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13 février au 24 mai, exposition Giorgio de Chirico au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris

Le Musée d’Art moderne de la Ville de Paris consacre une exposition rétrospective à Giorgio de Chirico (1888 - 1978), artiste majeur du XXème siècle dont l’œuvre n’a pas été présentée à Paris depuis plus de vingt-cinq ans.


Giorgio de Chirico, la fabrique des rêves

Chirico, Les masques, 1973
Chirico, Les masques, 1973
Cent soixante-dix peintures, sculptures, œuvres graphiques, et une sélection d’archives, retracent le parcours singulier de l’artiste actif de 1909 à 1975. L’exposition vise à restituer l’unité de l’œuvre en portant un regard contemporain sur la mythographie fantastique née dans la fabrique des rêves chiriquienne : une métaphysique mutante et, toujours opérante.

Giorgio de Chirico a fait de Paris, après Rome, sa ville d’élection, y trouvant, par « les chemins inconnus du surréel, la scène d’un théâtre merveilleux » (Salve Lutetia, 1928).
Avec ses prospections éblouissantes et ses retours en arrière, la peinture de Giorgio de Chirico déjoue les classifications établies, comme elle a dérouté en son temps ses défenseurs devenus parfois, à l’exemple d’ André Breton, ses plus sévères critiques. A la fulgurance des premières années, succède une longue exploration de l’art et de la réalité et, en premier lieu de ses propres tableaux. En sphinx de l’art moderne, Chirico s’approprie toutes les formes, de la foule des gladiateurs jusqu’aux chevaux, dont on devine sans oser le dire qu’il s’agit d’autoportraits. Le peintre a revendiqué ne distinguer dans son « travail ni étapes, ni transitions d’un style à l’autre », ne cessant de dresser de nouvelles énigmes (Giorgio de Chirico, entretien publié dans L'Europeo, avril 1970).

Premières œuvres

Peu après le retour de Gemma de Chirico et de ses fils en Italie (Milan, Venise) en provenance
d’Athènes, Giorgio de Chirico s’installe à Munich, à l’automne 1906, et suit les cours de Carl von Marr
à l’Académie des beaux-arts. Pendant cette période de formation, l’artiste retrouve les oeuvres des
peintres poètes de l’école romantique allemande du XIXe siècle, notamment Arnold Böcklin et Max
Klinger, populaires à l’école des ingénieurs et des beaux-arts d’Athènes. Il lit Nietzsche,
Schopenhauer et Weininger. Peu séduit par le « triste et terreux sécessionnisme » munichois, Chirico
est davantage attiré par le romantisme mythique « énigmatique et obscur » qui fut, selon lui, « la
véritable force du classicisme grec. »
Le Combat de centaures, librement inspiré du tableau de Böcklin (Kunstmuseum, Bâle), appartient à
la rare série de peintures réalisées lors de la première période italienne de l’artiste (à Florence et à
Milan, de 1909 à 1911), rescapées de la destruction que leur aurait fait subir l’artiste. Un mélange de
mythologie et de personnages fantastiques hybrides compose la généalogie fondamentale de
l’univers dans lequel évoluent Giorgio et son frère ; le paysage aux centaures – celui de leur enfance
à Pagasos (Volos), terre d’où partirent les Argonautes – apparaît encore dans le Portrait d’Andrea, qui
renoue avec les portraits italiens de la Renaissance et leur précisionnisme délinéé par un trait fin. Le
Portrait de la mère de l’artiste, la Figure métaphysique (Portrait de Mme Gartzen, épouse de Fritz, son
ami munichois) et, le portrait plus tardif de son premier marchand, Paul Guillaume (1916), l’animateur
de la « centrale d’énergie métaphysique » ainsi que le surnomme Chirico, attestent que l’invention de
la Metafisica n’a pas éludé la question de la ressemblance. Celle-ci naît de la révélation et du rêve qui
prouvent la réalité métaphysique de ses modèles : « Comme la ressemblance qu’il y a entre deux
frères – ou plutôt entre l’image que nous voyons en rêve d’une personne que nous connaissons et
cette personne dans la réalité ; c’est, et en même temps, ce n’est pas la même personne ; il a comme
une légère et mystérieuse transfiguration dans les traits. » Il meccanismo del pensiero. Critica,
polemica, autobiografia (1911–1943)
L’énigme de la face, la prise en compte narcissique de l’autre, devient posture avec l’Autoportrait
réalisé en 1911 : « Et qu’aimerai-je si ce n’est l’énigme ? » (Et quid amabo nisi quod aenigma est ?)

