La Liberté guidant le Peuple, par Delacroix
Les auditeurs n’ont pas boudé l’université populaire du 15 février 2018, sur le thème de « la politique de la peur et des libertés » qui s’est tenue dans une salle comble avec Roland Gori, professeur émérite des Universités, psychanalyste, Michèle Riot-Sarcey, professeur émérite d’histoire contemporaine et d’histoire du genre, militante et historienne du féminisme, écrivaine et Richard Martin.
Richard Martin souhaite la bienvenue aux deux conférenciers : - « Je voulais vous dire combien je suis attaché à ces universités populaires. Merci madame d’avoir fait le trajet jusqu’ici dans ce carré de résistance qui se nourrit de vos lumières. Et dire à Roland combien je suis attaché à sa pensée, à ses efforts pour que nous essayions tous ensemble et de la façon la plus démocratique d’en savoir davantage » « Il y a, dit-il, des peurs qui sauvent et des peurs qui tuent. Il faut faire le tri, avancer avec sa peur mais se débarrasser de celles qui nous manipulent car certains savent comment on fait pour faire peur et s’en servent. »
En guise d’ouverture Richard Martin ne pouvait choisir poème plus adapté à cette soirée-débat que celui de François Villon ‘La Ballade des Pendus’ qu’il interprète magistralement, tout en retenue et émotion : « Frères humains qui après nous vivez, N’ayez les cœurs contre nous endurcis… »
Richard Martin souhaite la bienvenue aux deux conférenciers : - « Je voulais vous dire combien je suis attaché à ces universités populaires. Merci madame d’avoir fait le trajet jusqu’ici dans ce carré de résistance qui se nourrit de vos lumières. Et dire à Roland combien je suis attaché à sa pensée, à ses efforts pour que nous essayions tous ensemble et de la façon la plus démocratique d’en savoir davantage » « Il y a, dit-il, des peurs qui sauvent et des peurs qui tuent. Il faut faire le tri, avancer avec sa peur mais se débarrasser de celles qui nous manipulent car certains savent comment on fait pour faire peur et s’en servent. »
En guise d’ouverture Richard Martin ne pouvait choisir poème plus adapté à cette soirée-débat que celui de François Villon ‘La Ballade des Pendus’ qu’il interprète magistralement, tout en retenue et émotion : « Frères humains qui après nous vivez, N’ayez les cœurs contre nous endurcis… »
Roland Gori : « Faire un détour par le passé pour mieux éclairer notre présent »
Après avoir rappelé qu’est accueillie ce soir une très grande historienne, Roland Gori cite Walter Benjamin, philosophe (1892-1940) : « en sauvant le passé on se sauve un peu soi-même » donc citer le passé est la condition de notre émancipation sociale. Rendons donc justice aux dominés des générations passées. En réparant les souffrances des générations passées nous pouvons sauver le passé par le présent. D’où le choix de notre invitée, non pour un retour vers le passé mais un détour par le passé pour mieux éclairer notre présent. J’avais naïvement pensé que l’on pouvait articuler peur et liberté, je sais que ce n’est pas le point de vue de Michèle et je vais lui laisser tout le temps de parole… Nous parlerons une autre fois de la politique d’administration de la peur, de la liaison étroite de la peur avec la sécurité… de notre hyper modernité qui nous conduit à patiner sur la glace, d’où justement ce monde administré par la peur, d’où également ces mesures sécuritaires dont on peut dire qu’elles créent leur propre industrie puisque nécessairement elles creuseront toujours davantage notre peur.
Roland Gori présente Michèle Riot-Sarcey : « Je prends trois secondes ce qui est très peu étant donné son parcours dense et important. Michèle est historienne et professeure émérite des universités ; elle a publié de nombreux articles et plusieurs ouvrages : Le Réel de l’utopie, Histoire du Féminisme, 1848, La révolution oubliée, La République dans tous ses états, Le procès de la liberté, pour lequel elle a reçu le Prix Pétrarque 2016, une dizaine de livres collectifs qu’elle a dirigés, etc. Son champ de recherche s’étend aujourd’hui au 20e siècle, mais je l’ai rencontrée sous la bannière du 19e où elle m’a beaucoup apporté. »
Roland Gori présente Michèle Riot-Sarcey : « Je prends trois secondes ce qui est très peu étant donné son parcours dense et important. Michèle est historienne et professeure émérite des universités ; elle a publié de nombreux articles et plusieurs ouvrages : Le Réel de l’utopie, Histoire du Féminisme, 1848, La révolution oubliée, La République dans tous ses états, Le procès de la liberté, pour lequel elle a reçu le Prix Pétrarque 2016, une dizaine de livres collectifs qu’elle a dirigés, etc. Son champ de recherche s’étend aujourd’hui au 20e siècle, mais je l’ai rencontrée sous la bannière du 19e où elle m’a beaucoup apporté. »
« La liberté, c’est le pouvoir d’agir intellectuellement, politiquement, matériellement » (Pierre Leroux, philosophe 1797-1871)
Michèle Riot-Sarcey explique qu’elle travaille avec la pensée de l’immense philosophe Walter Benjamin qui s’est penché sur tous les documents du 19e siècle, un laborieux travail d’une extrême rigueur, pour essayer de comprendre comment on avait pu passer du temps des lumières, de cette grande idée d’émancipation et de bonheur pour tous, à la barbarie de son époque.
