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Chorégies d'Orange. Janine Reiss, directrice des études musicales, témoignage

Janine Reiss étudie le piano et le clavecin avant de s’orienter vers les études musicales et vocales. En 1973, Rolf Liebermann l’engage à l’Opéra de Paris dont elle restera directrice des études musicales jusqu’en 1980. Invitée des plus grands festivals et opéras du monde, elle travaille auprès des chefs et interprètes les plus prestigieux.


Janine Reiss
Janine Reiss
Janine Reiss a réalisé plusieurs enregistrements discographiques et publié un ouvrage sur ses dix années de travail avec Maria Callas. Elle a dirigé les études musicales de 38 productions aux Chorégies d’Orange et sera présente en 2009 pour La Traviata, Cavalleria Rusticana et Pagliacci.

En quoi consiste le travail d’une directrice des études musicales ?
Ce titre de directrice des études musicales n’a pas toujours existé. Quand on regarde toutes les vieilles partitions, on y trouve les mentions de « chef de chant, chef d’orchestre, metteur en scène… ». En ce qui me concerne, ce titre m’a été décerné à une époque où je travaillais beaucoup pour la radio. Un musicien m’a dit : « cette expression de chef de chant est tout à fait ridicule. Vous vous occupez de tout, on devrait vous appeler : directrice des études musicales ». J’ai protesté, mais le titre m’est resté et je pense qu’il est utilisé désormais pour tous ceux qui exercent le même métier que moi. Quand Hugues Gall, alors Directeur de l’Opéra National de Paris, m’a demandé d’assurer les études musicales du Centre de Formation Lyrique de l’Opéra, je lui ai expliqué qu’un vrai directeur des études musicales s’occupe autant du texte chanté que de la musique adaptée à ce texte, ainsi que de l’orchestre qui répond au chanteur, le précède ou l’accompagne.

Deux exemples me viennent à l’esprit pour illustrer ce propos. Au cours de master classes à l’Ecole Normale de Musique de Paris, j’ai fait travailler le rôle de Mélisande à une jeune chanteuse et lui ai demandé qui était Mélisande à ses yeux, quelle était son histoire et si elle avait lu l’œuvre de Maeterlinck ? Elle était fort étonnée de ma demande, mais pour moi, les études musicales, c’est étudier aussi l’œuvre théâtrale proprement dite, qui est à l’origine de l’opéra. Pour bien interpréter un rôle, il est nécessaire de connaître le passé des personnages et les événements antérieurs qui en ont fait ce qu’il est. Autre exemple : lorsque je fais travailler le rôle de Donna Anna (Don Giovanni), je demande à l’interprète : « Comment peut-on croire Donna Anna lorsqu’elle raconte à Ottavio qu’elle est entrée un soir dans sa chambre et qu’elle a trouvé un homme qu’elle avait pris pour lui ? ». Au XVIIIème siècle, l’étage noble était au second. Comment un homme pouvait-il monter sans être arrêté par des valets ? A chaque fois, les jeunes chanteurs me regardent, incrédules, alors que cela me paraît, à moi, essentiel.

On peut dire que les études musicales sont comme un « arc-en-ciel » couvrant l’art dramatique, l’art musical, l’ouverture (l’ouverture de Don Giovanni, en l’occurrence, annonce déjà la mort du héros).
Le texte dramatique est primordial et n’est jamais assez pris en compte. La musique n’a pas besoin d’être présentée, elle s’impose d’elle-même : vous entendez un orchestre, des musiciens qui jouent. L’oreille écoute la musique, mais l’oreille doit en même temps écouter le texte générateur de la musique.

Que pensez-vous de la génération actuelle des jeunes chanteurs d’opéra ?
J’ai la chance de travailler avec beaucoup de jeunes et je suis heureuse de constater que la qualité s’élève énormément. La nouvelle génération a bénéficié de quelques grands exemples. Il a été une époque, en France comme ailleurs, où seules les voix comptaient. L’artiste ne jouait pas la comédie : il arrivait sur scène, chantait, puis ressortait. Evidemment, les metteurs en scène doivent connaître la musique. Un opéra, c’est un double langage : l’orchestre parle autant que le chant. Si vous n’entendez pas l’orchestre (au sens large du terme, « entendre » en français veut aussi dire « comprendre »), vous ne pouvez pas parler des sentiments des chanteurs. Maintenant, malheureusement, les metteurs en scène qui viennent du cinéma ou du ballet ou de tout autre horizon, n’entendent pas la musique, même s’ils l’écoutent. Alors, à ces jeunes chanteurs que j’ai le bonheur de faire travailler, je fais jouer le texte avant de le leur faire chanter. Je m’assois à côté d’eux et je leur donne la réplique. Et, quand ils vont le chanter, il aura évidemment pris une espèce de vérité. Je nourris de grands espoirs pour la nouvelle génération.

Quel regard portez-vous sur l’avenir de l’opéra ?
J’espère de toute mon âme que l’opéra aura un avenir. Je voudrais que l’on cesse de vouloir « rénover » l’opéra. C’est en rénovant l’opéra qu’on l’enterre. Nous devons le respect à une œuvre d’art et, si nous lui portons ce respect, nous en tirons toujours des choses nouvelles. Je fais travailler certains opéras depuis quarante ans et je trouve encore le moyen d’y découvrir des éléments que je n’avais pas vu avant.

Pour moi, l’opéra est un art complet pour lequel on ne devrait pouvoir utiliser que des créateurs et des artistes complets. C'est-à-dire des chanteurs connaissant aussi bien la littérature que la technique vocale, des metteurs en scène lisant la musique et des décorateurs qui ne transposent pas Manon dans le métro de New-York ! Car alors, non seulement on ne peut plus regarder, mais on ne peut plus entendre, parce que la musique n’est alors plus portée jusqu’à vous.

Vous connaissez bien Georges Prêtre et Myung-Whun Chung que vous retrouverez cet été aux Chorégies d’Orange ?
C’est un grand bonheur pour moi de retrouver Georges Prêtre qui est un homme passionné de musique, qui adore l’opéra et qui l’a toujours montré. Il est très simple et très modeste et ces deux qualités, en général, vont de pair avec le talent. Plus vous montez sur l’échelle du talent, plus vous trouvez la modestie. Quant à Maître Chung, je lui dois quelques-uns de mes plus beaux souvenirs, entre autres, sa direction de Carmen, aux Chorégies. Sous sa baguette, j’ai entendu sortir de l’orchestre tous les thèmes utilisés par Bizet dans sa partition. Il faut faire ressortir le leitmotiv du destin de Carmen, par exemple, et Maître Chung le fait admirablement. On se rend compte, plus on avance sur la route, que jamais on ne décrypte assez une partition et ces deux chefs le font remarquablement.

Que ressentez-vous quand vous êtes devant le « Mur » du Théâtre Antique d’Orange ?
Ma réponse est très courte. Quand je finis mon travail aux Chorégies, je me dis : « pourvu que je puisse revenir l’année prochaine ». J’ai pour leur Directeur Général, Raymond Duffaut, non seulement le plus grand respect professionnel, mais une véritable amitié. Il fait face à toutes les difficultés, se bat contre des géants, ceux qui détiennent l’argent, les « politiques », et son enthousiasme est toujours intact. Grâce à lui, à sa connaissance des interprètes, les Chorégies demeurent un magnifique spectacle auquel des milliers de personnes se pressent chaque année ; il est toujours présent, même pour prédire la météo !
(© Chorégies d'Orange)

pierre aimar
Mis en ligne le Vendredi 9 Janvier 2009 à 05:27 | Lu 2419 fois

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