Mise en scène de Jean-Louis Benoit
La pièce fut aussi créée à Marseille au début des années trente par la compagnie du Rideau Gris dans une mise en scène de Louis Ducreux et d'André Roussin,mais elle suscita plus de malaise que d'émotion sur le public marseillais de l'époque qui préférait les opérettes de Vincent Scotto à un théâtre morbide axé sur les hallucinations prémonitoires d'une femme angoissée ou les fatalités internes et externes qui accablent un suicidaire.
En effet, Lenormand opère une profonde rupture avec le théâtre de l'après-guerre 14-18, en portant à la scène des préoccupations nouvelles sur la vie psychique de l'homme. Dans la préface de ses Confessions d'un auteur dramatique, il définit,en 1949,les innovations qu'il a voulu introduire, sous l'influence de Freud, "en livrant,dans cette pièce, le héros cartésien, totalement analysable, aux puissances dissolvantes de son subconscient, en le faisant le jouet des forces naturelles, en le courbant sous la loi des climats excessifs, en le dressant dans une vaine interrogation devant les énigmes de la mort,du temps et de l'espace". Pour ce pessimiste, l'homme est impuissant à donner un sens et une direction à son existence. Submergé par le destin, il assiste à la désagrégation progressive de sa personnalité et de sa volonté, à l'effondrement de toutes ses valeurs. Il se laisse alors aller à la déchéance jusqu'au jour où il entrevoit la mort comme seul remède à son tourment. Ainsi, Nico Van Eyden symbolise cet être angoissé, névrosé, envoûté par les eaux mortes et moisies de l'étang de sa vieille propriété,et qui va s'y noyer,poussé par l'obscur besoin de pénétrer d'insondables mystères.
Or, si ce théâtre a sombré dans l'oubli, c'est plus en raison de sa forme que de ses significations qui vont hanter au vingtième siècle tous les penseurs de la condition humaine. Il se présente en effet sous l'aspect de tableaux, de scènes brèves juxtaposées indépendantes les unes des autres, qui répondent davantage à des exigences psychologiques qu'à des nécessités scéniques. En même temps,l'écrivain exorcise ses démons en les dépeignant à travers des poncifs,des relents lyriques,des pensées métaphysiques,sans nouer de véritable intrigue ni assurer de progression dramatique. La dissolution de l'âme dans une certaine immobilité d'analyse entraîne fatalement la dissolution de l'oeuvre théâtrale elle-même qui s'achève irrationnellement.
La mise en scène que réalise Jean-Louis Benoit dans les décors de Jean Haas, les lumières de Joël Hourbeigt et la vidéo de Patrick Laffont fait cependant merveille pour la réhabilitation de cet auteur dramatique. Une grande baie vitrée qui reflète à la fois l'intérieur et l'extérieur, le salon,les acteurs, les eaux stagnantes de l'étang sous les vapeurs grises d'un ciel épais, devient, à la fin de chaque tableau, un écran qui fixe la photographie des personnages dans le temps suspendu du songe. Elle métaphorise en quelque sorte subtilement les notations du dialogue de Lenormand.La mise en scène est à l'avenant qui instaure un rythme instable dans le rituel des déplacements ou des positions sur le plateau, avec des va et vient accélérés,des immobilités figées sur les fauteuils,et parfois même le silence de la scène vide qui laisse au spectateur le soin de plonger dans la rêverie.
L'interprétation des deux principaux rôles n'est malheureusement guère convaincante. Le personnage principal, Nico(Richard Mitou), ressemble plus à un commis voyageur lunatique qu'à un intellectuel torturé portant le poids de ses obsessions,en s'exprimant d'une voix morte. Son énergie, son lyrisme ne caractérisent pas un comportement de névrosé. Sa fiancée Romée(Océane Mozas), victime d'hallucinations, imprime son rôle d'une théâtralité excessive. Elle ne trouve le ton juste que lorsque sa diction saccadée s'accorde à la voix du cauchemar. La soeur de Nico,Riemke(Valérie Keruzoré), impressionne en revanche par son jeu intériorisé,sa timidité,l'indifférence qu'elle manifeste devant la solitude.
Enfin, les deux domestiques, Madame Beunke, la vieille hollandaise fatiguée(Karen Rancurel), et Saïdyah, le boy hindou (Jim-Adhi Limas), expriment leur vérité et leur humanité, sans artifices, dans un style naturaliste émouvant. Grâce à eux, la vie peut résister à la pulsion de mort, et le spectateur se trouve rassuré dans son dur désir de durer!