« Une barbarie qui incontestablement avait commencé en Italie en 1922 avec la prise de pouvoir par Mussolini, et qui continuait avec Hitler, élu démocratiquement et qui le concernait directement, étant de confession juive. Il a conclu dans son livre « Le Livre des passages » que « la civilisation du progrès nous conduit à la catastrophe. »
Car le progrès a laissé sur les marches de l’histoire des déchets, des vaincus, toute une série d’évènements, y compris une pensée du possible. J’ai saisi, poursuit Michèle Riot-Sarcey, que l’histoire ne pouvait plus s’écrire de manière linéaire et de manière continue. Les historiens ont tendance d’une manière consciente ou inconsciente à penser l’histoire en fonction des évènements advenus. Ils sont marqués par ce qu’il advient et en cherchent la cause. Cela veut dire que les effets déterminent l’écriture de l’histoire. Or l’histoire ne se passe pas de cette manière- là. L’histoire, ou plutôt le mouvement de l’histoire, s’oppose au sens de l’histoire : le mouvement de l’histoire est inattendu. Certes on se dit « cela devait arriver » mais dans ces moments de tension extrême, quel que soit l’événement, il y a des incises qui font que le passé renaît, les espoirs d’hier ressurgissent. Dans ces antagonismes, dans ces enjeux de l’histoire, l’historien un peu subtil, un peu rigoureux, tout simplement exigeant et qui cherche à comprendre le présent, peut saisir les deux moments, l’évènement advenu et aussi les espoirs où tout ce qui avait mobilisé les individus a été perdu y compris les choses extraordinaires, en particulier la liberté, cette liberté qui s’inscrivait dans les possibles en 1848 dans le printemps des peuples, dans cette idée qu’on appelait en France République Démocratique et Sociale, on a perdu le sens de cette liberté.
« Une barbarie qui incontestablement avait commencé en Italie en 1922 avec la prise de pouvoir par Mussolini, et qui continuait avec Hitler, élu démocratiquement et qui le concernait directement, étant de confession juive. Il a conclu dans son livre « Le Livre des passages » que « la civilisation du progrès nous conduit à la catastrophe. »
Car le progrès a laissé sur les marches de l’histoire des déchets, des vaincus, toute une série d’évènements, y compris une pensée du possible. J’ai saisi, poursuit Michèle Riot-Sarcey, que l’histoire ne pouvait plus s’écrire de manière linéaire et de manière continue. Les historiens ont tendance d’une manière consciente ou inconsciente à penser l’histoire en fonction des évènements advenus. Ils sont marqués par ce qu’il advient et en cherchent la cause. Cela veut dire que les effets déterminent l’écriture de l’histoire. Or l’histoire ne se passe pas de cette manière- là. L’histoire, ou plutôt le mouvement de l’histoire, s’oppose au sens de l’histoire : le mouvement de l’histoire est inattendu. Certes on se dit « cela devait arriver » mais dans ces moments de tension extrême, quel que soit l’événement, il y a des incises qui font que le passé renaît, les espoirs d’hier ressurgissent. Dans ces antagonismes, dans ces enjeux de l’histoire, l’historien un peu subtil, un peu rigoureux, tout simplement exigeant et qui cherche à comprendre le présent, peut saisir les deux moments, l’évènement advenu et aussi les espoirs où tout ce qui avait mobilisé les individus a été perdu y compris les choses extraordinaires, en particulier la liberté, cette liberté qui s’inscrivait dans les possibles en 1848 dans le printemps des peuples, dans cette idée qu’on appelait en France République Démocratique et Sociale, on a perdu le sens de cette liberté.
Aujourd’hui la liberté est l’équivalent de la servitude volontaire. Aujourd’hui la liberté signifie simplement s’exploiter soi-même.
