Créé le 10 décembre 2010 – Théâtre du Verso (St-Etienne)
Texte : Valère Novarina (Editions POL)
Jeu : Maïanne Barthès, Judicaël Jermer, Matthieu Lemeunier
Mise en scène : Hugues Chabalier
Assistante à la mise en scène : Shams El Karoui
Musique : Pierrick Monnereau
Lumière : Aurélien Guettard
Production United Mégaphone, aide à la création du Conseil Général de la Loire
Coproduction Théâtre du Verso, en partenariat avec la Comédie de St-Etienne
Jeudi 3, vendredi 4, samedi 5 février à 20h30, dimanche 6 février à 17h
Tarifs : 12€ / 8€ (étudiants, demandeurs d'emploi, intermittents) / 5€ (titulaire des minima sociaux, adhérents)
Texte : Valère Novarina (Editions POL)
Jeu : Maïanne Barthès, Judicaël Jermer, Matthieu Lemeunier
Mise en scène : Hugues Chabalier
Assistante à la mise en scène : Shams El Karoui
Musique : Pierrick Monnereau
Lumière : Aurélien Guettard
Production United Mégaphone, aide à la création du Conseil Général de la Loire
Coproduction Théâtre du Verso, en partenariat avec la Comédie de St-Etienne
Jeudi 3, vendredi 4, samedi 5 février à 20h30, dimanche 6 février à 17h
Tarifs : 12€ / 8€ (étudiants, demandeurs d'emploi, intermittents) / 5€ (titulaire des minima sociaux, adhérents)
Notes d'intention, Hugues Chabalier
Retour en arrière
Trois sur scène : une « femme séminale » (Eve ?), un « bonhomme de terre » (Adam ?) et une « voix d’ombre » (Dieu ?). On recrée les origines de l’Homme. On rejoue le jardin d’Eden, on passe de l’arbre de la Connaissance à celui de la Reconnaissance. Adam et Eve, plus anciens parents que nous ayons -selon la Bible- premiers êtres humains à connaître l’expérience de la vie : la référence est commune à une très grande partie des êtres humains. Le couple inventé par Novarina, sans rejouer les véritables Adam et Eve, est un parangon de notre humanité, un résumé ; Novarina propose avec eux de connaître à nouveau, « reconnaître», ce qui fonde notre existence d’Homme.
Novarina entremêle l’Ancien et le Nouveau. Passage obligé par la Genèse : Adam est né d’une boule de glaise, de « terre », pétrie par le Créateur, « représenté » par cette mystérieuse Voix d’ombre. « D’ombre » comme si elle était invisible, immatérielle et « Voix » parce que dans la Genèse la Parole est créatrice (« Dieu dit que la Lumière soit et la lumière fut. »). La femme est séminale, rappelant Eve, mère de l’humanité. Ecriture des origines sûrement, mais les références contemporaines ne manquent pas, les personnages semblent appartenir aussi à notre époque. Ce jardin est donc à la fois le jardin d’Eden mythique et un lieu improbable, intangible, idéal en quelque sorte, confirmant l’idée que le paradis est impalpable et qu’on peut seulement se l’imaginer.
Dans cet espace-temps abstrait mais pas tout à fait inconnu, peut naître un théâtre de questionnement sur l’Homme, un véritable théâtre métaphysique. Le Bonhomme de terre et la Femme séminale expérimentent la vie, en témoignent au public : le théâtre est le lieu de la Vie même, débarrassée du réalisme, de la représentation mimétique et d’une intrigue conventionnelle. Ne reste que la vie à l’état premier. L’essentiel. Dans lequel le public peut se reconnaître.
Au commencement était le verbe (et l’acteur…)
Chez Novarina, comme dans les Ecritures, la Parole est créatrice. Dès lors qu’une chose est dite, elle apparaît, non pas physiquement mais dans l’esprit de celui qui écoute. Novarina tente de faire rentrer le monde entier dans un théâtre, uniquement par la parole. Il surgit alors de scène une Parole quasi matérielle qui tient lieu d’action. La folie du texte contraste avec l’épure du plateau, espace nu, brut, sauvage - une boîte noire, fermée et enclose (à l’image du paradis originel, « pairi daiza », « jardin clôturé », en persan).
Je cherche un théâtre des acteurs. Où la puissance, l’énergie, la folie des acteurs pulvérise la scène. Un acteur, ça peut anéantir le monde. Sauf que son monde, c’est la scène. Et uniquement la scène. Mais qu’au moins, ce lieu-là soit son paradis.
