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Exposition « de Méliès à la 3d : la machine cinéma » à la Cinémathèque, Paris, du 5 octobre 2016 – 29 janvier 2017

Grâce à ses collections, parmi les plus riches au monde, la Cinémathèque française présente une exposition inédite sur l'histoire de la technique et sur les métamorphoses successives de l'image animée, de la fin du XIXe siècle jusqu'à l'ère numérique.


Projecteurs, caméras, matériels de studio et de laboratoire, archives, films rares, ... seront dévoilés dans un parcours à la fois esthétique, technologique et historique ponctué de projections, de sons et de machines en fonctionnement ou en simulation.
Exposition « de Méliès à la 3d : la machine cinéma » à la Cinémathèque, Paris, du 5 octobre 2016 – 29 janvier 2017

De Méliès à la 3D : la machine cinéma - Par Laurent Mannoni, Commissaire de l'exposition

Les grandes étapes de cette histoire méritent d'être visitées : la chronophotographie (fin du XIXe siècle), les « talkies » (1927), le Technicolor (1932), le CinemaScope (1953), le format 70 mm (1955), la caméra légère et la Nouvelle Vague (années 1950), l'ère numérique (années 1990), etc., ont engendré à chaque fois des formes totalement nouvelles. L'affinement progressif des pellicules, caméras, projecteurs, micros, magnétophones, tireuses, éclairages, objectifs, capteurs, etc., va de pair avec l'évolution plastique des images.

L'exposition contient des pièces uniques : les premières caméras de Marey, Lumière et Méliès, la belle Technicolor des grands classiques hollywoodiens, la caméra de Jean-Luc Godard, la torpille sous-marine d'Océans, la machine de Microcosmos, les luxueuses et modernes Panavision et les plus récents appareils numériques… Et aussi : des projecteurs de tous formats, certains en fonctionnement, le haut-parleur original du Chanteur de Jazz (1927) dont on pourra entendre les sons, la première télévision (1930) et des dizaines de films rares en projection – films muets, sonores, en couleurs, en 3D… – accompagnés de programmes expliquant le fonctionnement de ces machines intrigantes. On verra comment la technique engendre des formes inédites, et réciproquement, comment la recherche esthétique – le désir de voir de nouvelles images – donne naissance à de nouveaux appareils ou procédés.

Technique et esthétique

Le choix de l'appareillage est déterminant pour un film. « Ce qui caractérise un cinéaste, ce sont les moyens qu'il emploie », disait Éric Rohmer. Citizen Kane (1941) bénéficie non seulement d'un réalisateur et d'un directeur de la photographie hors normes (Orson Welles et Gregg Toland), mais aussi d'une caméra encore à l'essai, la Mitchell BNC, qui va s'imposer ensuite partout pendant de longues années. La petite caméra 35 mm Eyemo de Bell & Howell, avec son moteur à ressort, généralement destinée aux reporters de guerre, sert à James Wong Howe qui, chaussé de patins à roulettes, réalise des plans virtuoses du match de boxe dans Body and Soul (Robert Rossen, 1947). Une caméra allemande Arriflex 35 mm, légère, achetée à l'armée américaine par Delmer Daves, permet au chef-opérateur Sidney Hickox de tourner les plans subjectifs de Dark Passage (1947). Un film tourné avec une Aaton ne ressemble pas à un film enregistré avec une Panavision, Godard l'a bien expliqué. Un film réalisé avec une Alexa et des objectifs Zeiss n'a pas la même texture qu'un film capté avec une RED et des objectifs Angénieux. Collateral (Michael Mann, 2004) a été tourné en hybride, avec des caméras Panavision 35 mm et deux caméras numériques différentes (Sony F900 et Thomson Viper) : l'esthétique finale dépend ici profondément du choix des outils.

Chaque réalisateur a un rapport différent avec la technique, et c'est passionnant de l'étudier. Godard est sans cesse à la recherche de nouveaux outils, argentiques, magnétiques, numériques, 3D : « J'aime la technique que je ne différencie pas beaucoup de l'esthétique ». James Cameron se proclame autant cinéaste qu'ingénieur. Roman Polanski permet à la Louma de prendre son envol. Si la Nouvelle Vague a révolutionné le cinéma, c'est grâce à quelques cameramen plein d'inventivité – Raoul Coutard en première ligne –, mais aussi parce qu'elle a bénéficié d'une nouvelle génération de pellicules et de caméras.

