© S. Flament
Un coup d'essai, pas un coup de maître ...
Salomé de Strauss/Wilde ou le franchissement des tabous. Adolescente perverse, extravagante, capricieuse, sadique, pathétique de névrose, la sensuelle fille d’Hérodiade convoitée libidineusement par son beau-père, est l’icône même de l’affrontement entre Eros et Thanatos, un cérémonial de la vie et de la mort, une exaspération des passions portée à son paroxysme. Le tout dans un écrin empli de dissonances aux rythmes torturés, une pâte sonore blafarde qui cherche à transcrire au mieux les méandres psychologiques des personnages.
Au final ? Une heure quarante-cinq d’expressionnisme décadent, une tension érotique de tous les instants, un venin distillé avec l’insouciance d’une candeur machiavélique en prise à un désir fou. Pour couronner le tout, le baiser – ultime élan religieux teinté d’érotisme ? - le plus révulsant, le plus frustrant, le plus obscène, le plus morbide de l’histoire de l’opéra, car posé sur les lèvres de la tête fraîchement décapitée d’un prophète visionnaire qui a clamé, lui, le vrai, le seul, l’unique Amour.
Mais volons à l’essentiel.
Pour sa première mise en scène d’opéra, le travail de Marguerite Borie laisse perplexe. A l’applaudimètre, demi-échec ou demi-réussite ? A chacun de voir midi à sa porte. Un huis-clos anthracite étouffant, une citerne très design, aucun accessoire (la tête demandée sur un plateau d’argent sera livrée enveloppée dans un torchon long comme un jour sans pain ?!), des jeux irritants vus et revus avec les lourds manteaux que l’on se passe de main en main, histoire de meubler un vide inquiétant, un septuor des juifs et nazaréens qui frôle l’hystérie acrobatique et pour finir un strip-tease (par ailleurs fort agréable) totalement hors de propos. La violence abrupte et crue de la scène finale tombe à plat.
Positif du négatif en quelque sorte, la vraie Salomé nous la devrons – à dose homéopathique - à Nicola Beller Carbone qui en est, sauf erreur de notre part, à sa huitième production. Belle comme il n’est pas permis avec en prime cette candeur machiavélique, cette naïveté monstrueuse qui donnent le tournis, la Diva, plus Fille-Fleur érotique que monstre dissolu, fait passer ça et là, en quelques attitudes autoritaires, mines boudeuses ou éclairs fulgurants un réel frisson. Ses si naturels ou bémols sont impériaux.
Fantastique prise de rôle pour Andreas Conrad qui définit à la perfection un Hérode insurpassable dans la composition d’un roi contradictoire, torturé de peur, de désir, finalement faible puis grotesque. Voix de ténor éclatante, une conviction là aussi ravageuse…
Portant toutes les tares de son monde, l’Hérodias nauséeuse d’Hedwig Fassbender fait valoir elle aussi un impact vocal sidérant et forme avec son mari de Tétrarque un couple flamboyant de décadence morale et psychique.
Si on peut légitimement rêver timbre plus noble, plus vaillant, plus digne de la prophétisation que celui de Werner Van Mechelen, rien à redire par contre sur les nombreux seconds rôles où l’on a plaisir à retrouver la fine-fleur d’artistes chevronnés (Gabriel, Shirrer, Hollop…) face aux Narraboth de belle dimension car sexy et percutant d’Attila B. Kiss.
Engloutissant le plateau dans une masse orchestrale digne d’Elektra, Asher Fisch donne raison à Richard Strauss lui-même qui disait : « Je me moque des chanteurs, seul l’orchestre m’intéresse ».
Où sont passés, dans cette tonitruante direction, les nuances, les détails, les sensuelles trouvailles harmoniques, le voluptueux, le cruel et même parfois l’humour et la drôlerie ? La fameuse Danse des Sept Voiles avait des allures d’un défilé de la Wermacht sur le Prater.