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Johanna Heeg, « Partir, l’enfance de l’âme », les peintures de l’âme au Théâtre Toursky, Marseille, du 25 mars au 22 mai 2019

« Les peintures de Johanna Heeg sont comme de petites fenêtres qui ouvrent sur la vie intérieure. » (Michel Bouquet)


Johanna Heeg, L’approche des ombres - acryl sur toile 27 x 30 cm
Johanna Heeg, L’approche des ombres - acryl sur toile 27 x 30 cm
Mardi 2 avril 2019 à partir de 18h30 aura lieu au Théâtre Toursky le vernissage de l’exposition des peintures de Johanna Heeg « Partir, l’enfance de l’âme »
Johanna Heeg est née à Amsterdam le 11 novembre 1950. Elle est diplômée de l’Académie Rietveld d’Amsterdam. Elle vit et travaille à Aix-en-Provence depuis 1970.

A l’occasion de cette exposition, Jean-Pierre Cramoisan, commissaire de l’exposition, a écrit un texte - reproduit ici dans son intégralité - qui exprime avec les mots ce que Johanna transmet dans ses toiles : une douceur sybilline, une lumière par touches, une sublime spiritualité.

« Partir, ne jamais revenir, ne pas se retourner, ainsi va la peinture de Johanna Heeg ; ainsi l’effaçure du temps accompagne-t-elle ses silhouettes rescapées de la brume ; ainsi son monde se construit-il dans une patiente recherche où le silence ravive le pays rêvé de l’enfance et ses promenades dans des lieux qui relient les êtres à tout ce qui les entoure.
Partir, aller au plus loin de soi, ne rien oublier, emporter son village dans des valises alourdies de peines et de joies, tenir bon ce fardeau du départ jusqu’à la fin du voyage où la tristesse creuse les visages, où la force du malheur est un désir qui tue.

Partir, ne jamais se démettre des gestes futiles du quotidien, des simples attentions qui donnent tant de densité à la quête d’une réalité rallumant les coloris de l’inquiétude attardés dans des morceaux de nuit.

Entrer en mémoire, c’est aussi s’enfoncer dans les vivantes lumières du vitrail de la mélancolie, s’approprier la couleur de l’émotion, cette étincelle de l’âme qui donne aux choses les traces enchantées de l’imprévisible ; c’est refaire tableau après tableau la comédie d’un monde oublié par-delà les loin bleuissements du ciel où se risque le foisonnement d’un petit peuple en errance. Le sien.

Aller ailleurs, recoudre les lambeaux du temps, faire vibrer les moments discrets de la vie, aller vers les autres, les abandonnés aux tendres sourires effacés.
La peinture de Johanna est un morcèlement de souvenirs hantés de personnages qui font reculer le doute en se frayant leur chemin à travers le turbulent exil des formes, ce sentiment né de très anciens carnavals peuplés d’affriolants et terribles déguisements laissant paraître l’en-dedans des êtres. L’œuvre de Johanna Heeg buissonne, résonne de récits jalonnés d’allégories qui traduisent les gestes et les attitudes d’un temps en allé. C’est toujours un peu de la Hollande dont il est question, avec ses remembrances surannées, dolentes, lointaines comme des ramures de vie.

Johanna a ce don particulier de mettre l’univers dans un sourire et de convier la pluie à la ferveur des larmes. Les masques y conjurent le sort et l’infortune ; la griserie joyeuse s’habille en costumes de festives noces ; les ombres se mêlent à un bestiaire fantasque de visages troublés par la crainte d’un espace heurté d’apparitions ; la troublante transparence des tulles côtoient les broderies de robes inventées ; et tout ce monde d’invités s’accommode de décors inquiétants où se dressent parfois l’extravagance de chapeaux d’autrefois venus nous raconter les bouleversantes pudeurs de la vie. Johanna ne retourne pas dans le passé, elle y entre pour en ressusciter ses amis fantômes de toujours ; elle écartèle le temps pour mieux nous faire découvrir les visages outragés des errants de la vie rendus à eux-mêmes, compagnons de rêveries, passagers de solitude que l’on voit parfois sourdre d’ébouriffés brouillards.
La mémoire de Johanna est vaste comme la mer qui retourne toujours sur elle-même. Sa peinture délivre les silences, révèle les coulisses d’un théâtre où des acteurs s’apprêtent à jouer des rôles inattendus.
La vie libre dans sa simplicité. Partir, ne retenir que les gestes du pinceau qui s’affrontent à la toile, emportant vers l’ailleurs et l’incertitude des cauchemars ; partir, ne garder que le mystère des souvenirs qui collent à l’âme ; partir pour retrouver jusque dans les plissures du papier ce qui reste d’espérance enfouie dans l’humain.
Partir d’ici comme si on était de nulle part, compagnon d’infortune aux mains toujours ouvertes.
Offertes.