Metafisica à Florence (1909-1911)

Alors installé à Florence, Chirico s’oriente à partir de la fin 1909–1911 vers de nouvelles voies, à travers la puissance poétique de compositions aux accents nietzschéens. « Tout ce qui m’entourait […] me paraissait en état de convalescence […] Alors, j’eus l’étrange impression de regarder ces choses pour la première fois, et la composition du tableau se révéla à mon regard intérieur » explique le peintre, à propos de son premier tableau révélé, l’Enigme d’un après-midi d’Automne. Dans ses paysages urbains atemporels (Méditation matinale), des « statues solitaires et dressées sur des socles très bas allongent leur ombre post-méridienne sur de vastes places désertes et entourées de portiques » (Angelo Bardi, pseudonyme de Chirico, 1928). Ces « mystères italiens, énigmes sabaudiennes ou cavouriennes », comme il les nomme lui-même, expriment le sentiment intense et mystérieux de dévoilement d’une réalité tout onirique, telle qu’elle peut aussi apparaître à l’esprit qui se met à distance de son propre corps, ou des habitudes du regard.
La rigoureuse clarté linéaire de L’Énigme de l’heure, accusant la prégnance de l’architecture frontale
qui domine une minuscule figure humaine, hors échelle, et l’inquiétante étrangeté de l’horizon de
L’Énigme du départ II, sur lequel la sculpture de l’homme politique (un père ou un commandeur
austère et inaccessible), vu de dos, projette une ombre mystérieuse, composent une métaphysique
qui, selon le voeu nietzschéen, se libère de l’anthropocentrisme. Elle donne tout à voir « en tant que
chose » en s’offrant à la polysémie des interprétations. On retrouve une certaine solitude des signes
soulignée par une matière picturale impersonnelle, lisse, et volontairement inexpressive dans La Tour
et, La Gare Montparnasse, associée cette fois au thème du départ, toujours reporté, ou plutôt, du
voyage immobile. Le peintre installe des dialogues improbables entre des fragments de sculptures
antiques et des fruits exotiques avec des perspectives architecturales qui se distendent et se
démultiplient (L’Incertitude du poète) dans une compacité nouvelle des temps.

Metafisica à Paris (été 1911-mai 1915)

Peu après son installation à Paris, où le peintre arrive au cours de l’été 1911, Chirico s’intègre au
cosmopolitisme parisien. Il adhère au cercle d’Apollinaire et à sa revue Les Soirées de Paris. Il rencontre Derain, Picasso, Braque, Max Jacob, Blaise Cendrars, Picabia, les italiens de Paris, Soffici, Modigliani, Papini, et croise le chemin de Paul Guillaume.
À Paris, souvenirs des places italiennes turinoises et errance sur « les chemins inconnus du surréel » se cristallisent en générant une figure nouvelle de l’artiste – chercheur d’énigmes : le peintre, le poète, le philosophe, mais aussi le prophète ou le devin (Le Vaticinateur). Le Portrait de Guillaume Apollinaire illustre cette démiurgie artistique, cette « voyance » particulière du poète aveugle, grâce à son regard intérieur, ici doublée par la prémonition de la blessure de guerre reçue à la tête par Apollinaire, marquée à l’avance par une cible sur cette effigie peinte.
La figure familière d’Ariane, d’après la statue de Corneille van Clève vue à Versailles – qui lui remémore aussi l’Ariane du Vatican – vient habiter ses énigmatiques places d’Italie (Place avec Ariane, La Récompense du devin). Les mannequins parisiens – celui des couturiers et de « l’homme sans visage » évoqué par Apollinaire –, les vitrines des magasins et leurs mondes en miniature auront nourri la « mythologie nouvelle en formation », célébrée par André Breton en s’inscrivant dans les plus énigmatiques compositions de l’inventeur de la Métaphysique (Le Poète et le philosophe, L’Astronome, Le Double rêve du printemps).