« Il faut comprendre le processus de pensée d’un auteur qui nous éclaire sur ce rapport extrêmement important entre présent et passé c’est exactement ce que la psychanalyse appelle l’inconscient. C’est le processus de remémoration qui permet à celui qui exprime un mal être dans le présent, ce rapport au passé, à l’inconscient lui permet de saisir précisément la raison de sa peur, de son effroi, ou de son impossibilité d’agir. Le tout est profondément lié. L’historienne que je suis NE PEUT absolument pas penser le passé en dépit du présent ; nous travaillons avec les ressources du passé mais avec les outils qui sont les nôtres, les outils théoriques, les outils matériels, les outils politiques. Ce rapport au passé me semble extrêmement important. C’est la raison pour laquelle dans mon livre, Le Procès de la Liberté j’ai voulu chercher l’origine de cette liberté qui ne parle plus, qui ne dit plus rien, qui au contraire se délite et s’est complètement transformée au point de ne plus ressembler du tout à l’origine. Aux 19e et 20e siècles, des hommes, des femmes, se sont battus pour la vraie liberté. La vraie liberté, la vraie république, la vraie démocratie, les mots d’ordre de la révolution de 1848. »
1848, Le Printemps des Peuples
On a oublié totalement la force extraordinaire de l’espoir de 1848 qui faisait que tous et chacun, quelles que soient leurs peurs, quel que soit l’effroi des propriétaires qui étaient saisis par ce mouvement des masses inattendues, une poignée de révolutionnaires parisiens, une poignée de prolétaires parisiens avait conquis non seulement la liberté mais avait contraint une bonne partie de la population à embrasser de manière inattendue la République. Je voudrais simplement vous citer un contemporain qui en 1857, donc très peu de temps après la révolution de 1848 écrit ceci : « cette fois il n’y avait plus de compromis possible ; la question ajournée en 1830 dut recevoir une solution définitive. Le peuple ne voulut pas abdiquer et quelles que fussent été les prévisions des hommes qui avaient précipité le mouvement, il dut reconnaitre qu’ils avaient provoqué une révolution sociale et qu’il fallait reprendre pour la compléter le travail interrompu en 1791 » comme si l’idée de liberté en 1789 était irréversible. Edgar Quinet, au milieu du 19e siècle, dit à juste titre que la révolution de 89 avait ouvert la voie à l’impossible. Révolution qui avait permis, contre toute attente, contre tout discours, à tous et à toutes de se penser potentiellement libres. Les souvenirs de 1791 -92 -93 ressurgissent en 1830 dans ces trois glorieuses extraordinaires (en trois jours le roi Charles X est obligé d’abdiquer et son cousin de la branche cadette reprend le pouvoir). Ce souvenir d’un moment du possible qu’a illustré admirablement bien Delacroix avec la liberté guidant le peuple, porte les mémoires, reste dans les mémoires au point qu’on a dit qu’en 1830 -35° rue St Antoine- on avait vu quelqu’un tirer sur les horloges pour arrêter le temps, tellement ce moment extraordinaire de liberté possible rendait les gens joyeux.
Le processus de remémoration
En février 48 il pleut, ils se souviennent de juillet 1830, avec une joie sans pareille, raison pour laquelle dans ce processus de souterrain des mémoires, de remémoration, étonnamment, au moment de nuit debout j’ai constaté que certains voulaient arrêter le temps à la manière de 1830. Ils ont commencé à comptabiliser les jours à partir du moment où nuit debout s’est constitué. Ce petit détail sans importance nous remémore ce qui s’est passé. Nuit debout retrouvait ce qu’était la république démocratique et sociale. Ils retrouvaient ce que signifiait démocratie. Une chorale s’était constitué à Paris, place de la République, ils entonnaient les chansons du 19e siècle, « La Semaine Sanglante », une chanson particulièrement dramatique sur la répression de la Commune en 1871. Voilà ce processus de remémoration.
Je suis allée chercher l’origine de la liberté.
Et l’origine de la liberté est là dans toutes les sources aux archives nationales dans les opinions, dans les manifestes, dans les textes, dans les prises de parole, dans les manifestations, partout dans la rue. La politique se passe dans la rue en 1848. Tous déclinent le mot liberté ; tous explicitent justement ce qu’ils voudraient. Alexis Tocqueville est saisi d’effroi le 25 février, jour de la révolution de 1848 ; il se balade dans les rues et il voit les affiches, et sur les affiches, tout est bouleversé. On veut tout reconstruire, on veut tout repenser. On est persuadé, tous sans exception, que la révolution est définitive et elle sera sociale ou ne sera pas. Il écrit dans ses souvenirs, un an après, cette chose inouïe : « Je voyais dans les affiches qu’on voulait tout bouleverser y compris ce rapport ancestral de domination inégale entre les hommes et les femmes. »
Nous sommes en février 1848 ; On veut faire en sorte qu’il n’y ait plus d’inégalités entre les hommes et les femmes. Les femmes sont partie prenante de la révolution. L’une d’entre elles, Désirée Gay, va écrire immédiatement à un de ses amis Saint-simonien : « Je suis au service de la révolution » une autre va remettre ses enfants à une voisine pour être totalement disponible POUR la révolution. Elle écrira plus tard : « Les révolutions ne sont que des marchepieds pour les hommes aspirant au pouvoir ». Toutes ces femmes vont se souvenir de ce qu’elles ont fait dans les années 30 où elles ont découvert ce que liberté veut dire. Tout le monde se remémore la liberté avec sa force telle qu’elle a été définie par Pierre Leroux. Aucun droit politique pendant la première moitié du 19e siècle, pas la moindre possibilité de se réunir, et pourtant, dans les années 1840 des centaines d’ouvriers « déboulent » à Paris venant du nord, de la plaine Saint Denis, pour réclamer la diminution du temps de travail et en particulier l’abolition du travail à la tâche : le maître venait chercher des ouvriers sur la place de grève, place de l’hôtel de ville, puis embauchait un malin à qui il donnait une somme globale et à qui il demandait de pouvoir exploiter les autres, ses petits copains. Cela s’appelle le travail à la tâche avec ce que cela implique comme exploitation au sens quotidien du terme. On apprenait à exploiter ses propres frères.
