Eric Corne, Le Contre-Ciel, 2015-2017. Huile sur toile, 285 x 250 cm.
Les titres des expositions d’Éric Corne font référence à des poèmes, comme une manière de rappeler combien la peinture et la poésie participent d’un même langage, à la frontière entre rêve et réalité. C’est aussi une façon peut-être, puisqu’il y a tant à voir, de mettre son regardeur sur la/une voie.
Avec René Daumal donc, il aura remarqué, dans le tableau qui donne le titre de l’exposition, que les livres ne sont plus à brûler, puisque pour la plupart, ils ne sont plus que des boîtes vides. Le personnage féminin émerge d’une montagne de livres-objets, boîtes de toutes les couleurs, qui l’habille ou la dissimule. Cette figure figée, telle une statue qui hante de sa présence récurrente l’imaginaire, entre chair et pierre, met le peintre à genoux. Il doit tout à la peinture comme un modeste donateur face à une Vierge en majesté, sujet familier de l’histoire de l’art pour témoigner de la soumission humaine au divin. En atteste, à l’évidence, ce tableau dans le tableau, parfaitement centré dans la composition, comme sa réplique, mais représenté par son envers et crevé par un bras tout puissant, la main cachée d’un gant de boxe, qui ordonne (de peindre).
Outre ces clins d’œil à la grande peinture, -non sans humour bien sûr-, que l’artiste revendique sans scrupule, il ne se prive pas non plus de poursuivre, à la suite de Picasso, la relation entre Eros et Thanatos, création et sexualité. Le héros du jour est un « amoureux excessif », et soutient avec le poète, qu’Aussi l’amour « vrai » n’aveugle pas mais illumine. Cette référence, après Rimbaud, et à l’ombre de Cravan, convoque le peintre comme acteur d’une aventure autant spirituelle que matérielle, même si son culte pour les images, celles déjà peintes et celles à venir surtout, est sa plus grande et absolue passion. « Agitateur de conscience », il joue sur deux temporalités, deux territoires dont l’un est en mal de mémoire fondatrice. Son théâtre de vie, et ses modèles, à savoir maison, bouquets de fleurs, chien, falaise, bateau, mer, bouteille, palette, pinceaux, tubes de peinture, gants de boxe, ampoule, et souvent tableaux retournés ou vides, etc., ne fonctionnent plus seulement comme des indices mais sont constitutifs du récit pictural. Leur organisation réajuste les lois classiques de la perspective avec une fascination pour la mise en abîme ou le lieu clos. A cet espace, peu à peu plus clément que menaçant, autrefois île de tous les possibles, offshore utopique et accélérateur de récits, n’est concédée aujourd’hui qu’une seule fenêtre, âprement conquise sur le mur par effraction, un hors champ tout aussi mystérieux et fascinant.
Éric Corne resserre ici nos lectures successives, ouvertes et toujours inachevées, mais de plus en plus liées par une forme de cohérence. Abandonnant le suspens d’un thriller, le tableau se condense en une énigme plus essentiellement philosophique pour atteindre, par la métaphore picturale, le réel caché des êtres. Il se signale comme amorces de sens, d’où jaillissent les lumières, mais pour lequel il n’est pas de point d’arrivée qui constituerait le sens du tableau, mais des échos ou des reflets, comme des miroirs du sens de nos vies.
Claire Stoullig
Avec René Daumal donc, il aura remarqué, dans le tableau qui donne le titre de l’exposition, que les livres ne sont plus à brûler, puisque pour la plupart, ils ne sont plus que des boîtes vides. Le personnage féminin émerge d’une montagne de livres-objets, boîtes de toutes les couleurs, qui l’habille ou la dissimule. Cette figure figée, telle une statue qui hante de sa présence récurrente l’imaginaire, entre chair et pierre, met le peintre à genoux. Il doit tout à la peinture comme un modeste donateur face à une Vierge en majesté, sujet familier de l’histoire de l’art pour témoigner de la soumission humaine au divin. En atteste, à l’évidence, ce tableau dans le tableau, parfaitement centré dans la composition, comme sa réplique, mais représenté par son envers et crevé par un bras tout puissant, la main cachée d’un gant de boxe, qui ordonne (de peindre).
Outre ces clins d’œil à la grande peinture, -non sans humour bien sûr-, que l’artiste revendique sans scrupule, il ne se prive pas non plus de poursuivre, à la suite de Picasso, la relation entre Eros et Thanatos, création et sexualité. Le héros du jour est un « amoureux excessif », et soutient avec le poète, qu’Aussi l’amour « vrai » n’aveugle pas mais illumine. Cette référence, après Rimbaud, et à l’ombre de Cravan, convoque le peintre comme acteur d’une aventure autant spirituelle que matérielle, même si son culte pour les images, celles déjà peintes et celles à venir surtout, est sa plus grande et absolue passion. « Agitateur de conscience », il joue sur deux temporalités, deux territoires dont l’un est en mal de mémoire fondatrice. Son théâtre de vie, et ses modèles, à savoir maison, bouquets de fleurs, chien, falaise, bateau, mer, bouteille, palette, pinceaux, tubes de peinture, gants de boxe, ampoule, et souvent tableaux retournés ou vides, etc., ne fonctionnent plus seulement comme des indices mais sont constitutifs du récit pictural. Leur organisation réajuste les lois classiques de la perspective avec une fascination pour la mise en abîme ou le lieu clos. A cet espace, peu à peu plus clément que menaçant, autrefois île de tous les possibles, offshore utopique et accélérateur de récits, n’est concédée aujourd’hui qu’une seule fenêtre, âprement conquise sur le mur par effraction, un hors champ tout aussi mystérieux et fascinant.
Éric Corne resserre ici nos lectures successives, ouvertes et toujours inachevées, mais de plus en plus liées par une forme de cohérence. Abandonnant le suspens d’un thriller, le tableau se condense en une énigme plus essentiellement philosophique pour atteindre, par la métaphore picturale, le réel caché des êtres. Il se signale comme amorces de sens, d’où jaillissent les lumières, mais pour lequel il n’est pas de point d’arrivée qui constituerait le sens du tableau, mais des échos ou des reflets, comme des miroirs du sens de nos vies.
Claire Stoullig
Pratique
Galerie Patricia Dorfmann
61 rue de la Verrerie
75004 Paris
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