Farce de potache caricaturant avec férocité un ancien professeur de physique du lycée de Rennes, satire extravagante et impitoyable du bourgeois borné, égoïste, obscène et lâche, la pièce d'Alfred Jarry, Ubu Roi, parodie de Macbeth, accueillie dans un tumulte hystérique inouï, le 10 Décembre 1896, au théâtre de l'Œuvre, doit tout son relief à la statue imposante d'Ubu érigé en mythe, comme Gargantua ou Falstaff, mais aussi à l'admirable interprétation de Gémier
Dévoré par l'ambition du pouvoir, imposteur et tyran machiavélique, Ubu a en quelque sorte valeur de symbole: il incarne dans un monde chaotique et loufoque, les pulsions les plus viles de la nature humaine dégradée par une animalité sous-jacente, toujours prête à surgir pour broyer les êtres dans la guerre, la servitude et la mort
En cette fin de XIXe siècle, le vrai scandale tenait donc à l'impression d'agressivité ressentie par le spectateur: agression évidemment contre les bienséances gestuelles et lexicales (les fameux "merdre" qui scandent tous les propos d'Ubu), agression contre la vraisemblance par l'outrance et la schématisation de figures réduites à la dimension de "marionnettes passives et rudimentaires", agression enfin contre le théâtre lui-même, dynamité de l'intérieur, où l'anarchie de l'inspiration se boursoufle d'effets comiques macabres Par sa dérive concertée vers l'absurde, le théâtre libertaire de Jarry ne pouvait laisser le spectateur conformiste passif et tranquille
Tous les metteurs en scène qui depuis Jean Vilar (TNP 1958) se sont attaqués à Ubu ont éprouvé le besoin d'en donner une interprétation ou de s'en servir comme prétexte à illustration de théories et de pratiques dramatiques nouvelles Declen Donnellan n'échappe pas à cette règle: il inscrit le spectacle dans le cadre d'un élégant salon-salle à manger contemporain(scénographie de Nick Ormerod) où un couple de jeunes bourgeois, les Ubu (Christophe Grégoire et Camille Cayol), reçoit à dîner trois amis snobs, Xavier Boiffier (Bordure), Vincent de Boüard (Wenceslas), Cécile Leterme (Rosemonde), un salon qui va se trouver progressivement souillé sous le prisme déformant d'un cauchemar vécu par un adolescent pervers passionné de vidéo (Sylvain Levitte) Il fait ainsi alterner des conversations niaises improvisées par les acteurs, au cours du repas, avec le texte de la pièce proféré violemment, d'une voix éraillée, dans l'angoisse du rêve effrayant présenté dans l'éclairage fluorescent de la « chandelle verte »!
On assiste alors à une succession de scènes oniriques odieuses, où la bassesse des comportements libérés le dispute à la plus stupide sauvagerie, entrecoupées de tableaux bouffons qui convoquent des airs de La Traviata, chantés par Maria Callas, au moment de la réapparition des âmes des Ancêtres qui viennent encourager Bougrelas à la vengeance(Acte II, scène 5), la chanson de Charles Trenet, La Mer, pour une valse de l'héritier du trône avec la Mère Ubu, en tenue de soirée, ou La Chevauchée des Walkyries à l'heure de la déclaration de guerre aux partisans du Roi La fameuse scène 2 de l'Acte III, du passage à la trappe des nobles, des magistrats et des financiers (trappe figurée par un grand sac de voyageur maghrébin qu'on leur jette sur la tête) est gâtée par le passage d'Ubu dans la salle pour provoquer les spectateurs, et rechercher un professeur de physique, Félix Hébert sans doute, modèle du personnage caricatural de Jarry, probablement introuvable aujourd'hui!