Toutes les revendications vont ressurgir en 1848.
Dès les premiers jours, le gouvernement va prendre des mesures rigoureuses : l’abolition de ce type de travail, la diminution du temps de travail avec tout ce que ça implique de respect, et qui plus est, chose inouïe, les ouvriers vont désigner leurs délégués qui vont siéger à la commission du Luxembourg. Louis blanc (1811-1882), utopique à cette époque-là, imaginait qu’on pouvait organiser le travail d’une manière différente et il estimait qu’à la commission du Luxembourg patrons et ouvriers pourraient dialoguer ensemble. Les ouvriers de la petite ville d’Albi au 19e siècle, font une pétition toutes catégories d’ouvriers confondus, et proposent à la commission du Luxembourg une organisation du travail en fonction des qualités de chacun, selon les difficultés des uns et des autres, et faire en sorte que la répartition des salaires soit en fonction de tout cela. Des propositions inouïes arrivent à l’assemblée nationale, à la commission du Luxembourg ; un architecte va passer des nuits à construire une maison du peuple. La république démocratique et sociale allait de soi. Pauline Rolland, de sa prison (car la répression et l’effroi sont tels qu’on arrête tous ces gens-là pas simplement sur les barricades, même après), va appeler au gouvernement direct des travailleurs. Exactement comme les Canuts à Lyon, on s’occupe de nos propres affaires.
La Respublica
Jeanne Deroin, Pauline Rolland, avec leurs amis ouvriers, envisagent l’association des associations. 104 associations De L’horloger au boulanger… s’organisent après la répression de juin pour tenter d’imaginer quand même une liberté où chacun, non seulement est concerté mais s’occupe de la gestion. La Respublica était descendue dans l’atelier et pas simplement dans la rue. Tous ces délégués à la commission du Luxembourg qui siègent à la chambre des pairs à la place des pairs et des sénateurs actuels, cela représente un bouleversement ; et cette entrée n’a pas laissé de traces. Avec mon ami Maurizio Gribaudi avec qui nous avons écrit 1848, la révolution oubliée, nous avons dépouillé la totalité des archives dont dispose encore la maison du Luxembourg, le palais du Luxembourg, le même registre de ceux qui faisaient le compte rendu à la chambre des pairs, le même. Cela s’arrête le 25 février, reprend après la révolution de 1848 la même écriture, la même personne. Un trait, il ne reste qu’un trait.
Le processus de remémoration
En février 48 il pleut, ils se souviennent de juillet 1830, avec une joie sans pareille, raison pour laquelle dans ce processus de souterrain des mémoires, de remémoration, étonnamment, au moment de nuit debout j’ai constaté que certains voulaient arrêter le temps à la manière de 1830. Ils ont commencé à comptabiliser les jours à partir du moment où nuit debout s’est constitué. Ce petit détail sans importance nous remémore ce qui s’est passé. Nuit debout retrouvait ce qu’était la république démocratique et sociale. Ils retrouvaient ce que signifiait démocratie. Une chorale s’était constitué à Paris, place de la République, ils entonnaient les chansons du 19e siècle, « La Semaine Sanglante », une chanson particulièrement dramatique sur la répression de la Commune en 1871. Voilà ce processus de remémoration.
Je suis allée chercher l’origine de la liberté.
