufour-Verna
« La légalité est le drapeau que tous usent, à commencer par ceux qui la piétinent tous les jours »
La légalité ce n’est pas le but, le but c’est la justice. A Gorizia, deux mois avant la tragédie, j’étais avec Falcone, je tenais un cours pour les policiers sur la dépendance à la drogue, Giovanni Falcone a dit : « La lutte à la mafia c’est une lutte de légalité et de civilité ». On a tellement parlé de légalité, que c’est une parole qu’on nous a volée, vidé de son sens. Il faut parler de responsabilité et de devoir pour la dignité, la liberté des personnes et la civilité. La légalité ne doit pas être une parole abstraite, ce doit être une parole de vie qui veut dire travail, maisons, aides, politique sociale etc. Les mafias ne sont pas filles de la pauvreté et du sous-développement mais c’est sur la pauvreté et du sous-développement qu’elles trouvent un terrain fertile pour rejoindre leur objectif, leur but… Avec Falcone nous nous sommes retrouvés avec des rôles différents, mais le même objectif, la formation car le problème de la formation est un problème fondamental pour tous. Connaître pour être plus responsable, plus au service, l’accueil des familles, des jeunes. A la fin de cette journée, nous nous sommes salués en nous donnant un rendez-vous pour un café que nous ne prendrons jamais. »
« Nous vivons dans la diversité et non pas dans l’adversité »
« Les véritables héros sont les gens qui changent notre vie. J’ai commencé mes activités à 17 ans grâce à une rencontre qui a changé la mienne. Vers 20 ans j’ai commencé avec le groupe ABELE. Ce qui est intéressant dans ce groupe, c’est un nous, ce n’est pas un je ; c’est la rue qui nous a montré le chemin. La rue est un endroit de fête de joie mais aussi de désespoir et d’exclusion c’est la rue qui nous a appris que l’humain est au centre. Chaque être humain est différent. Nous vivons dans la diversité et non pas dans l’adversité. 50 ans après sa création le groupe Abele qui est né dans la rue continue à être dans la rue… »
« Aujourd’hui, on creuse dans la peur des Italiens. Il y a une hémorragie d’humanité et une hémorragie de mémoire »
« Il est important pour moi de souder la terre et le ciel ayant comme points de référence l’évangile et la constitution italienne. Mais quand je dis constitution italienne je ne veux pas oublier la carte européenne et la constitution des droits de l’homme, une grande référence pour moi… Ma vie est une synthèse avec toutes mes fragilités, entre rêve et réalité. Je vous souhaite à tous de donner un espace au rêve. Nous devons être capables de rêver ; je rêve d’un changement possible mais le changement nous devons le faire en chacun de nous et je suis heureux de voir que le Pape François prend position en ce sens. Dieu besoin de nos mains pour secourir et de nos voix pour dénoncer les injustices commises en silence, dont souvent beaucoup sont complices. Ne nous rendons pas complices ; quelles que soient nos références. Face à ce qui est en train d’arriver sur la planète entière nous ne pouvons pas et nous ne devons pas nous taire. Le cri de la terre est le cri du peuple qui nous rappelle que le désastre environnemental et le désastre social ne sont pas deux crises diverses mais une seule et unique crise socio-environnementale. Et quand une recherche sérieuse nous dit que 326 millions d’enfants vivent en ce moment dans des pays en guerre, avec 47 conflits en cours actuellement, avec des millions de morts civils, d’enfants, comment peut-on se taire, comment peut-on. Et ce mal est aussi chez nous. Dans mon pays, mais pas seulement, grandit une forme de racisme, de fascisme, mais le problème vient du fait que cela est politiquement légitimé et publiquement reconnu. Là est le vrai problème. Et les choix politiques qui sont faits sont contre nature, que cela plaise ou que cela ne plaise pas, je ne peux pas oublier que nous avons une histoire. Nous sommes ici avec un Consul qui est là professionnel et généreux, pour apporter un service important, mais je ne peux pas oublier qu’en 1919, à la fin de la guerre 1915/18, des millions de morts, la pauvreté, l’épuisement, les