Tomma Abts, Jockum Nordström et Pavel Pepperstein sélectionnés pour le Prix de dessin 2015 de la Fondation d’Art Contemporain Daniel & Florence Guerlain


Tomma Abts

Tomma Abts Untitled #5, 2013 Crayon de couleur et crayon sur papier 84,1 x 59,4 cm Courtesy Greengrassi, London Daniel Buchholz, Cologne David Zwirner, New York ©Marcus Leith
Par ses lignes, courbes et autres formes proches de la géométrie, le travail de Tomma Abts n’a d’autres intentions que de donner à voir le plus clairement possible ce qui émerge de son imagination, sans être une simplification du réel. Ainsi, ces triangles, cercles ou polygones, ces contours ou hachures qui s’imbriquent et se croisent n’affichent pas d’hommage indirect à certains courants de l’abstraction, mais permettent de rendre tangible ce qui ne l’est pas, d’élaborer et de créer à partir de rien.

Si l’artiste débute librement et intuitivement sur sa feuille, ces formes lui apparaissent dans un second temps, avant d’être retravaillées de manière quasi obsessionnelle, également par leur multiplicité. Commencer et recommencer « ce qui n’est pas de la géométrie au départ, mais le devient » s’apparente à résoudre un problème mathématique et à laisser naître les véritables sujets que sont le mouvement, l’espace, la lumière et l’atmosphère.

Tensions entre les couleurs, se répondant les unes aux autres, mais aussi travail subtil sur les ombres, retranscrivent l’énergie insufflée à chacune des œuvres, de manière lente et réfléchie pour les peintures ou plus rapide pour les dessins. Ces derniers offrent alors une respiration dans la vivacité de leur exécution. Si l’organique était plus présent il y a quelques années, les ondulations ont laissé davantage la marge aux lignes et bandes, car « lorsqu’on tente de s’exprimer clairement, on recherche la simplicité ». Sorte de méditation cartésienne et approche rigoureuse d’un ressenti indéfinissable sont les pratiques quotidiennes de Tomma Abts, qui emploie souvent le mot « humeur » et dit savoir quand le travail est abouti, juste de manière intuitive et impalpable.

Jockum Nordström

Jockum Nordström I’m a Failure, 2011 Collage sur papier 86,5 x 64 cm Collection Florence et Daniel Guerlain, Les Mesnuls Courtesy Galleri Magnus Karlsson, Stockholm
Avec la mine gracile de son crayon, le délié de l’aquarelle ou la construction des collages, Jockum Nordström conte des histoires dans lesquelles la mémoire de Stockholm se mêle à la sienne, faisant s’épouser le passé et le présent.

Le XVIIIe siècle, en France ou en Europe, et la période de la Révolution ont notamment passionné Jockum Nordström, tout comme l’architecture de cette époque. Très présente dans la capitale suédoise, il aime autant l’observer in situ que dans ses livres représentant soit une inspiration indirecte, soit des motifs à découper. « J’ai toujours été attiré par le temps d’avant, même petit, alors que je dessinais déjà. Toutefois, si mes dessins peuvent donner l’impression de renvoyer aux siècles anciens, pour moi, ils parlent d’aujourd’hui. » À tel point que même une architecture ou un animal évoquent pour l’artiste un être humain et ses passions. De là sont nées les multiples scènes érotiques et combinaisons debout, allongées, accroupies…Traitant de l’homme, la femme et des hiérarchisations dans nos sociétés.
« Comme je raconte des histoires, je serais un menteur si je n’abordais pas ce qui occupe une grande part de nos vies. Il s’agit ensuite de composer l’ensemble. »
Son style peut évoquer Henry Darger, qu’il admire notamment pour son sens de l’aquarelle et de la ligne. « Il était très fort dans les couleurs et je pense que c’est un excellent peintre abstrait, tout comme Henri Matisse dont les papiers découpés m’avaient marqué au Moderna Museet. »