Je trouve chez Novarina cette parole qui permet aux acteurs de reprendre la scène. Son texte est une épreuve, un épuisement, un jusqu’auboutisme joyeux, généreux, brut. Constamment, s’échappent des acteurs la vie, la rage, l’amour, le désespoir, l’enthousiasme (la liste ne saurait être exhaustive…) Il y a quelque chose de la langue des prophètes, des trompettes devant les murs de Jéricho. Une parole autre que quotidienne et réaliste, dont le sens ne saurait être définitif et qui se lie, magie du théâtre, avec le mystère du jeu des acteurs.
« Travailler pour l’incertain ; aller sur la mer ; passer sur une planche » (Blaise Pascal, cité par Valère Novarina.)
Le jardin de reconnaissance est pour le public et les acteurs une traversée : de la langue, des sentiments, des énergies, des sensations. Un théâtre toujours en mouvement. Comme la pensée. Mais de manière sauvage. Et là, le théâtre ressemble aux oeuvres singulières de l’Art Brut. Aux constructions inclassables du Facteur Cheval. Les acteurs ne sont jamais loin de l’improvisation, de la possibilité de l’instant, ils peuvent enfourcher d’imprévisibles montures. L’écriture de Novarina est un des plus beaux cadeaux à offrir à un acteur.
Et par ailleurs, il y a aussi de l’intime, du petit, du confident (on ne saurait toujours être sujet aux orages et aux déluges). 3 acteurs seulement : au-delà de la performance, régal des acteurs et du public, peut se tisser un lien particulier scène – salle. Le grand questionnement des personnages peut aussi se transmettre au public autrement que par la profération, l’ampleur, l’excès.
Représenter le paradis ?
L’espace du paradis, légendaire, fondateur mais sans traces connues est avant tout fantasmé. La légende de nos origines commence donc par la légende du lieu. Lieu dont l’homme fut banni, il reste un idéal perdu, qu’il faudra d’une manière ou d’une autre reconquérir. Les représentations humaines du paradis en font un jardin, chose identifiable, mais puisqu’aucune image réelle ne nous est parvenue, il est souvent teinté de rêverie, d’imaginaire, d’irréalité et des sentiments que l’artiste a voulu y adjoindre (cf Le jardin des délices de Jérôme Bosch, La chute de l’homme de Cranach, La tentation d’Eve de William Blake).
Il nous reste donc un imagier commun, quelques références connues et partagées par une grande partie de l’humanité, il nous reste la pomme, le serpent, l’arbre… Néanmoins, il ne me semble pas intéressant en soi de reconstruire le paradis sur le plateau. Il doit demeurer un lieu chimérique, abstrait, irreprésentable, un lieu de tous les possibles. La scène pourrait être le paradis ou nulle part, aujourd’hui ou aux origines. Nous représenterons plutôt l’idée du paradis, son possible, qu’une quelconque reconstitution pseudo-historique. Toujours dans l’idée d’une épure spatiale, la Parole remplissant le vide.
Aussi, cet entre-deux peut nous questionner sur la manière d’envisager le paradis aujourd’hui, entre le cliché et l’idéal.
On nous vante souvent les mérites de tel ou tel lieu de villégiature estivale colorée du terme « paradisiaque » : l’été semble être le temps du paradis, de l’insouciance ; les Grandes Vacances sont une des possibilités actuelles de connaître –temporairement- le paradis. Les personnages du Jardin de Reconnaissance vont de leur apparition sur scène (comparable à une naissance) à leur disparition (la fin de la pièce évoque l’imminence de leur mort) : leur vie entière condensée en douze séquences peut être figurée aussi par le défilement d’une année entière. On commencerait par l’Eté, temps du paradis, pour s’enfoncer de plus en plus dans la difficulté et la souffrance d’être des humains, jusqu’à la mort, qu’on représente facilement sous les traits de l’Hiver.
Il s’agit donc de jouer avec ces clichés de représentations, afin de rester dans cette idée de connu-inconnu, identifiable-non identifiable. Et surtout, dans l’idée d’une fugacité des choses, de leur évanescence. Comme la parole, cet impalpable qui remplit l’air et disparaît sitôt apparu.
Fugaces
La vie d’un Homme est chose courte, éphémère, ridicule. A l’échelle du Temps, nous sommes poussière. Rien n’est durable, définitif, la mort arrive aussi vite que la Vie.
Et le théâtre, la chose est connue, reste par excellence le lieu de l’éphémère : Verba volant, scripta manent avaient prévenu les Romains. Le Jardin de reconnaissance rend compte de ces fugacités, auxquelles s’ajoute une sensation particulière que donne la Parole novarinienne. Rien n’est incompréhensible ni barbare, tout arrive au spectateur mais celui-ci est tellement assailli qu’il reçoit mais n’a pas le temps de « digérer », d’assimiler, d’encaisser. Va sur lui un tsunami plus qu’une onde claire. Les paroles ainsi déversées sont captées mais à toute vitesse, une parole remplaçant l’autre. Ce qui en fait des bribes éphémères, des étoiles filantes, des « traces incertaines » (pour reprendre J-L Lagarce). Et c’est un vrai délice, déstabilisant et inhabituel. Une pluie dont on sentirait toutes les gouttes sans pouvoir les comptabiliser. Le spectateur assailli de mots n’a plus le temps de « réfléchir », non que nous ne sollicitions pas son intellect ni sa sensibilité, mais au contraire, nous les sollicitons « trop », tout le temps, sans repos (le silence appartenant à la fin, à la mort). Et le plaisir de la représentation vient aussi de ce jeu étrange et surprenant, vertigineux.