Depuis au moins le Kino-glaz (Ciné-œil) de Dziga Vertov (1923), c'est toujours dans ce type de courant d'avant-garde, alliant créativité formelle, maîtrise totale de la lumière, des objectifs, de la pellicule et des dernières générations de caméras, que naissent des générations successives de réalisateurs et chefs-opérateurs audacieux : ce sont eux qui dépassent les frontières de l'art. Le cinéma direct et le Free Cinema, nés à la fin des années 1950, accordent à la mécanique une garantie de vérité : la caméra 16 mm devient un outil révolutionnaire, dans tous les sens du mot. Un fantasme naît dès les débuts : l'homme-machine de La Mettrie devient l'homme-caméra de Vertov.

Aujourd'hui, l'homme-caméra est devenu l'homme-numérique. Nous sommes tous les témoins et les acteurs d'une mutation extraordinaire qui concerne le cinéma et l'humanité tout entière. Le numérique bouleverse en profondeur tous les usages du septième art, en faisant notamment disparaître peu à peu la pellicule, support utilisé depuis 1889.

De Lumière à Jean-Luc Godard, qui comparait la pellicule à un cœur battant à 24 images/seconde, la machine cinéma s'est transformée graduellement, mais avec un même principe fondamental, du moins jusqu'au numérique : un film argentique défile d'une façon intermittente au foyer d'un objectif pour être impressionné ou projeté, et ses déplacements sont masqués par un disque obturateur. Le cinéma est un art sensible, c'est le cas de le dire : chaque fois que l'on modifie l'un de ses plus petits paramètres, toute la chaîne bouge en même temps, de la fabrication de la pellicule jusqu'à la projection, ce qui explique parfois la prudence de l'industrie (exemple fameux : l'Hypergonar du professeur Chrétien, conçu en 1927, exploité en 1953).

La largeur de la pellicule va être modifiée au fil du temps, de 4,7 mm à 90 mm. La plus luxueuse proposition reste le 70 mm Todd-AO (1955). La taille de l'image elle-même va connaître une multitude de variantes : le beau rapport 1,33:1, adopté par Edison et Dickson, sera celui de l'art muet. Mais en 1932, avec la nouvelle piste optique sonore, les Américains normalisent un nouveau ratio : 1,37:1. Il a perduré jusqu'en 1953, avec le CinemaScope 2,35:1. Les variantes autour des formats, ratios, systèmes sons, couleurs, 3D, sont d'une richesse incroyable. Le procédé couleurs le plus sophistiqué reste le Technicolor, mis au point entre 1915 et 1932, avec ses trois films trichromes que l'on doit superposer au tirage comme dans une presse d'imprimerie. Voilà un appareil conçu pour produire un style unique d'images ; voilà des images qui ne peuvent être produites que par cette machine.

Le cinéma du futur

Depuis la fin des années 1990, le tsunami numérique a tout balayé : pellicules, machines, usages séculaires, et une multitude d'images dansantes et argentiques. Cette mutation brutale n'est pas terminée. Le cinéma du futur sera immersif et interactif. La performance capture permet déjà d'animer des créatures de synthèse, en apparence presque humaine. Depuis plusieurs années, quelques sociétés proposent des casques à images virtuelles, offrant des sensations nouvelles. Si la virtual reality s'impose, la salle de cinéma existera-t-elle encore ? Malgré les progrès récents (lumière laser), peut-être n'y aura-t-il plus de projections, mais des salles équipées d'écrans électroniques géants proposant de la 3D sans lunettes, avec des sièges mobiles et de l'Odorama revisité. À moins que le spectateur ne se décide à rester chez lui, casque sur la tête, pour vivre en solitaire ses propres sensations virtuelles. Retour au Kinétoscope d'Edison ?

Faisons confiance à l'avenir. Le cinéma – un art hautement technique, beaucoup plus que tous les autres – nous offre en permanence, depuis sa naissance, un mélange détonnant de technologie et de sensibilité artistique, qui permet souvent la production d'œuvres majeures et surprenantes. Et le numérique, même avec sa volatilité et sa propension à tout dévorer, ouvre des perspectives passionnantes. Ce qui compte, c'est que le cinématographe – « l'écriture du mouvement » selon l'étymologie grecque – né dans les grottes préhistoriques, reste un art toujours bel et bien vivant, de même que sa synthèse sur grand écran. Le cinéma, comme le préconisait Abel Gance, doit toujours être réinventé.

Pratique

Ouvert tous les jours sauf le mardi de 11h à 22h et jusqu’à 19h00 le dimanche et lundi


Pierre Aimar
Mis en ligne le Dimanche 20 Novembre 2016 à 17:20 | Lu 201 fois

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