Jean-Michel Guillier - boulevard Malesherbes - Paris 1981
Fausses archives et (id)entités fictives, édition et suppression de contenus, hoaxes et canulars... Ces méthodes visent des objectifs idéologiques, humoristiques, artistiques mais aussi pécuniaires quand il s’agit de marketing camouflé, d’escroqueries organisées ou de faussaires professionnels, dans le domaine des faux artistiques par exemple. Les technologies actuelles facilitent l’invention de ces personnalités fictives, logiciels espions, sites-écrans, l’usurpation d’identité, les spams, scams ou fraude 149 servant les intérêts les plus divers.
Par exemple, durant le débat Sarkozy/Royal pour la présidentielle française en 2007, la page Wikipédia consacrée au réacteur nucléaire EPR se vît prise d’assaut par les militants et trafiquée pour transformer l’erreur de l’un des orateurs en vérité. Si le recours à l'interactivité dans la production des données, que ce soit avec Wikipedia ou d'autres programmes participatifs, fait évoluer le statut du consommateur à celui de producteur de connaissances, ces nouvelles possibilités d'informations accentuent parallèlement la prise de conscience de l'inconsistance des frontières entre subjectif et objectif, vrai et faux. Néanmoins, les extensions numériques qui construisent désormais notre quotidien ne font que pointer les processus de construction inhérents à tout savoir. En 1996 déjà, Alan Sokal, professeur de physique à l’Université de New-York, avait soumis à une revue scientifique un article intentionnellement erroné, «généreusement assaisonné de non-sens» et qui «flattait les préconceptions idéologiques des éditeurs», dans le cadre d'une expérience démontrant la fragilité de la production de certaines connaissances[1].
Mais quand Paul Lafargue déclarait en 1883 que «notre époque sera appelée l'âge de la falsification, comme les premières époques de l'humanité ont reçu les noms d'âge de pierre, d'âge de bronze, du caractère de leur production»[2], c’est au système de production général qu’il fait référence, à ces objets conçus pour disparaître, dont la consistance même vise leur altération. L’idéologie s’insère alors jusque dans la fabrication des objets les plus usuels et leur précarité renvoie aux simulacres d’objets utilisés sur les plateaux de tournage, créant un point de jonction certain entre réalité et fiction.
La technique matérialise aussi un rapport plus fondamental au monde. Pour le psychiatre Donald W. Winnicott, l’illusion est le fondement même de notre condition. D’ailleurs pour lui, le «faux self», qui dissimule la personnalité de l’individu, permet de se protéger dans un environnement anormal. Parfois, ce masque, qui rappelle la mauvaise foi sartrienne, enferme l’individu dans une mystification certes rassurante mais liberticide. La protection et l’exposition simultanées de l’identité provoquent des réactions antagonistes, aujourd’hui par exemple une recrudescence de moyens pour camoufler sa vie privée comme le redoublement des mécanismes de surveillance et de traçabilité des données. Vilipendée ou valorisée, la falsification apparaît comme un processus inhérent à la production de la réalité humaine jusque dans le domaine de la mémoire. Du reste, «les artistes sont ceux qui produisent le plus grand nombre de faux souvenirs» nous dit Martial Van der Linden, professeur et directeur des unités de psychopathologie cognitive à l’université de Genève car «ils ont une plus grande capacité à imaginer mentalement l’information erronée, et donc celle-ci leur semblerait plus réelle.»[3] Les Incessants réfère ainsi aux producteurs de réel infatigables que nous sommes tous, et les artistes en particulier, tant dans l’espace intime que public, par la création permanente du monde qui nous entoure.
Commissaire invitée : Céline Poulin
[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/Affaire_Sokal
[2] Paul Lafargue, «Le droit à la paresse», 1883
[3] Martial Van der Linden, «Différences inter-individuelles dans la propension aux faux souvenirs». In S. Brédart & M. Van der Linden, Souvenirs récupérés, souvenirs oubliés, et faux souvenirs, 2004
Par exemple, durant le débat Sarkozy/Royal pour la présidentielle française en 2007, la page Wikipédia consacrée au réacteur nucléaire EPR se vît prise d’assaut par les militants et trafiquée pour transformer l’erreur de l’un des orateurs en vérité. Si le recours à l'interactivité dans la production des données, que ce soit avec Wikipedia ou d'autres programmes participatifs, fait évoluer le statut du consommateur à celui de producteur de connaissances, ces nouvelles possibilités d'informations accentuent parallèlement la prise de conscience de l'inconsistance des frontières entre subjectif et objectif, vrai et faux. Néanmoins, les extensions numériques qui construisent désormais notre quotidien ne font que pointer les processus de construction inhérents à tout savoir. En 1996 déjà, Alan Sokal, professeur de physique à l’Université de New-York, avait soumis à une revue scientifique un article intentionnellement erroné, «généreusement assaisonné de non-sens» et qui «flattait les préconceptions idéologiques des éditeurs», dans le cadre d'une expérience démontrant la fragilité de la production de certaines connaissances[1].
Mais quand Paul Lafargue déclarait en 1883 que «notre époque sera appelée l'âge de la falsification, comme les premières époques de l'humanité ont reçu les noms d'âge de pierre, d'âge de bronze, du caractère de leur production»[2], c’est au système de production général qu’il fait référence, à ces objets conçus pour disparaître, dont la consistance même vise leur altération. L’idéologie s’insère alors jusque dans la fabrication des objets les plus usuels et leur précarité renvoie aux simulacres d’objets utilisés sur les plateaux de tournage, créant un point de jonction certain entre réalité et fiction.
La technique matérialise aussi un rapport plus fondamental au monde. Pour le psychiatre Donald W. Winnicott, l’illusion est le fondement même de notre condition. D’ailleurs pour lui, le «faux self», qui dissimule la personnalité de l’individu, permet de se protéger dans un environnement anormal. Parfois, ce masque, qui rappelle la mauvaise foi sartrienne, enferme l’individu dans une mystification certes rassurante mais liberticide. La protection et l’exposition simultanées de l’identité provoquent des réactions antagonistes, aujourd’hui par exemple une recrudescence de moyens pour camoufler sa vie privée comme le redoublement des mécanismes de surveillance et de traçabilité des données. Vilipendée ou valorisée, la falsification apparaît comme un processus inhérent à la production de la réalité humaine jusque dans le domaine de la mémoire. Du reste, «les artistes sont ceux qui produisent le plus grand nombre de faux souvenirs» nous dit Martial Van der Linden, professeur et directeur des unités de psychopathologie cognitive à l’université de Genève car «ils ont une plus grande capacité à imaginer mentalement l’information erronée, et donc celle-ci leur semblerait plus réelle.»[3] Les Incessants réfère ainsi aux producteurs de réel infatigables que nous sommes tous, et les artistes en particulier, tant dans l’espace intime que public, par la création permanente du monde qui nous entoure.
Commissaire invitée : Céline Poulin
[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/Affaire_Sokal
[2] Paul Lafargue, «Le droit à la paresse», 1883
[3] Martial Van der Linden, «Différences inter-individuelles dans la propension aux faux souvenirs». In S. Brédart & M. Van der Linden, Souvenirs récupérés, souvenirs oubliés, et faux souvenirs, 2004
Pratique
villa du parc
centre d'art contemporain
12 rue de Genève
74100 Annemasse
0033 4 50 38 84 61
www.villaduparc.org
Entrée libre mardi-samedi 14h-18h30
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Entrée libre mardi-samedi 14h-18h30