La peinture nous raconte l’abandon et la lassitude des âmes penchées sur elles-mêmes, égarées dans des lieux jamais nommés, à la naissance même où la couleur crée la vie, et l’entraîne dans des moments de tendresse glanés sur d’inopinés regards qu’elle sait si bien faire pleurer, sourire, rire et danser. N’importe, il faut partir, sortir des longues flâneries, c’est la loi des images qui enfante la toile ; tenter l’impossible jusqu’à la disparition, même s’il faut pour cela trébucher tomber, se relever, renaître, ne jamais s’arrêter. On y découvre des visages profonds comme des gouffres, des horizons cernés de brumailles, quelque enchanterie où la magie des ténèbres commande aux diableries du monde, des langueurs emprisonnées dans de vastes nuanciers, une nostalgie qu’accompagne une ronde de frêles et claires jeunes filles, une juste part de paix partagée auprès de bêtes étranges, d’oiseaux prêts à quitter un ciel pour un autre, des migrations sans lendemain, sans possible retour…

Une mémoire que la peinture cherche, obstinément.
Partir, préserver les siens, ceux d’avant, ceux qui viennent, porter son baluchon, traverser des désespérances muettes, mettre ses pas dans la trace des pauvres morts, marauds, mendiants, magiciens, aventuriers de l’âme, silhouettes effilochées dans la pulvérulente lumière d’un soleil qui se meurt.
Où aller ?
Souvent la nuit se charge d’illunée poudre vermeille.
Il y a bien au ras de la dernière ligne d’horizon des masures aux toits touchant presque le ciel, la dernière limite de l’oubli basculant dans les replis d’un bleu d’outre-monde que l’on ne peut atteindre.
Des oiseaux saoulés d’enfance survolent ce misérable exode endeuillé de souffrance. L’important n’est-il pas pour chacun d’entre eux de poursuivre son chemin, s’en aller, quoi qu’il en coûte, comme si le poids de la fatalité les poussait à s’enfoncer plus avant dans un nouveau décor, un autre pays, carrefour d’illusions, une terre sans âge ni attache où les formes en mouvement tentent en vain de rattraper l’au-delà de leur ombre. Aller plus loin, c’est rechercher la connivence et la magie des heures de nostalgie, un sourire maternel protecteur éloignant la menace de figures menaçantes, l’ombre du croque-mitaine, le marchand de sable qui, à l’orée du sommeil, infiltre dans les yeux des petits enfants la poussière dorée qui éloigne la menace des spectres de la nuit.
Quand monte au ciel les voix fantomales qui font la part belle au catafalque des nuages, aux secrets délivrés, apparaît un visage par l’effroi agrandit et qui appelle, appelle toujours et encore.
Ainsi passe la peinture, ainsi passe-t-elle couleur après couleur, forme après forme, ainsi le temps s’effrange-t-il au rythme des saisons.

Combien d’oiseaux ont chanté le retour de la vie d’avant qu’elle ne s’use et disparaisse dans les vallons de l’absence et de l’oubli ? Partir, se retrouver dans un temps intact tissé d’harmonie, une aspiration inlassable vers le goût d’une beauté idéale.
Traverser tant d’hivers, de nuits peuplées d’hideux démons, et éclaircir les brumes comme on dénoue le morne remords des longues journées de veille.
La peinture de Johanna révèle et dévoile ce qui ne se voit pas, ce qui se passe dans l’invisible, de l’autre côté des choses.
Elle a cette singulière semblance d’être née des effaçures d’une arrière-vie ; elle s’emplit de printemps renaissants aux fleurs étonnées, d’oiseaux insensés aux ailes éprises de ciel, et d’automnes en ballets de feuilles qui retournent à la terre sans regret. » (Jean-Pierre Cramoisan)

Danielle Dufour Verna

Pratique

« Partir l’enfance de l’âme »
Commissaire de l’exposition Jean-Pierre Cramoisan
Exposition du 25 mars au 22 mai 2019
ouvert du lundi au vendredi de 10 h à 20 h et le samedi de 10 h à 21 h (les jours de spectacle uniquement)
Théâtre Toursky
16 Promenade Léo Ferré
13003 Marseille
tél : 04.91.02.58.35

Danielle Dufour-Verna
Mis en ligne le Mercredi 27 Mars 2019 à 18:35 | Lu 513 fois

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