Et l’origine de la liberté est là dans toutes les sources aux archives nationales dans les opinions, dans les manifestes, dans les textes, dans les prises de parole, dans les manifestations, partout dans la rue. La politique se passe dans la rue en 1848. Tous déclinent le mot liberté ; tous explicitent justement ce qu’ils voudraient. Alexis Tocqueville est saisi d’effroi le 25 février, jour de la révolution de 1848 ; il se balade dans les rues et il voit les affiches, et sur les affiches, tout est bouleversé. On veut tout reconstruire, on veut tout repenser. On est persuadé, tous sans exception, que la révolution est définitive et elle sera sociale ou ne sera pas. Il écrit dans ses souvenirs, un an après, cette chose inouïe : « Je voyais dans les affiches qu’on voulait tout bouleverser y compris ce rapport ancestral de domination inégale entre les hommes et les femmes. »
Nous sommes en février 1848 ; On veut faire en sorte qu’il n’y ait plus d’inégalités entre les hommes et les femmes. Les femmes sont partie prenante de la révolution. L’une d’entre elles, Désirée Gay, va écrire immédiatement à un de ses amis Saint-simonien : « Je suis au service de la révolution » une autre va remettre ses enfants à une voisine pour être totalement disponible POUR la révolution. Elle écrira plus tard : « Les révolutions ne sont que des marchepieds pour les hommes aspirant au pouvoir ». Toutes ces femmes vont se souvenir de ce qu’elles ont fait dans les années 30 où elles ont découvert ce que liberté veut dire. Tout le monde se remémore la liberté avec sa force telle qu’elle a été définie par Pierre Leroux. Aucun droit politique pendant la première moitié du 19e siècle, pas la moindre possibilité de se réunir, et pourtant, dans les années 1840 des centaines d’ouvriers « déboulent » à Paris venant du nord, de la plaine Saint Denis, pour réclamer la diminution du temps de travail et en particulier l’abolition du travail à la tâche : le maître venait chercher des ouvriers sur la place de grève, place de l’hôtel de ville, puis embauchait un malin à qui il donnait une somme globale et à qui il demandait de pouvoir exploiter les autres, ses petits copains. Cela s’appelle le travail à la tâche avec ce que cela implique comme exploitation au sens quotidien du terme. On apprenait à exploiter ses propres frères.
Toutes les revendications vont ressurgir en 1848.
Dès les premiers jours, le gouvernement va prendre des mesures rigoureuses : l’abolition de ce type de travail, la diminution du temps de travail avec tout ce que ça implique de respect, et qui plus est, chose inouïe, les ouvriers vont désigner leurs délégués qui vont siéger à la commission du Luxembourg. Louis blanc (1811-1882), utopique à cette époque-là, imaginait qu’on pouvait organiser le travail d’une manière différente et il estimait qu’à la commission du Luxembourg patrons et ouvriers pourraient dialoguer ensemble. Les ouvriers de la petite ville d’Albi au 19e siècle, font une pétition toutes catégories d’ouvriers confondus, et proposent à la commission du Luxembourg une organisation du travail en fonction des qualités de chacun, selon les difficultés des uns et des autres, et faire en sorte que la répartition des salaires soit en fonction de tout cela. Des propositions inouïes arrivent à l’assemblée nationale, à la commission du Luxembourg ; un architecte va passer des nuits à construire une maison du peuple. La république démocratique et sociale allait de soi. Pauline Rolland, de sa prison (car la répression et l’effroi sont tels qu’on arrête tous ces gens-là pas simplement sur les barricades, même après), va appeler au gouvernement direct des travailleurs. Exactement comme les Canuts à Lyon, on s’occupe de nos propres affaires.
La Respublica
Jeanne Deroin, Pauline Rolland, avec leurs amis ouvriers, envisagent l’association des associations. 104 associations De L’horloger au boulanger… s’organisent après la répression de juin pour tenter d’imaginer quand même une liberté où chacun, non seulement est concerté mais s’occupe de la gestion. La Respublica était descendue dans l’atelier et pas simplement dans la rue. Tous ces délégués à la commission du Luxembourg qui siègent à la chambre des pairs à la place des pairs et des sénateurs actuels, cela représente un bouleversement ; et cette entrée n’a pas laissé de traces. Avec mon ami Maurizio Gribaudi avec qui nous avons écrit 1848, la révolution oubliée, nous avons dépouillé la totalité des archives dont dispose encore la maison du Luxembourg, le palais du Luxembourg, le même registre de ceux qui faisaient le compte rendu à la chambre des pairs, le même. Cela s’arrête le 25 février, reprend après la révolution de 1848 la même écriture, la même personne. Un trait, il ne reste qu’un trait.