Les six acteurs de ce cruel spectacle s'en donnent à cœur joie dans ce jeu de massacre qui les élimine sans pitié à la dernière scène puisque, loin de s'embarquer sur la Mer Baltique, en direction de la France où Ubu a pensé « installer sa gidouille », ils n'échappent pas à la folie meurtrière du jeune Bougrelas. Bien entendu, tous les applaudissements s'adressent à leur performance démente plus qu'à la mise en scène qui ne s'emploie, en aucune façon, à restaurer le style de 1896 des pantins clownesques de Jarry
Philippe Oualid
Dévoré par l'ambition du pouvoir, imposteur et tyran machiavélique, Ubu a en quelque sorte valeur de symbole: il incarne dans un monde chaotique et loufoque, les pulsions les plus viles de la nature humaine dégradée par une animalité sous-jacente, toujours prête à surgir pour broyer les êtres dans la guerre, la servitude et la mort
En cette fin de XIXe siècle, le vrai scandale tenait donc à l'impression d'agressivité ressentie par le spectateur: agression évidemment contre les bienséances gestuelles et lexicales (les fameux "merdre" qui scandent tous les propos d'Ubu), agression contre la vraisemblance par l'outrance et la schématisation de figures réduites à la dimension de "marionnettes passives et rudimentaires", agression enfin contre le théâtre lui-même, dynamité de l'intérieur, où l'anarchie de l'inspiration se boursoufle d'effets comiques macabres Par sa dérive concertée vers l'absurde, le théâtre libertaire de Jarry ne pouvait laisser le spectateur conformiste passif et tranquille
Tous les metteurs en scène qui depuis Jean Vilar (TNP 1958) se sont attaqués à Ubu ont éprouvé le besoin d'en donner une interprétation ou de s'en servir comme prétexte à illustration de théories et de pratiques dramatiques nouvelles Declen Donnellan n'échappe pas à cette règle: il inscrit le spectacle dans le cadre d'un élégant salon-salle à manger contemporain(scénographie de Nick Ormerod) où un couple de jeunes bourgeois, les Ubu (Christophe Grégoire et Camille Cayol), reçoit à dîner trois amis snobs, Xavier Boiffier (Bordure), Vincent de Boüard (Wenceslas), Cécile Leterme (Rosemonde), un salon qui va se trouver progressivement souillé sous le prisme déformant d'un cauchemar vécu par un adolescent pervers passionné de vidéo (Sylvain Levitte) Il fait ainsi alterner des conversations niaises improvisées par les acteurs, au cours du repas, avec le texte de la pièce proféré violemment, d'une voix éraillée, dans l'angoisse du rêve effrayant présenté dans l'éclairage fluorescent de la « chandelle verte »!
On assiste alors à une succession de scènes oniriques odieuses, où la bassesse des comportements libérés le dispute à la plus stupide sauvagerie, entrecoupées de tableaux bouffons qui convoquent des airs de La Traviata, chantés par Maria Callas, au moment de la réapparition des âmes des Ancêtres qui viennent encourager Bougrelas à la vengeance(Acte II, scène 5), la chanson de Charles Trenet, La Mer, pour une valse de l'héritier du trône avec la Mère Ubu, en tenue de soirée, ou La Chevauchée des Walkyries à l'heure de la déclaration de guerre aux partisans du Roi La fameuse scène 2 de l'Acte III, du passage à la trappe des nobles, des magistrats et des financiers (trappe figurée par un grand sac de voyageur maghrébin qu'on leur jette sur la tête) est gâtée par le passage d'Ubu dans la salle pour provoquer les spectateurs, et rechercher un professeur de physique, Félix Hébert sans doute, modèle du personnage caricatural de Jarry, probablement introuvable aujourd'hui!
Les six acteurs de ce cruel spectacle s'en donnent à cœur joie dans ce jeu de massacre qui les élimine sans pitié à la dernière scène puisque, loin de s'embarquer sur la Mer Baltique, en direction de la France où Ubu a pensé « installer sa gidouille », ils n'échappent pas à la folie meurtrière du jeune Bougrelas. Bien entendu, tous les applaudissements s'adressent à leur performance démente plus qu'à la mise en scène qui ne s'emploie, en aucune façon, à restaurer le style de 1896 des pantins clownesques de Jarry
Philippe Oualid