Ainsi, la vie d’un Homme et sa parole se ressemblent. Ephémères comme le paradis, le bonheur, l’amour, fugaces, filantes, poussières dans le rayon de soleil, escarbilles échappées du foyer.
Hugues Chabalier
Trois sur scène : une « femme séminale » (Eve ?), un « bonhomme de terre » (Adam ?) et une « voix d’ombre » (Dieu ?). On recrée les origines de l’Homme. On rejoue le jardin d’Eden, on passe de l’arbre de la Connaissance à celui de la Reconnaissance. Adam et Eve, plus anciens parents que nous ayons -selon la Bible- premiers êtres humains à connaître l’expérience de la vie : la référence est commune à une très grande partie des êtres humains. Le couple inventé par Novarina, sans rejouer les véritables Adam et Eve, est un parangon de notre humanité, un résumé ; Novarina propose avec eux de connaître à nouveau, « reconnaître», ce qui fonde notre existence d’Homme.
Novarina entremêle l’Ancien et le Nouveau. Passage obligé par la Genèse : Adam est né d’une boule de glaise, de « terre », pétrie par le Créateur, « représenté » par cette mystérieuse Voix d’ombre. « D’ombre » comme si elle était invisible, immatérielle et « Voix » parce que dans la Genèse la Parole est créatrice (« Dieu dit que la Lumière soit et la lumière fut. »). La femme est séminale, rappelant Eve, mère de l’humanité. Ecriture des origines sûrement, mais les références contemporaines ne manquent pas, les personnages semblent appartenir aussi à notre époque. Ce jardin est donc à la fois le jardin d’Eden mythique et un lieu improbable, intangible, idéal en quelque sorte, confirmant l’idée que le paradis est impalpable et qu’on peut seulement se l’imaginer.
Dans cet espace-temps abstrait mais pas tout à fait inconnu, peut naître un théâtre de questionnement sur l’Homme, un véritable théâtre métaphysique. Le Bonhomme de terre et la Femme séminale expérimentent la vie, en témoignent au public : le théâtre est le lieu de la Vie même, débarrassée du réalisme, de la représentation mimétique et d’une intrigue conventionnelle. Ne reste que la vie à l’état premier. L’essentiel. Dans lequel le public peut se reconnaître.
Au commencement était le verbe (et l’acteur…)
Chez Novarina, comme dans les Ecritures, la Parole est créatrice. Dès lors qu’une chose est dite, elle apparaît, non pas physiquement mais dans l’esprit de celui qui écoute. Novarina tente de faire rentrer le monde entier dans un théâtre, uniquement par la parole. Il surgit alors de scène une Parole quasi matérielle qui tient lieu d’action. La folie du texte contraste avec l’épure du plateau, espace nu, brut, sauvage - une boîte noire, fermée et enclose (à l’image du paradis originel, « pairi daiza », « jardin clôturé », en persan).
Je cherche un théâtre des acteurs. Où la puissance, l’énergie, la folie des acteurs pulvérise la scène. Un acteur, ça peut anéantir le monde. Sauf que son monde, c’est la scène. Et uniquement la scène. Mais qu’au moins, ce lieu-là soit son paradis.
Je trouve chez Novarina cette parole qui permet aux acteurs de reprendre la scène. Son texte est une épreuve, un épuisement, un jusqu’auboutisme joyeux, généreux, brut. Constamment, s’échappent des acteurs la vie, la rage, l’amour, le désespoir, l’enthousiasme (la liste ne saurait être exhaustive…) Il y a quelque chose de la langue des prophètes, des trompettes devant les murs de Jéricho. Une parole autre que quotidienne et réaliste, dont le sens ne saurait être définitif et qui se lie, magie du théâtre, avec le mystère du jeu des acteurs.
« Travailler pour l’incertain ; aller sur la mer ; passer sur une planche » (Blaise Pascal, cité par Valère Novarina.)
Le jardin de reconnaissance est pour le public et les acteurs une traversée : de la langue, des sentiments, des énergies, des sensations. Un théâtre toujours en mouvement. Comme la pensée. Mais de manière sauvage. Et là, le théâtre ressemble aux oeuvres singulières de l’Art Brut. Aux constructions inclassables du Facteur Cheval. Les acteurs ne sont jamais loin de l’improvisation, de la possibilité de l’instant, ils peuvent enfourcher d’imprévisibles montures. L’écriture de Novarina est un des plus beaux cadeaux à offrir à un acteur.