On a oublié ces moments extraordinaires où liberté signifiait utopie
On a oublié la signification du tableau de Delacroix. En 1830, tout de suite après la révolution, il a peint son tableau suivant en quelque sorte un poème qu’on appelait à cette époque un petit romantique. La femme qui figure dans le tableau de Delacroix avait pour la première fois des poils sous les bras. C’est vous dire le choc que ça va représenter, une femme du peuple. Cette femme du peuple va se retrouver en masse en 1848. J’ai essayé de comprendre dans mon livre pourquoi le sens de l’histoire s’opposait à ce point au mouvement de l’histoire ; j’ai essayé de mettre en scène la fabrique de l’histoire. Et parmi ceux qui fabriquent de l’histoire, un des responsables de l’oubli de cette première moitié du 19e siècle, c’est Victor Hugo avec les misérables. Il ne comprend rien à la révolution de 1830 ; en 48, Il ne saisit absolument pas l’importance de 1848. Malgré tout ? petit ébranlement au moment de la répression. Il va devenir le vrai Victor Hugo au moment où il s’oppose au coup d’état de Napoléon III. Préalablement il a cheminé au gré des évolutions historiques, légitimistes, libérales. Bien entendu, il appartenait à la chambre des pairs. Il découvre le monde, le peuple, mais lorsqu’il écrit les misérables il va éliminer les révolutions de 1830 et 1848. IL ne fait allusion qu’à celle de 1832 qui était un suicide. J’ai démontré dans mon livre que Victor Hugo avaient exclu les hommes et les femmes du peuple qui avaient été en son temps sujets de leur propre histoire.
Kant dit, parlant de la période des Lumières : « Les Lumières c’est l’homme qui doit sortir de la tutelle dont il est responsable ».
Sortir de la tutelle, c’est : s’émanciper soi-même
Dans toute la première moitié du 19e s un seul mot d’ordre, l’accès au savoir. Tout le monde a besoin de l’accès au savoir parce qu’ils savent que la citoyenneté dépend vraiment du savoir que l’on possède. Impossible d’être libre si l’autre en face de soi n’a pas la même connaissance. Il n’y a pas de liberté possible individuellement si l’autre, les autres, ne sont pas libres. Condorcet, pendant la révolution française, disait : « Celui qui ne respecte pas l’autre quelle que soit sa liberté, son sexe, sa religion, a dès lors abjuré son droit »
« L’abstraction donne à comprendre l’invisible »
En 1907, j’ai découvert un re-jeu de la liberté que l’on voit encore plus dans l’art contemporain puisque c’est « le moment exceptionnel où l’abstraction donne à comprendre l’invisible » l’abstraction permet de saisir cet abîme de l’oubli. La liberté doit être récupérée sur les marches de l’histoire et c’est ce que je me suis contrainte de faire. Je vais démontrer au 20e siècle comment l’émancipation a été recouverte entièrement par les idéologies. Au point qu’on redécouvre seulement maintenant ce que liberté veut dire. Kant considérait que la population dans sa grande majorité préférait la sécurité à la liberté. Qu’a-t-on fait depuis la 3e république en France si ce n’est de sécuriser les personnes, c’est-à-dire faire des citoyens passifs plutôt que des citoyens actifs.
Aujourd’hui que l’état social est totalement défait on redécouvre le sens du mot liberté Nombre d’association essayent de retrouver le sens du mot démocratie, le sens du mot fraternité. En 1848, le mot fraternité était l’équivalent de communisme.
Dans les années 1840, le Républicain, c’est celui qui, à terme, sera communiste. Heine voit la venue irréversible du communisme et il dit dans ses lettres magnifiques « je vais être obligé de changer mon champ de camélias en champ de pommes de terre mais il faut bien que justice se passe ». Les sociétés fraternelles de 1848 c’était des sociétés qui étaient réellement solidaires, collectivement qui s’organisaient (il n’y avait pas de protection sociale etc.) au point que les associations de 48 en particulier dans le Nord vont imaginer une société où l’on s’entraide. Aujourd’hui fraternité est devenu l’équivalent de charité.
Des femmes de 1848 expliquent dans une pétition collective « Votre aumône c’est assez pour nous humilier, ça n’est pas assez pour vivre ».
Si nous faisions un florilège de ces textes d’une lucidité exceptionnelle, je crois que l’esprit de liberté reviendrait. »
Kant dit, parlant de la période des Lumières : « Les Lumières c’est l’homme qui doit sortir de la tutelle dont il est responsable ».
Sortir de la tutelle, c’est : s’émanciper soi-même
Dans toute la première moitié du 19e s un seul mot d’ordre, l’accès au savoir. Tout le monde a besoin de l’accès au savoir parce qu’ils savent que la citoyenneté dépend vraiment du savoir que l’on possède. Impossible d’être libre si l’autre en face de soi n’a pas la même connaissance. Il n’y a pas de liberté possible individuellement si l’autre, les autres, ne sont pas libres. Condorcet, pendant la révolution française, disait : « Celui qui ne respecte pas l’autre quelle que soit sa liberté, son sexe, sa religion, a dès lors abjuré son droit »
« L’abstraction donne à comprendre l’invisible »
En 1907, j’ai découvert un re-jeu de la liberté que l’on voit encore plus dans l’art contemporain puisque c’est « le moment exceptionnel où l’abstraction donne à comprendre l’invisible » l’abstraction permet de saisir cet abîme de l’oubli. La liberté doit être récupérée sur les marches de l’histoire et c’est ce que je me suis contrainte de faire. Je vais démontrer au 20e siècle comment l’émancipation a été recouverte entièrement par les idéologies. Au point qu’on redécouvre seulement maintenant ce que liberté veut dire. Kant considérait que la population dans sa grande majorité préférait la sécurité à la liberté. Qu’a-t-on fait depuis la 3e république en France si ce n’est de sécuriser les personnes, c’est-à-dire faire des citoyens passifs plutôt que des citoyens actifs.