Pavel Pepperstein

Pavel Pepperstein Do you see this rock there? Once I saw this famous White Supreme on the top of that rock. Believe me…, 2014 Aquarelle sur papier 30,5 x 45,5 cm Collection Florence et Daniel Guerlain, Les Mesnuls. Courtesy Pace London
ll est un peu suranné, aujourd’hui, de parler d’engagement dans l’art contemporain, pourtant Pavel Pepperstein peut s’inscrire au nombre de ces artistes qui contestent, mêlant totalement leur autobiographie à leur oeuvre. Il n’est que de regarder ses derniers travaux pour comprendre que l’actualité nourrit l’oeuvre de Pavel Pepperstein, résidant en Crimée. Certaines de ses aquarelles se nomment ainsi Debris of The Future ou encore The War in the Sea, mettant en action de volontaires t riangles suprématistes face à de pauvres paysans. Sa réflexion politique et artistique a d’ailleurs été aiguisée très tôt par son père, le conceptualiste moscovite Viktor Pivovarov ou encore par son aîné, le plasticien Ilya Kabakov. Prolifique, il crée à 21 ans le collectif expérimental Inspection Medical Hermeneutics et, outre sa carrière artistique, devient écrivain, critique, mais aussi chanteur de rap !

Un rien provocateur, Pavel Pepperstein n’hésite pas à mettre en parallèle les illusions perdues de son pays avec le symbole toujours actuel de tous les possibles, représenté par les États-Unis. Ainsi, il se demande quel est le plus iconique, du suprématisme de Malevitch ou du drapeau américain ? Qui gagnerait entre le Carré Noir de l’artiste russe et l’étendard de Jasper Johns ? Appuyées par des phrases chocs, telles que « The suffering face of the modern capitalism » ou « Europa in Trouble », qui sont aussi à lire avec le décalage d’un certain humour, ces plages se développent dans la douceur d’une aquarelle vivifiée par le trait cru du dessin. Car Pavel Pepperstein laisse autant éclore la liquidité des couleurs qu’un trait sec et précis. Il rend des hommages appuyés à Vassily Kandinsky ou El Lissitzky, convoquant les fantômes de l’histoire de l’art et ceux de l’histoire, pour rendre attentif aux troubles du présent.

Pavel Pepperstein, un pseudonyme, n’aime pas trop en dire sur son travail afin d’apporter un peu de subtilité dans une époque qui ne l’est pas. Son travail est fait d’associations libres, voire surréalistes, que d’aucuns ont rapproché de la psychanalyse, quand lui-même se nomme un « réaliste psychédélique ». Analogies des rêves et des désirs lui font aborder la thématique de la méditation, particulièrement dans les sociétés occidentales, sans oublier les questions liées au pouvoir quand il dit s’intéresser au sens actuel du mot « suprême ». Penser, un siècle après sa création, à cet héritage de l’avant-garde russe, remet bien le mot « utopie » sur le devant de la scène.

Le Prix de dessin contemporain de la Fondation Daniel et Florence Guerlain

Fortement doté (25.000 euros), le Prix de dessin de la Fondation d’Art Contemporain Daniel & Florence Guerlain a été créé pour favoriser la place du dessin dans l’art et permettre à des artistes de poursuivre leur travail de création.
Ce Prix est réservé aux artistes, français ou étrangers, habitant ou non en France, mais entretenant avec la France un lien culturel privilégié (au travers d’expositions institutionnelles, d’études…) et pour qui le dessin constitue une part significative de leur œuvre et ce, quelque soit leur mode principal d’expression (peinture, sculpture, photographie, etc.).

Attribué pour la première fois en 2007 et biennal jusqu’en 2009, le Prix récompense les artistes qui réalisent toute œuvre unique sur papier et carton, utilisant les moyens graphiques : crayon, fusain, sanguine, encre, lavis, gouache, aquarelle, pastel, feutre…, incluant les collages et le dessin mural et excluant les procédés informatiques et mécaniques.

La remise du Prix aura lieu le 26 mars 2015 lors du Salon du dessin au Palais de la Bourse. Le lauréat recevra une dotation de 15.000 euros et les deux autres artistes sélectionnés recevront 5.000 euros chacun. Une œuvre du lauréat est offerte par la Fondation au cabinet d’art graphique du Musée national d’art moderne – Centre Pompidou.

Pierre Aimar
Mis en ligne le Jeudi 11 Décembre 2014 à 18:26 | Lu 423 fois
Pierre Aimar
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