Moving Target © pipitone
La pièce expose une série de situations vécues fantasmatiquement, et fait coexister plusieurs techniques de danse selon divers arrangements musicaux dont les rythmes brutalement opposés s'entrechoquent pour nous faire ressentir ce à quoi peut ressembler la vie intérieure d'un schizophrène qui fut pendant quelques années l'exceptionnel phénomène des Ballets Russes de Diaghilev.
Le spectacle, scénographié par Elisabeth Diller et Ricardo Scofidio dans des éclairages fluorescents, se fonde sur l'omniprésence d'éléments représentant la règle et ses frontières : des barres d'exercice noires et blanches qui président à l'entraînement de la danse classique, des règles rouges et blanches retenues à la tête et aux chevilles de deux maîtresses de ballet directrices d'exercices, des ceintures rouges pour entraver les mouvements, et enfin un miroir incliné à 45 degrés qui surplombe la scène et permet de voir les danseurs évoluer dans un espace de réflexion. Moins appréciables, car participant par dérision de l'objectif didactique, une série de spots publicitaires burlesques, projetés sur écran, concernant des médicaments permettant d'accéder à la normalité, sans passer par un psychothérapeute obtus, ponctuent les différents tableaux à intervalles réguliers.
Les moments les plus séduisants du spectacle sont ceux où trois excellents danseurs (David Le Thaï, Benjamin Gouin, Nahimana Vandenbussche) réinterprètent les apparitions triomphales de Nijinski dans le Pavillon d'Armide, Le Spectre de la Rose, ou L'après-midi d'un Faune, au milieu d'une compagnie de forçats de la danse qui vont s'identifier progressivement aux aliénés d'un asile. Ces moments deviennent plus émouvants avec l'évocation du dernier récital de janvier 1919 à l'hôtel Suvretta de Saint-Moritz. Dans cette danse de la vie contre la mort d'une humanité souffrante, frappée d'horreur devant la tragédie de la guerre, Benjamin et Nahimana composent avec leur corps nu d'étonnants solos sur les poèmes incohérents, obsessionnels et répétitifs de l'Artiste en s'inspirant de la gestuelle des fous rencontrés par Nijinski au cours de ses séjours en hôpital psychiatrique.
A la fin de ce spectacle qui se prolonge pendant une heure vingt, ne reste plus que l'image d'un corps désemparé, balayé par les caméras des pieds à la tête, doublé par le corps nu, absolument dérisoire, d'un danseur immobile.
Dans son journal de Mai 1958, Jean Cocteau s'indigne de voir une troupe russe, venue danser Roméo et Juliette de Prokofiev à l'Opéra de Paris, applaudir la salle à l'instant des saluts. Le public marseillais de Moving Target a été récompensé de la même manière pour son écoute attentive et s'en est trouvé bien ciblé !
Philippe Oualid
Le spectacle, scénographié par Elisabeth Diller et Ricardo Scofidio dans des éclairages fluorescents, se fonde sur l'omniprésence d'éléments représentant la règle et ses frontières : des barres d'exercice noires et blanches qui président à l'entraînement de la danse classique, des règles rouges et blanches retenues à la tête et aux chevilles de deux maîtresses de ballet directrices d'exercices, des ceintures rouges pour entraver les mouvements, et enfin un miroir incliné à 45 degrés qui surplombe la scène et permet de voir les danseurs évoluer dans un espace de réflexion. Moins appréciables, car participant par dérision de l'objectif didactique, une série de spots publicitaires burlesques, projetés sur écran, concernant des médicaments permettant d'accéder à la normalité, sans passer par un psychothérapeute obtus, ponctuent les différents tableaux à intervalles réguliers.
Les moments les plus séduisants du spectacle sont ceux où trois excellents danseurs (David Le Thaï, Benjamin Gouin, Nahimana Vandenbussche) réinterprètent les apparitions triomphales de Nijinski dans le Pavillon d'Armide, Le Spectre de la Rose, ou L'après-midi d'un Faune, au milieu d'une compagnie de forçats de la danse qui vont s'identifier progressivement aux aliénés d'un asile. Ces moments deviennent plus émouvants avec l'évocation du dernier récital de janvier 1919 à l'hôtel Suvretta de Saint-Moritz. Dans cette danse de la vie contre la mort d'une humanité souffrante, frappée d'horreur devant la tragédie de la guerre, Benjamin et Nahimana composent avec leur corps nu d'étonnants solos sur les poèmes incohérents, obsessionnels et répétitifs de l'Artiste en s'inspirant de la gestuelle des fous rencontrés par Nijinski au cours de ses séjours en hôpital psychiatrique.
A la fin de ce spectacle qui se prolonge pendant une heure vingt, ne reste plus que l'image d'un corps désemparé, balayé par les caméras des pieds à la tête, doublé par le corps nu, absolument dérisoire, d'un danseur immobile.
Dans son journal de Mai 1958, Jean Cocteau s'indigne de voir une troupe russe, venue danser Roméo et Juliette de Prokofiev à l'Opéra de Paris, applaudir la salle à l'instant des saluts. Le public marseillais de Moving Target a été récompensé de la même manière pour son écoute attentive et s'en est trouvé bien ciblé !
Philippe Oualid