Aujourd’hui que l’état social est totalement défait on redécouvre le sens du mot liberté Nombre d’association essayent de retrouver le sens du mot démocratie, le sens du mot fraternité. En 1848, le mot fraternité était l’équivalent de communisme.
Dans les années 1840, le Républicain, c’est celui qui, à terme, sera communiste. Heine voit la venue irréversible du communisme et il dit dans ses lettres magnifiques « je vais être obligé de changer mon champ de camélias en champ de pommes de terre mais il faut bien que justice se passe ». Les sociétés fraternelles de 1848 c’était des sociétés qui étaient réellement solidaires, collectivement qui s’organisaient (il n’y avait pas de protection sociale etc.) au point que les associations de 48 en particulier dans le Nord vont imaginer une société où l’on s’entraide. Aujourd’hui fraternité est devenu l’équivalent de charité.
Des femmes de 1848 expliquent dans une pétition collective « Votre aumône c’est assez pour nous humilier, ça n’est pas assez pour vivre ».
Si nous faisions un florilège de ces textes d’une lucidité exceptionnelle, je crois que l’esprit de liberté reviendrait. »
Sur ces mots, Michèle Riot-Sarcey ouvre le débat avec la salle extrêmement intéressée et participative dont voici quelques interventions :
De la salle : « Chemin faisant vous vous faites passeuse d’un mot qui revient c’est celui d’utopie. Je trouve que ce mot d’utopie est un mot problématique et je partirai d’une citation de walter benjamin qui dit : « les voix mortes du passé nous convoquent pour les racheter pour l’acte révolutionnaire et l’acte révolutionnaire n’est pas une utopie, ce n’est pas une image du futur, mais donner suite à ce qui a échoué dans le passé »
M. R.S – « L’utopie a tellement été galvaudée qu’on a identifié l’utopie au totalitarisme. Raison pour laquelle en 98 j’ai publié un livre qui s’appelle le réel de l’utopie. Et c’est exactement la définition que vous donnez. L’utopie est une critique radicale de l’ordre existant. L’utopie est inconciliable avec l’ordre existant. L’utopie est intempestive ; il n’y a pas d’ordre établi qui puisse accepter l’utopie. On a assimilé l’utopie à des rêves impossibles. Il faut faire de ces idées une véritable allégorie qui nous permette de nous saisir de ces pensées du possible. »
De la salle : - « l’homme moderne parle comme on parle, pense comme on pense, lit comme on lit : une sorte donc d’aliénation collective. Où trouver la liberté à ce moment-là ? »
M. R.S - « Très juste. Cet apprentissage de la servitude volontaire, je cite La Boétie, a des effets particulièrement pernicieux. Il ne suffit pas maintenant d’éduquer dans une délégation de pouvoirs, on fait en sorte de faire pénétrer dans les cerveaux toutes les idées de servitude. La publicité, qui à mon avis est l’ennemi de la liberté, l’ennemi numéro un, intègre y compris les mots d’ordre subversifs. Ils se sont rendus compte que les mots utilisés peuvent être repris par les uns et les autres, par l’individu isolé qui se réfugie dans sa famille, dans son travail quand c’est possible, bref dans sa communauté. C’est pour cela que tout ceci est terriblement pernicieux il n’y a pas ce collectif avec les libertés d’expression, les pensées du possible. Il faut être vigilant en permanence. »
De la salle (Richard Martin) « La poésie où qu’elle soit est importante et a le même élan. »
– « Je vous ai suivie avec beaucoup d’émotion dans ces retours à ces moments d’espérance, et, pour l’avoir vécu moi-même je me disais que ces utopies, ces rêveries, ces moments projetés qui nous semblaient possibles, je les ai vécus, moi, en 68 dans une espèce de souffle poétique où je vous retrouve. Peut-être n’est-ce pas un moment aussi important qui peut se lier, mais pour moi j’ai la sensation d’avoir vécu dans l’histoire un moment fraternel identique, poétique, formidable, élevant, et qui a sans-doute servi de tremplin aux politiques qui ont suivi. Mais je peux garantir que quand les hommes se retrouvent dans des moments de rassemblement où tout semble possible, où cette solidarité dont vous parlez est tangible, elle est épaisse, saisissable, authentique, il y a, à ce moment-là, dans l’œil des humains quelque chose qu’il est rare d’apercevoir. Je peux vous dire, même si en entendant parler de 68 on a l’impression que tout cela est folklorique, je peux vous dire que je l’ai vu, je l’ai vécu, ça existe ! … 68 a été révélateur pour beaucoup. Si je suis ici aujourd’hui et que nous sommes ensemble dans ce projet de culture pour tous, de lieu ouvert à tous ceux qui veulent s’en emparer et pas réservé à des cercles privilégiés, c’est 68 qui m’a poussé. »
De la salle : « Je crois que le mot le plus important de 1848, c’est la FRATERNITE il reste malgré tout de 1848 la République fraternelle qui est inscrite dans la constitution de 1848 qui est reprise dans le préambule de 56 et qui figure encore dans la Constitution aujourd’hui »
Prochaine université populaire : Jeudi 15 mars 2018 – 19h « LE MANIFESTE DES ŒUVRIERS »
Entrée libre • Attention, les places sont limitées : réservations conseillées.