Metafisica à Ferrare (1915-1918)

En mai 1915, Giorgio de Chirico et son frère rentrent en Italie. Mobilisés, ils sont affectés dans un hôpital à Ferrare, villa Del Seminario. Le peintre est fasciné par la beauté étrange de la « ville carrée » qui associe mysticisme et perspectives architecturales : la place du Palais d’Este devient la scène d’un théâtre où évoluent ses nouveaux mannequins orthopédiques : Hector et Andromaque, Le Troubadour, Les Muses inquiétantes.
Il peint des paysages d’un genre nouveau, les intérieurs métaphysiques, s’appuyant cette fois sur
l’étrangeté des objets familiers du quotidien, avec un rendu hyperréaliste, qui cohabitent dans des chambres mystérieuses : gâteaux des devantures de l’ancien ghetto juif, instruments de mesure inconnus, fanions, boites de jeu, sucres d’orge colorés, cartes de géographie, buste d’Hermès
(Mélancolie Hermétique), etc., apparaissent dans ses tableaux. Ces compositions révèlent, selon
Papini (1919), « un étrange infini, peuplé de fantômes mécaniques et géométriques », « dans les lieux
même où notre vie insensée s’écoule ». Elles s’associent parfois à des signes comme l’oeil du Salut
de l’ami lointain : « Les anciens crétois, explique de Chirico, gravaient un oeil énorme au milieu des
profils délicats qui couronnaient leurs vases, leur vaisselle ou s’alignaient sur les murs des habitations.
L’embryon de l’homme, du poisson, du poulet du serpent, n’est lui non plus au départ rien d’autre
qu’un oeil. Il faut découvrir l’oeil en toute chose ».
Adulé par André Breton, Paul Eluard, René Magritte, Louis Aragon qui voient en lui leur grand initié,
bientôt déçus par son orientation dès les années 20 vers un classicisme et un retour au « beau métier
» puisant au musée, Chirico montre, après son retour à Rome, à la fin de la guerre, les premières
évolutions de ses mannequins, nouveaux hybrides de la grande tradition picturale et de sa propre
mythographie (Le Retour du fils prodigue, Hector et Andromaque).
Face à la fascination de ses admirateurs pour les oeuvres métaphysiques qu’ils découvrent chez Paul
Guillaume ou, à travers les revues d’art européennes (Valori Plastici, de Stijl, ou Littérature), Chirico
propose de peindre de nouvelles versions d’oeuvres antérieures (Le Revenant, coll. Particulière,
L’Énigme d’un départ, Les muses inquiétantes).

« Pictor Optimus ». Un retour au classicisme

Parallèlement à ses investigations muséales dans l’histoire et les techniques de la peinture occidentale entreprises à Rome et à Florence, à partir de 1919 (Ulysse d’après Böcklin), Chirico réalise de nombreux autoportraits (Autoportrait avec buste d’Euripide, Autoportrait en double réifié), où l’on a voulu voir une « décadence de l’esprit chiriquien ». Le peintre assemble « les figures pour donner au tableau un sens plus vaste et le rendre plus solennel ; il plaça à côté du portrait le buste d’une statue, pour un contraste séduisant entre l’inaltérable sérénité de la statue et la vivacité pathétique de la figure humaine. » (Chirico, 1925). Dans ses portraits, on assiste à la compénétration des modèles et de la peinture chiriquienne, en autoréférences (Portrait du Dr Barnes). Il montre aussi ses nouvelles préoccupations de transparence et de lumière, grâce à l’emploi de glacis colorés en lieu et place de la peinture à l’huile (Portrait de l’artiste avec sa mère).
Le peintre renouvelle une fois encore le thème des mannequins : Les archéologues, Le Poète et sa muse, Les Époux apparaissent comme les hybrides métaphysiques des statues des saints et des apôtres assis de la statuaire gothique, vus à la Cathédrale de Milan. Porteurs de mondes oubliés –
morceaux de temples, de colonnes, objets divers – qui forment leurs entrailles, les nouveaux
mannequins de pierre sont désormais, comme leur auteur, des créatures culturelles. À son retour à
Paris, en 1925, les boutiques des brocanteurs avec leurs meubles, comme abandonnés dans la rue,
lui inspirent une série de tableaux, où le peintre se fait « dépaysagiste » (Jean Cocteau). Lits, armoires hors échelle se déplacent dans des paysages d’autres temps, encombrés de morceaux de temple, de colonnes et de chapiteaux ruinés ; ils enferment le spectateur dans un entre-deux mondes plein d’incongruités et d’illogisme spatial en marquant un onirisme décalé.