Philippe Oualid.
LE TEMPS EST UN SONGE de Henri-René Lenormand
Mise en scène de Jean-Louis Benoit.
Théâtre de La Criée,du 27 Février au 30 Mars 2008.
En effet, Lenormand opère une profonde rupture avec le théâtre de l'après-guerre 14-18, en portant à la scène des préoccupations nouvelles sur la vie psychique de l'homme. Dans la préface de ses Confessions d'un auteur dramatique, il définit,en 1949,les innovations qu'il a voulu introduire, sous l'influence de Freud, "en livrant,dans cette pièce, le héros cartésien, totalement analysable, aux puissances dissolvantes de son subconscient, en le faisant le jouet des forces naturelles, en le courbant sous la loi des climats excessifs, en le dressant dans une vaine interrogation devant les énigmes de la mort,du temps et de l'espace". Pour ce pessimiste, l'homme est impuissant à donner un sens et une direction à son existence. Submergé par le destin, il assiste à la désagrégation progressive de sa personnalité et de sa volonté, à l'effondrement de toutes ses valeurs. Il se laisse alors aller à la déchéance jusqu'au jour où il entrevoit la mort comme seul remède à son tourment. Ainsi, Nico Van Eyden symbolise cet être angoissé, névrosé, envoûté par les eaux mortes et moisies de l'étang de sa vieille propriété,et qui va s'y noyer,poussé par l'obscur besoin de pénétrer d'insondables mystères.
Or, si ce théâtre a sombré dans l'oubli, c'est plus en raison de sa forme que de ses significations qui vont hanter au vingtième siècle tous les penseurs de la condition humaine. Il se présente en effet sous l'aspect de tableaux, de scènes brèves juxtaposées indépendantes les unes des autres, qui répondent davantage à des exigences psychologiques qu'à des nécessités scéniques. En même temps,l'écrivain exorcise ses démons en les dépeignant à travers des poncifs,des relents lyriques,des pensées métaphysiques,sans nouer de véritable intrigue ni assurer de progression dramatique. La dissolution de l'âme dans une certaine immobilité d'analyse entraîne fatalement la dissolution de l'oeuvre théâtrale elle-même qui s'achève irrationnellement.
La mise en scène que réalise Jean-Louis Benoit dans les décors de Jean Haas, les lumières de Joël Hourbeigt et la vidéo de Patrick Laffont fait cependant merveille pour la réhabilitation de cet auteur dramatique. Une grande baie vitrée qui reflète à la fois l'intérieur et l'extérieur, le salon,les acteurs, les eaux stagnantes de l'étang sous les vapeurs grises d'un ciel épais, devient, à la fin de chaque tableau, un écran qui fixe la photographie des personnages dans le temps suspendu du songe. Elle métaphorise en quelque sorte subtilement les notations du dialogue de Lenormand.La mise en scène est à l'avenant qui instaure un rythme instable dans le rituel des déplacements ou des positions sur le plateau, avec des va et vient accélérés,des immobilités figées sur les fauteuils,et parfois même le silence de la scène vide qui laisse au spectateur le soin de plonger dans la rêverie.
L'interprétation des deux principaux rôles n'est malheureusement guère convaincante. Le personnage principal, Nico(Richard Mitou), ressemble plus à un commis voyageur lunatique qu'à un intellectuel torturé portant le poids de ses obsessions,en s'exprimant d'une voix morte. Son énergie, son lyrisme ne caractérisent pas un comportement de névrosé. Sa fiancée Romée(Océane Mozas), victime d'hallucinations, imprime son rôle d'une théâtralité excessive. Elle ne trouve le ton juste que lorsque sa diction saccadée s'accorde à la voix du cauchemar. La soeur de Nico,Riemke(Valérie Keruzoré), impressionne en revanche par son jeu intériorisé,sa timidité,l'indifférence qu'elle manifeste devant la solitude.
Enfin, les deux domestiques, Madame Beunke, la vieille hollandaise fatiguée(Karen Rancurel), et Saïdyah, le boy hindou (Jim-Adhi Limas), expriment leur vérité et leur humanité, sans artifices, dans un style naturaliste émouvant. Grâce à eux, la vie peut résister à la pulsion de mort, et le spectateur se trouve rassuré dans son dur désir de durer!
Philippe Oualid.
LE TEMPS EST UN SONGE de Henri-René Lenormand
Mise en scène de Jean-Louis Benoit.
Théâtre de La Criée,du 27 Février au 30 Mars 2008.