Et par ailleurs, il y a aussi de l’intime, du petit, du confident (on ne saurait toujours être sujet aux orages et aux déluges). 3 acteurs seulement : au-delà de la performance, régal des acteurs et du public, peut se tisser un lien particulier scène – salle. Le grand questionnement des personnages peut aussi se transmettre au public autrement que par la profération, l’ampleur, l’excès.
Représenter le paradis ?
L’espace du paradis, légendaire, fondateur mais sans traces connues est avant tout fantasmé. La légende de nos origines commence donc par la légende du lieu. Lieu dont l’homme fut banni, il reste un idéal perdu, qu’il faudra d’une manière ou d’une autre reconquérir. Les représentations humaines du paradis en font un jardin, chose identifiable, mais puisqu’aucune image réelle ne nous est parvenue, il est souvent teinté de rêverie, d’imaginaire, d’irréalité et des sentiments que l’artiste a voulu y adjoindre (cf Le jardin des délices de Jérôme Bosch, La chute de l’homme de Cranach, La tentation d’Eve de William Blake).
Il nous reste donc un imagier commun, quelques références connues et partagées par une grande partie de l’humanité, il nous reste la pomme, le serpent, l’arbre… Néanmoins, il ne me semble pas intéressant en soi de reconstruire le paradis sur le plateau. Il doit demeurer un lieu chimérique, abstrait, irreprésentable, un lieu de tous les possibles. La scène pourrait être le paradis ou nulle part, aujourd’hui ou aux origines. Nous représenterons plutôt l’idée du paradis, son possible, qu’une quelconque reconstitution pseudo-historique. Toujours dans l’idée d’une épure spatiale, la Parole remplissant le vide.
Aussi, cet entre-deux peut nous questionner sur la manière d’envisager le paradis aujourd’hui, entre le cliché et l’idéal.
On nous vante souvent les mérites de tel ou tel lieu de villégiature estivale colorée du terme « paradisiaque » : l’été semble être le temps du paradis, de l’insouciance ; les Grandes Vacances sont une des possibilités actuelles de connaître –temporairement- le paradis. Les personnages du Jardin de Reconnaissance vont de leur apparition sur scène (comparable à une naissance) à leur disparition (la fin de la pièce évoque l’imminence de leur mort) : leur vie entière condensée en douze séquences peut être figurée aussi par le défilement d’une année entière. On commencerait par l’Eté, temps du paradis, pour s’enfoncer de plus en plus dans la difficulté et la souffrance d’être des humains, jusqu’à la mort, qu’on représente facilement sous les traits de l’Hiver.
Il s’agit donc de jouer avec ces clichés de représentations, afin de rester dans cette idée de connu-inconnu, identifiable-non identifiable. Et surtout, dans l’idée d’une fugacité des choses, de leur évanescence. Comme la parole, cet impalpable qui remplit l’air et disparaît sitôt apparu.
Fugaces
La vie d’un Homme est chose courte, éphémère, ridicule. A l’échelle du Temps, nous sommes poussière. Rien n’est durable, définitif, la mort arrive aussi vite que la Vie.
Et le théâtre, la chose est connue, reste par excellence le lieu de l’éphémère : Verba volant, scripta manent avaient prévenu les Romains. Le Jardin de reconnaissance rend compte de ces fugacités, auxquelles s’ajoute une sensation particulière que donne la Parole novarinienne. Rien n’est incompréhensible ni barbare, tout arrive au spectateur mais celui-ci est tellement assailli qu’il reçoit mais n’a pas le temps de « digérer », d’assimiler, d’encaisser. Va sur lui un tsunami plus qu’une onde claire. Les paroles ainsi déversées sont captées mais à toute vitesse, une parole remplaçant l’autre. Ce qui en fait des bribes éphémères, des étoiles filantes, des « traces incertaines » (pour reprendre J-L Lagarce). Et c’est un vrai délice, déstabilisant et inhabituel. Une pluie dont on sentirait toutes les gouttes sans pouvoir les comptabiliser. Le spectateur assailli de mots n’a plus le temps de « réfléchir », non que nous ne sollicitions pas son intellect ni sa sensibilité, mais au contraire, nous les sollicitons « trop », tout le temps, sans repos (le silence appartenant à la fin, à la mort). Et le plaisir de la représentation vient aussi de ce jeu étrange et surprenant, vertigineux.
Ainsi, la vie d’un Homme et sa parole se ressemblent. Ephémères comme le paradis, le bonheur, l’amour, fugaces, filantes, poussières dans le rayon de soleil, escarbilles échappées du foyer.
Hugues Chabalier