Les Bains mystérieux

L’illustration des Calligrammes d’Apollinaire en 1930, et celle de Mythologie de Jean Cocteau, réalisée
en 1934, offrent à Chirico de nouveaux thèmes (Bains mystérieux et scènes théâtrales où le soleil
rencontre la lune, etc.).
Pour illustrer le livre de Jean Cocteau, Mythologie, Chirico réalise dix lithographies. Dans ces étranges
paysages, des cabines de bains sur pilotis surmontent des bassins à la surface striée de chevrons
(comme des empreintes xylographiques), reliés par des canaux sinueux. Figés dans une sorte
d’immobilité atemporelle, des hommes en costume de ville – qui préludent aux mannequineries de
Jean Hélion – voisinent avec des baigneurs nus.
Dans les mêmes années, le peintre transpose cette thématique en peinture, y ajoutant de nouvelles
scènes (Bains mystérieux à Manhattan). La complexité de l’iconographie où se mêlent souvenirs
d’enfance, réminiscences de l’oeuvre de Klinger ou symboles, se double d’un traitement pictural
complexe, ainsi que le confie l’artiste : « Je poursuis encore mes recherches dans les domaines de
l’invention et de l’imagination. À ce type de recherches appartiennent les tableaux Bains mystérieux,
Le Nageur, Le Cygne mystérieux, Le Gentilhomme en villégiature, etc. ; mais ce dernier, ainsi que les
Combats dérivent un peu de ce que j’ai fait pour le théâtre. »

Classique / Anticlassique ?

Le peuplement du monde chiriquien s’accroît avec les premiers cavaliers et chevaux sur la plage (Cheval blanc), où l’animal statique, comme taillé dans la pierre, se détache sur un paysage maritime aux vestiges antiques. Les chevaux fantasques librement inspirés des peintures de Rubens, et les Dioscures au bord de la mer semblent faire revivre une antiquité perdue, comme les Deux figures mythologiques.
Le traitement stylistique des éphèbes – les touches effilées et précieuses, les couleurs vibrantes rappelant la vivacité des pastels – évoquent les décorations réalisées par Chirico, de 1928 à 1929, pour le hall de la demeure parisienne de son nouveau marchand, Léonce Rosenberg. Commandée afin de faire écho à une collection de mobilier néo-classique, la suite des Gladiateurs créée à cette occasion n’appartient pas au courant de « romanité » triomphante novecentiste, ni ne relève d’une célébration fasciste. Waldemar George décèle au contraire dans ces combattants – automates, pantelants et pathétiques – un néo-classicisme sceptique, montrant « la corruption et l’avilissement de la forme anthropomorphe, le refus de transmettre des impressions physiques de volume, de pesanteur, de mouvement », et finalement, la dichotomie de la forme et du sens que le peintre ordonne dans ses combats de gladiateurs métaphysiques « en chambre ».
Chirico dresse des spectres, écrit le critique, constatant « le divorce de l’homme avec le monde et
cette occulte perception de la mort qui hante tous les peintres philosophes, qu’ils se nomment
Albrecht Dürer ou Nicolas Poussin » (L’Amour de l’art, avril 1932). Il voit aussi dans le grand peintre,
qui déçoit ses voeux de renaissance d’un nouvel humanisme, le vaticinateur d’un fatal déclin de
l’Occident, selon la théorie d’Oswald Spengler.