Théâtre Toursky
16 Passage Léo Ferré
13003 MARSEILLE (parking à 3mn à pied)
Tél 04 91 02 58 35
M. R.S – « L’utopie a tellement été galvaudée qu’on a identifié l’utopie au totalitarisme. Raison pour laquelle en 98 j’ai publié un livre qui s’appelle le réel de l’utopie. Et c’est exactement la définition que vous donnez. L’utopie est une critique radicale de l’ordre existant. L’utopie est inconciliable avec l’ordre existant. L’utopie est intempestive ; il n’y a pas d’ordre établi qui puisse accepter l’utopie. On a assimilé l’utopie à des rêves impossibles. Il faut faire de ces idées une véritable allégorie qui nous permette de nous saisir de ces pensées du possible. »
De la salle : - « l’homme moderne parle comme on parle, pense comme on pense, lit comme on lit : une sorte donc d’aliénation collective. Où trouver la liberté à ce moment-là ? »
M. R.S - « Très juste. Cet apprentissage de la servitude volontaire, je cite La Boétie, a des effets particulièrement pernicieux. Il ne suffit pas maintenant d’éduquer dans une délégation de pouvoirs, on fait en sorte de faire pénétrer dans les cerveaux toutes les idées de servitude. La publicité, qui à mon avis est l’ennemi de la liberté, l’ennemi numéro un, intègre y compris les mots d’ordre subversifs. Ils se sont rendus compte que les mots utilisés peuvent être repris par les uns et les autres, par l’individu isolé qui se réfugie dans sa famille, dans son travail quand c’est possible, bref dans sa communauté. C’est pour cela que tout ceci est terriblement pernicieux il n’y a pas ce collectif avec les libertés d’expression, les pensées du possible. Il faut être vigilant en permanence. »
De la salle (Richard Martin) « La poésie où qu’elle soit est importante et a le même élan. »
– « Je vous ai suivie avec beaucoup d’émotion dans ces retours à ces moments d’espérance, et, pour l’avoir vécu moi-même je me disais que ces utopies, ces rêveries, ces moments projetés qui nous semblaient possibles, je les ai vécus, moi, en 68 dans une espèce de souffle poétique où je vous retrouve. Peut-être n’est-ce pas un moment aussi important qui peut se lier, mais pour moi j’ai la sensation d’avoir vécu dans l’histoire un moment fraternel identique, poétique, formidable, élevant, et qui a sans-doute servi de tremplin aux politiques qui ont suivi. Mais je peux garantir que quand les hommes se retrouvent dans des moments de rassemblement où tout semble possible, où cette solidarité dont vous parlez est tangible, elle est épaisse, saisissable, authentique, il y a, à ce moment-là, dans l’œil des humains quelque chose qu’il est rare d’apercevoir. Je peux vous dire, même si en entendant parler de 68 on a l’impression que tout cela est folklorique, je peux vous dire que je l’ai vu, je l’ai vécu, ça existe ! … 68 a été révélateur pour beaucoup. Si je suis ici aujourd’hui et que nous sommes ensemble dans ce projet de culture pour tous, de lieu ouvert à tous ceux qui veulent s’en emparer et pas réservé à des cercles privilégiés, c’est 68 qui m’a poussé. »
De la salle : « Je crois que le mot le plus important de 1848, c’est la FRATERNITE il reste malgré tout de 1848 la République fraternelle qui est inscrite dans la constitution de 1848 qui est reprise dans le préambule de 56 et qui figure encore dans la Constitution aujourd’hui »
Prochaine université populaire : Jeudi 15 mars 2018 – 19h « LE MANIFESTE DES ŒUVRIERS »
Entrée libre • Attention, les places sont limitées : réservations conseillées.
Théâtre Toursky
16 Passage Léo Ferré
13003 MARSEILLE (parking à 3mn à pied)
Tél 04 91 02 58 35