souffrances, Benito Mussolini a pris 4.500 votes aux élections. Le parti socialiste, 1million 800 mille votes. Trois ans plus tard, c’est la marche sur Rome, et Mussolini au pouvoir. Allez voir quelles sont les paroles clé de la campagne de Benito Mussolini, exactement celles-ci "Il faut creuser dans la rancœur des Italiens". Aujourd’hui on creuse dans les peurs des Italiens. On passe au-dessus de tout cela parce qu’il y a une peur économique, peur de la solitude, du changement, peur de l’autre, de l’étranger ; il y a une hémorragie d’humanité et une hémorragie de mémoire. Ils ont oublié notre histoire. Dans le val de Suza en 1947/48 le maire de Giaglione (Jaillons), dans le piémont, écrit au préfet de Turin « Je n’ai plus d’argent pour les cercueils ». Ceux de nos migrants d’hier sur nos montagnes toujours aussi merveilleuses. Si nous allons voir la chronique du journal de Jaillons, on parle de familles mortes avec leurs enfants, sur les glaciers. C’est notre histoire et je le dis avec l’amour viscéral que j’ai pour mon pays, j’aime l’Italie et je lutte pour que l’Europe ne se laisse pas entraîner car aujourd’hui les pays fondateurs de l’Europe jouent à se renvoyer la balle. En Europe aussi ils jouent à faire des murs et des barbelés. Alors on ne peut pas se taire. Je ne me suis jamais soustrait à discuter avec qui que ce soit, de rencontrer, d’expliquer car je crois qu’il est important de se rencontrer, de raisonner. Nous avons peut-être des raisonnements divers mais il n’y a que la discussion, la rencontre, le concret. Aujourd’hui on profite du moment où il y a la peur, la désorientation, désarroi, perte du futur, deux millions de jeunes qui n’étudient plus et ne trouvent plus de travail. Notre société est faible et le malaise fait racine dans la désagrégation du lien social, dans l’apparition de solitude et de fragilité. Voilà pourquoi ce décret voté en Italie le 7 novembre au nom de la sécurité provoque des nuisances, réduit les droits, augmentera la fuite et la misère des migrants. Laissez-moi le dire, je m’en voudrais si je ne le disais pas, nous sommes complices et moi je ne veux pas être complice. C’est un décret inhumain. Ceci est la trahison de la démocratie et de la constitution. Je n’ai pas d’autres paroles pour dire ce que nous sommes en train de vivre. »
« L’accueil est la base de la civilisation et il est plus que jamais important de s’en rappeler. C’est l’accueil qui est à la base de toutes nos relations car une société qui accueille est une société vivante. Une société qui refoule est une société qui refoule la vie. Aujourd’hui mon pays est touché par une hémorragie d’humanité due notamment à ses choix politiques »
Au terme de deux heures d’écoute et d’échanges riches, Don Ciotti termine avec des mots d’espoir :
« Notre devoir, notre responsabilité et de rester proche des personnes et d’apprendre à cueillir le positif »
« Notre devoir, notre responsabilité, c’est d’illuminer toutes les choses positives, parce qu’il y a des choses positives dans toutes les réalités. Partout où je vais de par le monde, écoles, universités, je dis ‘Eduquons-nous à cueillir le positif’. Je peux vous dire que la chose positive, c’est vous. Les paroles sont des actions et sont donc ‘responsabilité’. Nous devons contraster les dégradations de la parole. Nous devons rester proches de la vie, ce qui veut dire proche des personnes. Libera est né également pour rapprocher les familles des victimes innocentes. Aujourd’hui, même si nous sommes petits, nous avons lutté 23 ans mais le jour de la mémoire du 21 mars qui rappelle toutes les victimes des mafias est le jour du devoir pour se souvenir de tous, pas seulement des ‘grands noms’. On veut se souvenir de toutes les victimes. Notre petite association Libera a recueilli un million de signatures dans toute l’Italie pour faire une loi confisquant le bien des mafieux et l’utilisation sociale de ces biens. Je suis heureux de voir que tout doucement la France en prend également le chemin. Alors tout est possible. Si nous unissons nos forces, même si la route est difficile, Tout est possible ! »
Danielle Dufour-Verna