Le Musée imaginaire

Travaillant après la guerre entre Florence et Rome, Chirico visite assidûment les musées – Les Offices, le Palais Pitti, la Galerie Borghèse, etc., et commence à copier les chefs d’oeuvre des XIVe et XVe siècles italiens, développant le concept de qualité de la peinture en soi, indépendamment du sujet, tout en s’ouvrant à l’infini de l’espace de la fiction picturale, alimentant sa propre oeuvre. À l’automne 1919, l’artiste publie un article « Il ritorno al mestiere » (« Le retour au métier ») dans La revue Valori Plastici. Il y défend l’iconographie traditionnelle, la nécessité d’étudier et de maîtriser les techniques picturales. Il réitère cette posture dans sa célèbre lettre à André Breton (Littérature, no 1, mars 1922) affirmant ne renier en rien « ce magnifique romantisme que nous avons créé […] tous ces mondes que nous avons peints, dessinés, écrits chantés, et qui sont votre poésie, celle d’Apollinaire et de quelques autres, mes peintures, celles de Picasso, de Derain […] »
Dans le musée imaginaire sont ici réunies parmi les plus importantes copies réalisées au cours de
l’entreprise d’inventaire muséal le plus complet jamais réalisée par un artiste au XXe siècle, copies que Chirico a conservées tout au long de sa vie. Depuis les premières approches de Raphaël (La Gravida), Michel-Ange, Dürer (Lucrèce), Titien (Tête d’homme d’après Le Concert), Guido Réni (Bacchus), Fragonard, (Tête de vieillard), Watteau (Nymphe endormie), en passant par Rembrandt, Véronèse, Van Dyck, Delacroix ou Courbet (Tête de femme), etc., Chirico se pénètre de la technique et du geste des maîtres du passé dans une connaissance intime et cathartique. Il participe lui-même à ce spectacle théâtral de la Comedia del arte Moderna, comme en témoignent les autoportraits en costumes, empruntés à tous les temps de la peinture, jouant aussi des matières – velours, dentelles, soies, etc. – comme de pures surfaces abstraites, génératrices de lumière.

Période néo-baroque

Sa fascination pour le visuel, le tactile, et l’abandon de sa conscience plastique, notamment à travers les peintures allégoriques de Rubens, le font inaugurer, au début des années 1940, une période néobaroque.
Dans ses tableaux inspirés de l’Arioste, ou reprenant les cycles rubéniens, ou encore, le style carte postale (Veduta de Venise), mythe, récit initiatique et histoire de l’art se conjuguent à sa mythologie personnelle : son épouse Isabella Far, son principal modèle, devient Angélique (Roger et Angélique), Diane Chasseresse, Automne, etc. Cet univers comme représentation revient aux principes fondateurs qui avaient irrigué la Metafisica, sous l’égide de Schopenhauer et de la Darstellung nietzschéenne.

Replay

Bien que le peintre soit resté silencieux à ce sujet, la duplication de ses propres peintures paraît s’inscrire, cela dès son origine, dans les années 20, dans une stratégie contre la fétichisation et la survalorisation de sa période métaphysique. Les multiples répliques inspirées par ses tableaux métaphysiques produites à partir des années 1940, (Ariane, Les Muses inquiétantes, Trouvère, Hector et Andromaque, etc.) semblent vouloir contredire les idées reçues sur l’évolution d’un peintre, sur l’idée du chef-d’oeuvre, de l’unica, dont Chirico, depuis les attaques récurrentes des surréalistes, réfute la doxa. Certains critiques comme James Thrall Soby y voit en 1950 l’indice d’un épuisement créatif, d’autres tel Motherwell, un processus volontaire d’autodestruction, de suicide pictural. Andy Warhol admire, lui, l’originalité de cette démarche : « J’adore son oeuvre et cette façon de répéter les mêmes peintures encore et encore. J’aime beaucoup cette idée ; j’ai donc pensé qu’il serait
formidable de le faire. » (1982)
Grâce à ces reproductions, dont Giorgio de Chirico fait transiter les thèmes dans une suite de
sculptures, l’artiste engage un dialogue avec ses oeuvres passées, entamant une période de
réflexion, multipliant les couper / coller à partir de sa propre création. Les replays apparaissent en ce
sens, à la fois critiques et mélancoliques.
Une série d’autoportraits dans l’atelier réalisés dans les années 40 rend compte de cette provocation
anti-moderne, une mise à distance de lui-même quasi iconoclaste, mettant la peinture au défi dans sa
capacité à exprimer autre chose qu’elle-même, comme dans son Autoportrait nu : « une ruine qui fut
un jour un génie ; un gros corps faible, totalement asexué, les joues tombantes et la pâleur d’un
homme déjà presque mort. Il y a quelque chose de très convaincant dans ce portrait, comme si un
peintre peignait son corps après la mort. » écrit Max Ernst, en 1946.

Dialogues mystérieux, dernières œuvres

À partir de 1967, Giorgio de Chirico entame sa période néo-métaphysique. Ses derniers tableaux
apparaissent comme une synthèse originale des thèmes et des styles de ses oeuvres précédentes
(Le poète et le philosophe, La Lassitude d’Orphée, etc.).
Dans Piazza d’Italia, Il Grande Gioco, Chirico reprend les motifs de ses places italiennes des années
1910 : arcades, mur de brique barrant l’horizon, cheminée rouge d’usine, sculpture à demi dissimulée.
Le paysage, conçu comme une scène de théâtre, est désormais habité, deux hommes se serrant la
main au centre. La peinture apparaît comme un commentaire non dénué d’ironie (voir la prolifération
kitsch des détails) de ses oeuvres antérieures. La démarche de Giorgio de Chirico acquiert ici une
dimension critique allant jusqu’à révéler le burlesque sous-jacent à sa période métaphysique. Peint la
même année, Le Retour d’Ulysse, son double mythique, apparaît telle une métaphore de la position
du peintre. L’héroïque Odyssée s’est métamorphosé en un voyage en chambre, Ulysse / Chirico
navigant entre une de ses peintures métaphysiques, suspendue sur le mur gauche, et un temple
antique, entrevu par une fenêtre.
À la fin des années 1960 et durant la décennie suivante, Giorgio de Chirico traduit en peinture les
motifs du soleil et de la lune créés pour illustrer le livre de Guillaume Apollinaire, Calligrammes
(Gallimard, 1930). Dans cette série, la lune est figurée de manière quasi-enfantine par un croissant et
le soleil, par un disque entouré de lignes ondulantes. Placés indifféremment dans le ciel ou dans un
intérieur ou, une scène ouverte, comme dans Offrant au soleil (1968, Fondazione Giorgio e Isa de
Chirico, Rome), ils sont reliés entre eux et à leurs ombres par des sortes de câbles. La simplicité de la
facture – les traits de pinceaux se sont faits plus épais – et la vivacité des couleurs confèrent à ces
toiles une poésie surréaliste. Il reprend aussi le thème des « Bains mystérieux » (dont une vue
nocturne), et les labyrinthiques canaux qui ramènent à bon port le héros de sa propre mythologie,
Hebdoméros.
Né de l’étrange alliance entre les chevaux et les archéologues des années 1920, L’Animal fantastique,
se profilant sur un rivage grec, incarne ce monde clos d’autocitations dont l’onirisme désabusé
caractérise les dernières années de l’artiste.

Informations pratiques

Musée d’Art moderne de la Ville de Paris
11, avenue du Président Wilson
75116 Paris
Tél : 01 53 67 40 00
Fax : 01 47 23 35 98
www.mam.paris.fr
Transports
Métro : Alma-Marceau ou Iéna
RER : Pont de l’Alma (ligne C)
Bus : 32/42/63/72/80/92
Horaires d’ouverture
Mardi au dimanche de 10h à 18h
Nocturne le Jeudi de 10h à 22h (seulement les expositions)
Fermeture le lundi et les jours fériés

pierre aimar
Mis en ligne le Mercredi 21 Janvier 2009 à 21:26 | Lu 3679 fois

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